Archive pour le mot-clef ‘suicide’

Pesticides, antidépresseurs et agnotologie du suicide

lundi 3 septembre 2018

Un retentissant procès vient de condamner Monsanto à verser 250 millions d’euros à un jardinier intoxiqué par le glyphosate. Cette sentence est considérée par la plupart des commentateurs comme une preuve définitive de la toxicité du glyphosate. Depuis des décennies, des milliers d’articles scientifiques ont formellement démontré la toxicité des pesticides en général et du glyphosate en particulier. Rares sont ceux qui ont eu un écho, et les plus commentés l’ont été cent fois moins que ce dernier procès. Certes, la science n’a pas le charme médiatique de la justice, mais ce serait là une trop rapide conclusion.

En réalité, la science n’émeut pas les multinationales, car elles en sont les premières productrices. Rien n’est plus facile que de décortiquer les petits biais consubstantiels à toute science et de produire de nouveaux biais. Cette science du doute s’appelle l’agnotologie et elle suffit à maintenir longtemps les institutions en sommeil. Surtout si ce sommeil est profitable à tous les sens du terme.

On pourrait en conclure que seule la justice peut émouvoir les multinationales. Ce pourrait être vrai si les condamnations visaient les dirigeants, mais les peines se résument toujours à d’anonymes indemnités qui ont été largement budgétées en amont. L’industrie pharmaceutique en est coutumière. Le laboratoire Glaxo a payé une amende de 3 milliards de dollars pour avoir dissimulé pendant des années les risques cardiovasculaires mortels liés à son hypoglycémiant (rosiglitazone). Pfizer a payé 2,3 milliards pour avoir promu hors autorisation de dangereux antiépileptiques pour des douleurs banales. Etc. Le procès du glyphosate semble ridicule aux côtés des milliards que paient avec discrétion les compagnies pharmaceutiques pour éviter les procès.

Pourtant, en dehors de la science et de la justice, le bon sens peut parfois suffire. La simple observation de la dévastation animale et végétale immédiate causée par les pesticides suffisait à en évaluer la toxicité. Les paysans du monde entier ne s’y sont pas trompés en choisissant les pesticides comme premier moyen de suicide. Les pesticides sont même responsables de plus d’un suicide sur sept dans le monde. Les antidépresseurs en provoquent probablement plus, mais la preuve est plus délicate, car l’agnotologie pharmaceutique est infiniment plus subtile que l’agnotologie agro-alimentaire.

Constatant le long et tortueux chemin de la vérité avec la science ou la justice comme seul attelage, nous comprenons aisément pourquoi la très grande majorité des humains se réfugie derrière les dogmes. L’industrie agro-alimentaire est là pour nous nourrir. L’industrie pharmaceutique est là pour nous soigner. Voilà des dogmes qui, en plus d’être immuables, sont vraiment reposants.

Références

Épidémies de suicide

mercredi 17 août 2016

En 1774, la publication des « Souffrances du jeune Werther » a provoqué une épidémie de suicide en Allemagne. Cette première observation de contagion suicidaire a été nommée ‘effet Werther’.

Le phénomène de contagion culturelle est connu pour des pathologies comme l’anorexie, plus spécifique à certains environnements culturels ou religieux.

La biomédecine, plus apte à étudier les épidémies virales ou bactériennes, peut cependant expliquer certains des multiples facteurs des épidémies suicidaires.

Après des phases de maturation physique, cognitive et sexuelle, l’adolescence (plus ou moins prolongée), est une phase de vie, propre à sapiens, où domine la maturation sociale. Ce qui explique que les déterminants culturels dominent parfois les déterminants biologiques, jusqu’à mettre la vie en danger. C’est à l’adolescence que se révèlent la plupart des addictions et qu’apparaissent les premiers symptômes de maladies sociales telles que la schizophrénie. En génétique des populations, on nomme ‘effet fondateur’ la fréquence anormalement élevée d’une mutation dans un groupe humain, suite à l’isolement géographique de la population initiale. C’est le cas de la mucoviscidose dans certaines régions du Canada. Sur le versant culturel, le ‘biais de conformité’ est la fréquence élevée d’une conduite par imitation d’un modèle dominant ou très valorisé dans certains groupes sociaux. Ses effets dévastateurs possibles sur toute une société ont été étudiés par le biologiste et géographe Jared Diamond.

Le phénomène de mode et d’imitation a été bien établi dans l’épidémie de suicide de la première génération d’après-guerre en Micronésie : le suicide avait acquis une dimension culturelle chez les jeunes hommes de 15-24 ans.

Le taux de suicide des adolescents augmente de 7% dans la semaine qui suit une information ou un reportage télévisé sur le suicide en général ou celui d’une célébrité. Cependant, il ne faut pas accuser la presse de tous les maux, car dans les vagues locales de suicide par imitation, le cas initial n’avait été relaté dans la presse que dans 25% des études.

Malgré tout, la précision mercatique alliée à la puissance de diffusion des nouveaux médias est un facteur majeur. Le marketing sait s’adapter aux catégories sociales et aux phases de vie et se révèle aussi performant pour vendre le suicide djihadiste, Naf-naf, Star wars ou une Ferrari. Chez les adolescents ciblés, la performance cognitive joue un rôle. À 18 ans, chaque augmentation de score de 1 point dans des tests logiques diminue de 12% le risque de suicide, indépendamment du milieu socio-économique et des pathologies psychiatriques. Le suicide pourrait être vu comme une réponse aberrante face à un problème de ‘logique sociale’.

Enfin certains facteurs facilitent le passage à l’acte : les antidépresseurs, les amphétamines, et les ‘inévitables’ (et plus contestables) gènes de prédisposition (GRIA3 et GRIK2).

L’effet Werther est encore loin d’avoir livré tous ses secrets.

Références

Pharmacologie du suicide

vendredi 17 avril 2015

La dépression est une entité médicale qui n’a jamais obtenu de définition satisfaisante. L’imipramine a été le premier médicament considéré comme actif pour améliorer l’humeur,  cette molécule a inauguré la grande famille des antidépresseurs dits « tricycliques ». D’autres familles ont suivi, basées sur de subtils réductionnismes de la chimie synaptique : inhibiteurs de la monoamine-oxydase, inhibiteurs de la capture de l’adrénaline ou de la sérotonine.

Plusieurs de ces médicaments, en conformité avec les prévisions théoriques, ont pu modifier temporairement l’humeur ou son expression, mais hélas, aucun d’eux ne s’est montré vraiment plus efficace qu’un placebo pour changer le cours des dépressions à moyen et long terme.

Cet échec vient du fait que la dépression n’est pas une entité isolée. La dépression médicale la mieux établie et la plus fréquente est la phase dépressive de la maladie bipolaire, et il existe des dépressions unipolaires psychotiques plus rares. Dans le premier cas, les antidépresseurs sont inefficaces et dangereux, ils majorent le risque de suicide. Dans le deuxième cas, les antidépresseurs ne sont qu’un traitement d’appoint difficile à évaluer.

Ces médicaments majorent également le risque de suicide quand ils sont utilisés comme traitement de la multitude des « non-maladies » nommées dépressions, particulièrement chez les adolescents.

Les antidépresseurs sont donc des médicaments inutiles et/ou dangereux dans le traitement de la grande majorité des dépressions majeures et mineures. Mais pour ne pas heurter la normativité des médecins et de leurs patients, il convient d’être beaucoup plus concret pour les convaincre que ces propos ne sont ni péremptoires ni répréhensibles.

La meilleure définition d’une dépression médicale grave de type bipolaire ou unipolaire repose sur le risque élevé de suicide. Tout clinicien, soignant un patient à l’humeur dépressive, a donc comme priorité principale d’empêcher le suicide qui est logiquement considéré comme l’échec médical absolu.

La réflexion clinique dans des pathologies de cette complexité où notre méconnaissance reste forte, doit parfois se résumer à regarder les chiffres les plus simples de la façon la plus triviale.

Les antidépresseurs ont été découverts, il y a un demi-siècle, et dans les pays où ils sont utilisés, le taux de suicide a augmenté de 60%.

Avec des chiffres aussi brutaux, comment peut-on encore fabriquer des preuves moléculaires sophistiquées et des discours psychiatriques alambiqués autour de la dépression ? Lorsque le symptôme qui définit à la fois la gravité de la maladie et signe l’échec médical présente une augmentation aussi faramineuse de son incidence.

Je suis toujours stupéfait de la carence épidémiologique dans laquelle baigne la pharmacologie psychiatrique et particulièrement celle du suicide.

Références