Archive pour décembre 2019

Diversité des marchés de l’addiction

vendredi 27 décembre 2019

Dans un passé récent, nos confrères prescrivaient encore la morphine avec la dévotion et la parcimonie convenant à ce produit miraculeux. Ancestrale invention de la pharmacopée qui, contournant l’inexorabilité de la mort, en a gommé les affres.

Puis, lorsque les logiques marchandes et financières ont laminé toutes les autres, l’opium et ses dérivés ont été promus pour des douleurs moins impératives. Les médecins qui se sont alarmés de cette dérive furent alors traités de barbares indifférents aux souffrances de leurs semblables.

Aujourd’hui, ces opioïdes et opiacés sont à l’origine de la plus importante calamité sanitaire qu’ait connu l’Occident depuis la fin des épidémies. Catastrophe prévisible puisque la dépendance aux morphiniques est rapide et irréversible. C’est maintenant à raison que l’on peut traiter de barbares les médecins qui tentent d’en priver leurs patients captifs. Ce marché est donc parfait, puisque les clients et leurs prescripteurs s’y sont eux-mêmes séquestrés. 

Il serait naïf de voir ceci comme une réussite commerciale inopinée. La recherche de l’addiction est au contraire une méthode utilisée depuis longtemps dans le commerce de l’alcool et du tabac, d’abord chez l’adulte, puis chez l’adolescent pour mieux en garantir le résultat.

Méthode que le monde pharmaceutique a poussée au paroxysme de l’ignominie avec deux classes de médicaments : les benzodiazépines (somnifères et tranquillisants) et les ISRS (antidépresseurs de type Prozac). Ces psychotropes ont trois particularités. Ils modifient l’humeur à court-terme, parfois dans le bon sens. Ils entraînent à moyen terme, une dépendance difficilement réversible. Enfin, leur bénéfice est quasi nul à long terme.

Cette absence de résultat sur les maladies visées incite de plus en plus médecins et patients à interrompre ces traitements. Hélas, cette interruption modifie l’humeur, souvent dans le mauvais sens. Les symptômes provoqués par le sevrage sont généralement plus graves et plus durables que ceux qui étaient visés par le traitement. Ceci devient alors un argumentaire prouvant l’utilité du traitement pour la santé mentale : voyez dans quel état vous met l’arrêt de ce médicament. Preuve dont l’absurde n’est pas décelable par ceux qui souffrent.

Les industriels du tabac et de l’alcool auraient pu prétendre que leurs produits étaient bons pour la santé, puisque l’arrêt de leur consommation provoque incontestablement des symptômes désagréables. Ils n’ont jamais osé le faire. Les industriels du médicament, eux, ne s’en privent pas. Ils se sentent protégés par l’a priori éthique du soin.

Connaissez-vous l’histoire de celui qui vient d’accumuler tous les déboires ? Il porte volontairement des chaussures trop petites pour lui, car il éprouve enfin un sentiment de félicité quand il les enlève le soir en rentrant chez lui ? Proposer cette thérapie comportementale à ceux qui souffrent ne serait pas plus grotesque que de leur proposer des ISRS.

Références

Diagnostics au supermarché

lundi 16 décembre 2019

Il est facile de critiquer big pharma qui fait des profits parfois indécents sur le dos des malades. Il est moins aisé de comprendre comment cette industrie a manipulé le concept même de maladie pour gagner le marché des bien-portants, plus lucratif que celui des malades dont le défaut commercial est de mourir ou de guérir trop rapidement.

Certaines de leurs manipulations trop grossières étant désormais décelées, les firmes doivent s’adapter et se diversifier. En ce sens, le marché du diagnostic se révèle encore plus prometteur que celui du médicament. Proposer un test diagnostique ou prédictif présente le double avantage de s’adresser à tous et de ne pas avoir à supporter la gestion juridique des effets indésirables des médicaments.

Tous les signaux indiquent que ce marché est attrayant, car beaucoup de nos semblables sont avides de divination pronostique. Plus de 50 millions de personnes ont déjà succombé aux divers profilages génétiques proposés par les géants du net.  

Une firme a proposé un test susceptible de déceler une seule cellule tumorale dans 10 ml de sang. Une autre a proposé un panel de plusieurs analyses, allant du simple cholestérol jusqu’à des tests ADN, sur une simple goutte de sang, comme le font déjà les diabétiques pour surveiller leur glycémie. 

Certains vont jusqu’à proposer la vente de ces tests dans les supermarchés : on chercherait alors un cancer potentiel ou son absence en allant faire ses courses.

Les autorités ont rapidement réagi à ces propositions dont la plupart n’ont aucune validité démontrée. Et, même si les résultats devenaient plus fiables, on ignore les conséquences comportementales sur des personnes n’ayant pas les connaissances appropriées pour les interpréter. Sans compter le stress occasionné par des résultats pathologiques réels ou supposés.

Les autorités ont donc réagi avec la précaution qui s’impose face à ces innovations exaltées, en attente des preuves de leur utilité pour la santé individuelle et publique. Pourtant ce marché continuera à prospérer en l’absence de toute preuve, car dans le domaine de la santé virtuelle, l’avidité de la demande dépasse curieusement l’abondance de l’offre.

On pourrait en effet penser que ceux qui veulent connaître obsessionnellement leurs risques d’être malade et de mourir, le font pour adapter leur mode de vie à la quête d’une longévité chimérique. Il n’en est rien. Les études en ce domaine montrent que la découverte d’un risque n’a aucun impact sur les conduites qui majorent ce risque. Un risque plus élevé de cancer ou de maladie cardio-vasculaire ne modifie ni les dépistages ni l’hygiène de vie.

Ainsi la demande de diagnostics et de pronostics est dépourvue de toute logique, les marchands ont bien compris que pour la faire prospérer, il faut faire des offres qui se dispensent de preuves et ne fournissent aucune logique.

Références

Maladies de légende

lundi 9 décembre 2019

En juillet 1969, lors de la mission Apollo 11, Neil Armstrong a fait les premiers pas de l’homme sur la lune. La médiatisation de cet évènement a fait le tour du monde.

Dans les jours suivants, une épidémie de conjonctivite hémorragique virale s’est répandue dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà. Les populations ont alors fait le rapprochement entre cette épidémie et la marche sur la lune. Le lien est évident ! Comme celui d’avoir été renversé par un autobus après une vaccination.

Le virus a vite été identifié, il s’agissait de l’entérovirus EV70, mais rien n’empêcha la population de le nommer ‘virus Apollo’. C’est le nom qu’il porte encore aujourd’hui.

Le candiru est une maladie connue depuis le XVIII° siècle, elle est provoquée par un petit poisson qui vit dans les eaux douces d’Amazonie. Elle se contracte en urinant dans une rivière, car le petit poisson peut remonter le long du jet, atteindre l’urètre et la vessie où il se fixe grâce à de puissants crochets. Il grossit alors et produit des milliers d’œufs qui provoquent de graves troubles de l’appareil urinaire.

Cette maladie est répertoriée dans l’index américain des maladies sous le numéro B88.8. Les tour-operator recommandent de ne pas uriner dans les rivières d’Amazonie. Internet diffuse des commentaires alarmants de patients et de témoins. Les poissons éclosent par millions. Ils dévorent les muqueuses de la vessie. Ils provoquent des hémorragies souvent mortelles.

Curieusement, aucun cas importé n’a été recensé à ce jour.

Le candiru est évidemment une légende que les indigènes avaient inventée pour faire peur aux premiers colons. L’idée était subtile, mais elle n’a pas empêché des millions de touristes de venir piétiner la biodiversité amazonienne sans savoir qu’une photo de smartphone n’en fournit aucune clé de compréhension. On finira par regretter que le candiru n’existe pas.

Je me souviens de mes patients prétendant avoir attrapé leur chaude-pisse sur la cuvette des WC. Je me souviens aussi du dahu de mon enfance, cet animal dont les pattes sont plus courtes d’un côté pour lui permettre de marcher à flanc de montagne. Il est ainsi condamné à faire le tour des monts toujours dans le même sens. Il suffisait de revenir bredouille de sa première chasse au dahu pour comprendre le jeu subtil de la légende qui nous avait fait marcher au vrai sens du terme.

Les contes enfantins sont devenus des fake news pour adultes. Tant de maladies nous guettent, tapies au fond de nos smartphones. Et il n’y a même plus besoin de marcher pour aller en vérifier l’existence.

Dangers de la vie et prodigalité des maladies.

Références

Vie et mort des dogmes du soin

mercredi 4 décembre 2019

La philosophie enseigne la différence entre dogme et théorie scientifique. Le dogme est irréfutable et immuable, alors que la science s’enrichit de l’opposition et de la mouvance. Tenter de consolider ou de détruire un dogme par une démarche d’allure scientifique conduit au grotesque, ou pire, à l’aliénation.

Inversement, certaines académies sont tentées par les dogmes. Les sciences biomédicales offrent de pittoresques exemples de cette tentation dogmatique. 

L’impératif du couchage du nourrisson sur le ventre a duré deux ou trois générations avant que les bébés retrouvent la sérénité du décubitus dorsal. La mort subite du nourrisson est ainsi revenue à sa fréquence d’avant le dogme.

Empiriquement lié à l’acidité gastrique, puis modèle de maladie psychosomatique, l’ulcère de l’estomac est désormais exclusivement dû à un microbe. Le prestige du prix Nobel, attribué à ce troisième dogme, va probablement retarder la théorie multifactorielle unificatrice, le seule dont la longévité pourrait rivaliser avec celle du dogme de la Sainte Trinité.

Pendant longtemps, il a fallu exorciser par le bistouri les amygdales et les végétations responsables de tous les maux de nos enfants. Combien de parents fidèles ont ainsi conduit leurs enfants au martyre. Certains les ont conduits jusqu’à la mort en écoutant les ‘prêtres’ qui avaient préconisé la destruction du thymus. Véritable djihadisme biomédical.

Aujourd’hui, HDL cholestérol, télomères, génomique et probiotiques ravivent le mythe de l’immortalité avec un surprenant succès.

Pendant un certain temps, les corticoïdes pour faire baisser la fièvre des enfants ont bénéficié à la fois de l’apparence du dogme et de celle de la science. Après avoir aggravé les infections, ils sont désormais essentiellement prescrits par des ‘théologiens’.  

Le traitement des lombalgies et sciatiques exigeait une immobilité absolue en position allongée. Après deux siècles d’escarres et de phlébites, les malheureux reclus sont désormais encouragés à marcher. Ici, tout est pour le mieux, puisque ce retour salutaire à la marche rejoint la volonté divine de notre bipédie.

Après avoir immolé des tonnes d’utérus, les pourfendeurs de la ménopause ont exigé un traitement hormonal pour éradiquer ce mal diabolique. On ne saura jamais combien d’innocentes ont été sacrifiées sur ces nouveaux bûchers. Aujourd’hui c’est l’ostéoporose qui a pris le relais de la rédemption ménopausique. Espérons vivement que ce nouveau dogme n’aura pas la longévité de celui de la conception virginale.

Les sciences modernes, biologie comprise, de plus en plus précises et solides, ont désormais des théories dont la durée de validité rivalise avec celle des dogmes. Seule la biomédecine se permet encore d’élaborer des théories fugaces mêlant poésie scientifique et rigueur dogmatique, avec un nombre toujours impressionnant d’affidés.

C’est toute la magie du soin.

Références