Archive pour juillet 2013

Médias et médecine

mardi 23 juillet 2013

Les grands médias ont toujours salué avec assiduité les progrès médicaux. Les succès de la médecine ont été largement vantés, souvent avec raison – reconnaissons-le –, malgré certains scandales retentissants.

Pourtant, depuis quelques années, les progrès sont de plus en plus ténus, et de plus en plus coûteux.  Chaque minute de vie gagnée coûte de plus en plus cher à la société. Conscients de cette baisse de rentabilité, les grands marchands de santé se concentrent désormais sur les promesses et le rêve. Depuis quelques décennies, on parle plus volontiers d’essais cliniques « en cours », ou de « nouvelles » études qui pourraient déboucher sur des thérapeutiques « prometteuses ».

Sans vouloir saper ce bel enthousiasme du progrès permanent, les méta-analyses et observations rigoureuses montrent des réalités qu’il faut révéler, dans le cadre de l’information éclairée que nous devons aux citoyens et aux patients. Même si la majorité d’entre eux ne sont plus vraiment dupes de cette mercatique sanitaire.

Les études et essais cliniques annoncés ne sont publiés que lorsqu’ils sont positifs. C’est-à-dire environ une fois sur trois (voire une fois sur cinq, pour les antidépresseurs, par exemple).

Les meilleurs résultats publiés, dans les plus prestigieuses revues médicales, sont réfutés trois fois sur quatre dans les années suivantes. Ces réfutations ne sont publiées et médiatisées qu’une fois sur quatre ou cinq.

La calculette nous indique assez crûment ce qu’il convient de retenir de tout cela.

Prenons le meilleur des cas : 1/3  x  1/4  x 1/4  =  1/48.

Prenons le pire des cas : 1/5 x 1/4 x 1/5 = 1/100

Cela signifie, en clair, que dans les succès médicaux à venir, annoncés par les médias, il y a entre une et deux chances sur cent que l’un d’entre eux soit utile aux patients dans les décennies à venir. Entre 1% et 2%, cela fait beaucoup moins que les 5% qu’exigent les statisticiens pour la significativité d’un résultat !

Et puisque, malgré notre admiration pour les progrès des sciences biomédicales, nous acceptons de jouer ici les rabat-joie, il faut ajouter que les médias fonctionnent avec la médecine à l’inverse de la SNCF. D’un côté, on ne parle que des trains qui arrivent en retard. De l’autre côté, un résultat médical positif est cité et médiatisé cinq fois plus souvent qu’un échec, même sévère.

Si les médias sont si tendres avec la médecine, c’est certainement que la puissance de l’industrie sanitaire sait mieux les asservir ou les émouvoir. Ou encore qu’un sentiment trop intime de leur finitude, diminue la lecture critique et la lucidité des journalistes, comme celles des patients et de leurs proches.

Mon répondeur chez le psychiatre

vendredi 5 juillet 2013

Les répondeurs automatiques qui vous donnent les choix 1, 2 ou 3, après avoir tapé dièse ou étoile, sont une conséquence du coût élevé du travail, de la consommation de masse et de la financiarisation de l’économie. Le système semble bien fonctionner, puisqu’il s’est répandu en quelques décennies à tous les secteurs publics et privés.

Nous avons été contraints de nous habituer à ces voix humanisées, au timbre suave et commercial. Parfois, la voix vous demande de parler, car son robot sait comprendre des mots simples. Il vous suffit de dire clairement : « abonnement », « panne » ou « oui » pour qu’une nouvelle voix vous propose de nouvelles étoiles ou de nouveaux mots simples. Parfois, la voix vous dit qu’elle n’a pas entendu clairement votre réponse, même si vous n’avez pas prononcé un seul mot. Et si vous précisez que vous n’avez rien dit, elle ne vous répond jamais que vous êtes stupide ; elle vous répète cordialement qu’elle n’a pas compris votre réponse.

Pour éviter les écueils de ces robots humanisés, on a inventé l’humain robotisé. Il travaille dans un centre d’assistance téléphonique, il habite parfois loin de chez vous, dans un pays où l’on ne peut pas toujours s’offrir la technologie pour laquelle vous avez besoin de son assistance. Afin d’éviter les colères et les conflits, il a un registre limité de questions et de réponses programmées, issues de la formation stricte qu’il a reçue. Il a été éduqué à ne jamais avoir d’humeur, et à vous donner son prénom au début et à la fin du dia/mono/logue.

En médecin, il m’arrive de penser que le système éducatif de ces robots humains, leur management par le stress, leur absence de syntonie et leur interdiction d’empathie, sont des facteurs favorisant les névroses et les maladies psychosomatiques. Certains auteurs pensent même que cette « hypersectorisation » de la société favorise les psychoses et les addictions.

Les plus atteints d’entre eux finissent alors à ma consultation. Bien calé dans mon fauteuil doctoral, sachant qu’un conseil ne coûte rien à la Sécurité Sociale, il m’arrive de leur conseiller un changement de travail. Et le patient me répond, désemparé ou stupéfait, que s’il avait trouvé autre chose, il aurait déjà changé… Que n’y avais-je pensé plus tôt ?

J’hésite alors à donner des psychotropes, preuve trop évidente de mon impuissance, source d’une nouvelle addiction, et cadeau ostensible à l’industrie pharmaceutique, actrice, elle aussi, de la financiarisation qui a provoqué les maux de mon patient. Je demande parfois un deuxième avis à un psychiatre. Certains sont très compétents et rompus aux pièges de l’environnement moderne… Quelques-uns d’entre eux se sont même mis à la télé-psychiatrie… C’est vous dire.