Archive pour décembre 2016

Dépression de noël

samedi 31 décembre 2016

Les pathologies varient selon les pays et les époques. Le terme de pathocénose désigne l’ensemble des maladies à une période donnée et dans un milieu géographique donné.

La dépression saisonnière est une forme particulière de dépression, rarement sévère, spécifique de nos latitudes, majoritairement entre le 40ème et le 50ème parallèle. Elle débute à l’automne avec un pic de premiers symptômes survenant peu après le passage à l’heure d’hiver. Avant d’être un diagnostic médical, elle était fort connue, et sa relation avec la baisse de luminosité avait été établie, comme le confirme l’amélioration des symptômes par la luminothérapie. Ce n’est pas un hasard si Noël et d’autres fêtes religieuses ou païennes ont été instaurées autour du solstice d’hiver, lorsque les jours sont les plus courts.

Mais son grand intérêt est de révéler les façons diamétralement opposées d’aborder une pathologie courante et banale.

Les botanistes et biologistes, dont les deux pieds touchent bien par terre, constatent sans surprise que l’homme, à l’instar des végétaux et de nombreux animaux passe par une période d’hibernation plus ou moins marquée. Cette pseudo-hibernation des dépressifs saisonniers est confirmée par leur hypersomnie et l’augmentation de leur appétit, contrairement aux autres dépressifs.

Les bio-thérapeutes, poussés par la recherche de brevets, cherchent des explications moléculaires autour de la photo-transduction rétinienne ou du métabolisme de la mélatonine. On pourrait en sourire si le projet n’était pas celui de piéger ces malades légers dans un traitement à vie.

Mais c’est le regard évolutionniste qui est le plus pertinent, le plus serein et le plus lucide devant ces patients qui guérissent toujours vers la mi-février. Homo sapiens a quitté son berceau Africain, il y a environ 100 000 ans. À l’échelle de l’évolution, c’est bien trop court pour que la totalité des individus soient adaptés à cette différence de longueur des jours et des nuits.

Étrangement, cette pathologie devient de plus en plus rare lorsque l’on monte vers les pays nordiques où les nuits sont parfois interminables. Pourquoi donc un tel paradoxe ? Réfléchissez-bien… Avoir un tel désavantage dans de tels pays est invivable, donc contre-sélectif. Seuls survivent ceux qui n’ont pas de problème avec le rythme circadien, à moins de pouvoir fêter Noël tous les jours de l’année.

Le regard évolutionniste en médecine est souvent la meilleure façon de comprendre et d’expliquer les troubles de nos patients. Dans ce cas, il nous permet de les protéger contre la prescription d’antidépresseurs qui transforment cette dépression réversible en une dépression chronique, par le jeu de la dépendance irréversible à ces médicaments.

L’art clinique doit être modeste, voire trivial. Les meilleurs traitements de la dépression saisonnière restent les lumières de noël, les feux du nouvel an et de l’épiphanie, et les chandelles de la chandeleur.

Références

On n’y avait pas pensé

dimanche 18 décembre 2016

Les études indépendantes montrant la grande toxicité du glyphosate (alias Roundup) sont de plus en plus nombreuses avec des résultats de plus en plus alarmistes. En réponse à ces alarmes, le fabricant pointe les biais de ces études selon le procédé classique de l’agnotologie, consistant à semer le doute dans tous les savoirs. Ce procédé fonctionne d’autant mieux face à la science qu’elle est, par essence, autocritique, dialectique, expérimentale et réfutable. Elle est donc une proie facile pour ceux qui incarnent l’antithèse de chacun de ces qualificatifs.

Curieux d’en savoir plus sur cette polémique, j’ai découvert d’anciennes publicités pour ce désherbant universel. On y voit des photos de champs remplis d’herbes indésirables et d’autres où toute végétation a disparu après l’épandage de l’herbicide. Les agriculteurs figurants sont figés de ravissement devant cette désolation végétale. L’évidence de la toxicité est telle que l’on a de la peine à comprendre qu’elle n’ait pas immédiatement sauté aux yeux des prospects de cette époque.

Les inévitables biais des études de toxicité nous apparaissent aujourd’hui bien dérisoires par rapport au fait que de telles études aient été jugées nécessaires. Car, paradoxalement, rien n’est plus difficile que de modéliser l’évidence.

Cet aveuglement devant l’évidence n’est pas l’apanage des agriculteurs, tous les acteurs des sciences du vivant semblent en être également victimes. Lorsque les marchands ont eu l’idée de vendre du lait de vache pour nourrir les nourrissons de femmes, ni les pédiatres, ni les sages-femmes n’ont noté cette discordance. Et le marché qui sait manifestement jouer avec les évidences a réussi à faire dire aux femmes elles-mêmes qu’elles n’étaient pas des vaches. Certes, il y avait de plus élégants procédés pour favoriser leur « libération », mais celui-là a bien fonctionné à une époque où les femmes étaient majoritairement confinées au foyer.

Ces laits en poudre, même « maternisés », ont multiplié par cinq ou dix les infections et hospitalisations des nourrissons, mais il a fallu faire des études pour s’en rendre compte. Nul n’avait jamais supposé que l’immunologie des hommes puisse différer de celle des bovins. L’évolution a produit pour chaque mammifère un lait strictement adapté aux besoins de ses petits, c’est vraiment judicieux !

Le glyphosate et le lait en poudre sont rassemblés ici, car ils sont emblématique de la même réalité : le marché est toujours dispensé des preuves de l’innocuité, et c’est à la science que revient d’apporter les preuves de la toxicité. Et la science se doit d’être parfaite, car rien ne semble moins évident qu’une évidence.

Post-scriptum : Il nous faut maintenant promouvoir l’égalité des chances et des salaires pour les femmes en même temps que la perfection de leur lait. Cela me paraît facile comparé aux exploits des marchands.

Bibliographie

Recyclage des antidépresseurs

mercredi 7 décembre 2016

Les préoccupations écologiques conduisent à promouvoir la revalorisation des déchets. Dans cette nouvelle économie du recyclage, il convient de noter la singulière façon d’agir de l’industrie pharmaceutique.

La grande classe des antidépresseurs est la plus démonstrative de ce recyclage. Ces produits destinés à combattre les dépressions majeures et les syndromes dépressifs appartiennent à trois familles pharmacologiques : les IMAO inusités, les tricycliques et les plus récents ISRS (inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) qui ont détrôné les deux premiers, car leur utilisation est réputée plus facile. Ces derniers ont été prescrits à tout va, depuis la petite déprime du lundi matin jusqu’à la grande mélancolie. Mais devant leur incapacité patente à guérir les dépressions et devant les graves dépendances qu’ils engendrent, plusieurs alertes ont été lancées.

Face à ce risque, les fabricants ont mis en place une forme particulière de recyclage : l’extension des indications. Mais cette extension a débordé le champ déjà immense des surdiagnostics de dépression, pour envahir d’autres champs de la médecine et de la vie quotidienne.

Les tricycliques ont, par exemple, été utilisés en pédiatrie dans l’énurésie (le pipi au lit) avec un modeste succès.

Puis, le hasard a montré que les ISRS sont assez efficaces dans les troubles obsessionnels compulsifs. Acceptons donc cette extension d’indication, même si les thérapies comportementales font toujours mieux.

Les antidépresseurs sont désormais largement utilisés dans le traitement des douleurs chroniques, notamment la fibromyalgie. Cette indication est plus logique puisqu’une dépression accompagne souvent ces douleurs, mais l’expérience confirme l’échec tout aussi chronique de ce traitement à moyen terme.

Après plusieurs échecs d’antidépresseurs dans l’obésité, une nouvelle pilule associant un antidépresseur avec un médicament d’aide au sevrage de la morphine revient à la charge contre l’obésité. La suite est connue d’avance…

Parmi les indications originales, il faut noter l’utilisation de deux antidépresseurs différents dans l’aide au sevrage tabagique.

Enfin, un nouvel antidépresseur vient d’être autorisé à la vente aux USA pour traiter les troubles de la libido et l’absence de désir féminin.

Que signifie un tel amoncellement d’indications ?

Faute d’avoir trouvé une définition correcte de la dépression, la médecine en a-t-elle conclu que tous les troubles, douleurs et maladies relèvent en partie d’une dépression ?

Nous avons au moins une certitude clinique pour les cas où ces nouvelles indications correspondraient à des pathologies encore mal identifiées : la prescription d’antidépresseurs génère au moins une maladie, incontestable et bien identifiée : la dépendance aux antidépresseurs.

Références