Archive pour mai 2017

Hystérie, quand reviendras-tu ?

lundi 29 mai 2017

Depuis les contorsions acrobatiques de la célèbre Augustine, devant les étudiants du docteur Charcot à l’hôpital de la Salpêtrière, l’hystérie a fini par disparaître de la liste des diagnostics médicaux.

Cette maladie romanesque était supposée provenir des ovaires et de l’utérus. Les hommes étaient épargnés, car l’on devait présupposer que les testicules n’avaient aucun pouvoir psychotrope.

Freud a fini par détruire le mythe ovarien, en affirmant l’origine psychique de l’hystérie ; mais il a surenchéri avec de nouveaux mythes machistes, en créant, entre autres, le pittoresque « complexe de castration ».

Puis avec l’évolution progressive des mœurs, de subtiles négociations diagnostiques ont conduit les femmes à réduire leur niveau d’hystérie au fur et à mesure que les médecins réduisaient leur niveau de machisme. Ce n’est pas encore gagné, mais nous y sommes presque : l’hystérie a été remplacée par les troubles somatoformes. Ce grand panier diagnostique regroupe tous les symptômes et douleurs induits par le stress et les conflits, symptômes qui viennent quotidiennement donner la preuve, tant aux hommes qu’aux femmes, qu’ils sont bien vivants.

Disons-le de façon elliptique : l’hystérie d’aujourd’hui, c’est lorsque la médecine d’aujourd’hui ne trouve rien.

Mais si Freud est révolu, Charcot est toujours en embuscade. La techno-médecine, qui a horreur du vide diagnostique, ne cesse de fouiller l’intime des molécules pour trouver la cause des symptômes de la vie. Pour les troubles somatoformes, l’imagerie médicale a enfin trouvé quelque-chose à se mettre sous la dent : les IRM fonctionnelles et tomographies à émission de positons ont objectivé des images cérébrales liées à ces troubles. « Voilà pourquoi, monsieur, votre fille est muette. »

Evidemment, deux nouveaux camps s’affrontent, ceux qui pensent que ces images cérébrales sont la cause du mal, et ceux qui pensent qu’elles en sont la conséquence.

De toute évidence, les images cérébrales font simplement partie de ces troubles, car si le psychisme est capable de réellement paralyser une jambe ou de provoquer une vraie douleur, il peut certainement perturber le fonctionnement de quelques molécules cérébrales.

Mais ne doutons pas de la puissance de feu des « molécularistes ». Une nouvelle hystérie va naître, avec une parité totale entre ovaires et testicules, car il n’est pas question de se priver de la clientèle des mâles qui représentent tout de même la moitié du marché potentiel de l’imagerie des troubles somatoformes.

Références

Radio-psychanalyse des actes manqués

vendredi 19 mai 2017

Psychiatres ou non, peu de médecins pensent encore aujourd’hui que la psychanalyse ait un rapport quelconque avec une démarche clinique ou scientifique. Ni art, ni science, elle n’est plus que la survivance d’une époque où quelques penseurs audacieux ont envahi les sciences cognitives et l’anthropologie avec une expertise de l’arrogance confinant au génie.

Notre pays est l’un des derniers où elle conserve une certaine vivacité, sous forme d’un commerce lucratif au fonctionnement sectaire. La dérive cognitive de ses ultimes penseurs ne se distingue plus de celle des pires obscurantismes.

Tout son vernis n’a pas encore craqué, et la couche restante continue à séduire certains médias. Des psychanalystes viennent ponctuer régulièrement les commentaires de faits divers ou d’évènements politiques, avec des propos péremptoires qui, comme par le passé, se parent des atours d’une vérité définitive. Qu’on en juge par quelques exemples…

Devant un drame rarissime comme celui d’un enfant décédé pour avoir été oublié dans une voiture en plein été, un psychanalyste a évoqué un « acte manqué », ajoutant l’ignominie à l’impensable. Anathème jeté cruellement sur de pauvres parents déjà délabrés par leur impossible erreur.

L’acte manqué serait l’expression d’un inconscient dont, par définition, on ignore tout. C’est un diagnostic récurrent chéri des psychanalystes. Le contester serait audacieux, car avec leur supériorité kafkaïenne, les psychanalystes ont durablement imposé l’idée que la contestation de leur méthode ou de leur diagnostic était elle-même une expression de cet inconscient pathogène.

Lors de l’affaire DSK, les psychanalystes interrogés n’ont pas manqué d’affirmer que le viol était un acte manqué pour échapper à la présidence de la république, et que la violée avait été trop sidérée pour se défendre et porter plainte immédiatement. Subtil combat d’actes manqués ! Cacophonie d’inconscients ! Les juges, plus pragmatiques ont conclu à la manipulation d’une opportuniste, indemne de coups, et dont le poids et la force musculaire étaient supérieurs à ceux de son agresseur sexagénaire et sans arme.

Plus pittoresque encore, et plus près de nous. Un psychanalyste évoquant la violence de Marine Le Pen, lors du débat du second tour des élections présidentielles 2017, a encore parlé d’acte manqué. Marine Le Pen, inconsciemment toujours, ne souhaitait pas, elle non-plus, accéder à la présidence de la République…

Un psychanalyste ne peut pas trivialement penser que l’héritière d’un parti familial a tout simplement hérité du système d’éducation et des gènes de ceux qui l’ont fondé.

Références

Cancer vaincu par la banalité

lundi 8 mai 2017

Depuis quelques années, la frénésie du dépistage a multiplié les diagnostics de cancer, jusqu’à créer un insoluble problème de terminologie. Nul ne sait plus comment différencier un cancer dépisté qui ne se serait jamais manifesté, d’un cancer qui s’est manifesté de lui-même. Ce problème est devenu majeur depuis que les études démontrent que les faibles gains de mortalité en cancérologie ne sont pas dus aux dépistages, mais presque exclusivement aux progrès des traitements de cancers évolués.

Cependant, cancérologues et industriels, par déni ou propagande, assimilent certains cancers à des maladies chroniques pour insister sur la longue durée de vie après diagnostic ; ce sont évidemment les cancers dépistés qui entrent dans cette catégorie. Il faudra alors parler de « cancers aigus » pour les autres.

Mais un problème encore plus épineux se profile, déjà évoqué ici, nous serons bientôt tous des cancéreux chroniques, si l’on en juge par de récents progrès théoriques et techniques.

Nous commençons à comprendre la longue série des mutations cellulaires précancéreuses et nous découvrons que ces mutations sont présentes chez de nombreux adultes. En faisant des biopsies de peau saine sur les paupières de 234 jeunes adultes, on a eu la surprise de découvrir que 25% d’entre eux étaient porteurs de mutations précancéreuses. Il est bien évident que la majorité de ces patients « positifs » n’auront jamais de cancer de la peau.

Une technique récemment mise au point par une équipe française permet de détecter les cellules tumorales circulant dans le sang (probablement aussi nombreuses), sans pouvoir encore préciser le type de cancer dont elles seraient éventuellement issues. Pour l’instant, la publicité présente ce test comme un moyen de surveiller les récidives ou métastases des « cancers aigus ». Mais elle souligne insidieusement qu’il pourrait être proposé à une population sans cancer identifié, en prenant cyniquement la peine de préciser qu’il faudrait une prise en charge psychologique en cas de résultat positif indiquant un cancer débutant (ou chronique !)…

Ne doutons pas que le commerce proposera prochainement ce test en dépistage généralisé, induisant des taux de positifs dépassant largement la réalité morbide du cancer.

Mais voilà peut-être la résolution de notre problème terminologique. La rapidité des progrès techniques et la frénésie du dépistage nous conduiront très bientôt à découvrir que 100% de la population adulte est porteuse d’au moins un « cancer chronique ». Le cancer chronique sera alors une banalité et nous pourrons alors abandonner tous les dépistages et consacrer notre énergie à essayer d’améliorer encore le traitement des « cancers aigus » (les seuls vrais), avec gravité, sagesse et lucidité, sans mercatique ni démagogie. Bonheur de refaire enfin de la vraie médecine, pas celle qui augmente la morbidité chez les bien-portants, mais celle qui la diminue chez ceux qui ont vraiment besoin de nous.

Références