Archive pour avril 2021

Quand le doux est dur

mercredi 28 avril 2021

Les médicaments de synthèse sont considérés comme chimiques, donc toxiques, alors que la phytothérapie et les compléments alimentaires sont considérés comme naturels, donc inoffensifs.  Cette divergence sur la « bonté » de la nature a créé deux clans adverses caricaturés par les mafieux des laboratoires et les extrémistes de l’alternatif. Leurs points communs sont la manipulation et la dissimulation qui caractérisent tous les commerces sanitaires.  

Les victimes naïves de la chimie pharmaceutique sont les plus nombreuses, mais 10% des intoxications médicamenteuses proviennent des médecines dites douces, dont les adeptes font preuve de la même naïveté.

Le thé vert réputé anti-oxydant, concentré dans des compléments alimentaires, provoque des hépatites parfois mortelles, de même que la valériane et le jin bu huan, vantés comme antidépresseurs et sédatifs.

Les obèses sont des victimes idéales de ces marchés alternatifs : hydroxycut, ma huang, acide usnique et germandrée petit-chêne provoquent de graves accidents de surdosage. D’autres produits amaigrissants cachent des extraits thyroïdiens.

Les enfants ne sont pas épargnés. Classiques constipations de la camomille ou troubles liés à l’alcool de certaines préparations homéopathiques. Mais qui pourrait croire qu’une infusion concentrée de feuilles de framboises pendant la grossesse peut induire une fermeture prématurée du canal artériel chez le fœtus ? Des crèmes contre l’eczéma dissimulent la présence de corticoïdes à des taux si élevés qu’ils peuvent inhiber les surrénales.

On estime que 2% des hospitalisations relèvent d’une interaction entre un médicament et un complément alimentaire ou produit de phytothérapie. Le millepertuis interagit avec de nombreux médicaments à faible marge thérapeutique. Les omega-3, le curcuma et la graine de lin potentialisent les antithrombotiques. De redoutables interactions surviennent entre le thé vert et la digoxine, la lévothyroxine et le calcium. Le Ginseng inhibe un cytochrome qui métabolise des médicaments, pouvant augmenter leur concentration, jusqu’à des taux mortels.

L’obsession commerciale autour de la ménopause concerne tous les clans. Pourquoi les phytoestrogènes seraient moins toxiques que les autres ? Les études révèlent qu’ils augmentent aussi la croissance tumorale et qu’ils inhibent l’effet des antiestrogènes utilisés dans le cancer du sein.

Les accidents des médecines douces sont difficiles à diagnostiquer, car les patients persuadés de leur innocuité n’en informent pas les médecins. Ces accidents augmentent avec les arnaques d’internet, les sectes des réseaux sociaux et le commerce d’origine chinoise.

En matière de santé, il n’y a rien d’anodin. Belle occasion de rappeler que pour la majorité des maux, les câlins, le sport et l’abstention thérapeutique suffisent largement, en préventif comme en curatif. Le pire danger est d’induire, dès le plus jeune âge, l’idée qu’il faut un médicament pour guérir : porte ouverte à toutes les addictions futures.

Références

Auteurs suspects

vendredi 16 avril 2021

Pasteur avait qualifié le vin de boisson saine et hygiénique. Nul n’oserait suspecter Pasteur de conflit d’intérêts au prétexte qu’il possédait une vigne. Dans les années 1980, une baisse de la consommation du vin a conduit à diverses publications dont la plus connue est le fameux « french paradox » : les français, malgré la bonne chère et le foie gras ont une faible mortalité cardio-vasculaire qui serait due aux effets bénéfiques des antioxydants du vin rouge. D’autres études ont montré des bénéfices contre le cancer du poumon, la maladie d’Alzheimer, le stress et autres misères de la vie, faisant bondir les ventes outre-Atlantique. Puis le slogan des « trois verres » a suivi, sans vraiment préciser s’il fallait les atteindre ou ne pas les dépasser.

Pasteur, dans sa défense de l’aspect culturel du vin, les aurait-il approuvées en apprenant leur financement par des viticulteurs bordelais ? Qui peut savoir ? Aujourd’hui l’alcool, sous toutes ses formes est pointé comme l’un des plus gros fardeaux sanitaires dans 195 pays, et si notre vin garde sagement sa place culturelle, il a perdu sa place médicale.  

Certains scientifiques ont prêté leur nom à une cause commerciale de façon plus fallacieuse. Le grand généticien Ronald Fisher suggéra que ce n’était pas le tabac qui provoquait le cancer du poumon, mais l’inflammation des bronches, due à un cancer débutant, qui provoquait l’envie de fumer. Ses liens très concrets avec l’industrie du tabac ont été découverts plus tard. D’autres l’ont suivi, car les industriels du tabac ont les moyens de la pêche aux « gros poissons », ces leaders d’opinion dont le prix est aussi élevé que leur renommée. Ce type de marketing est tellement efficace que la discrétion n’est même plus nécessaire, comme le confirment les propos de notre plus éminent cancérologue français sur les vertus du tabac chauffé. Les menaces sur le chiffre d’affaire des cigarettes imposent que leur substitut soit d’emblée immaculé.    

Les études démontrant que sauter le petit déjeuner du matin est néfaste pour la santé et majore le risque d’obésité, ont été financées par Kellogg’s. Le financeur n’est pas toujours aussi facile à dénicher.

Les grands champions de l’insidieux sont ceux qui ont déclaré que 65 % des cancers sont simplement dus à la malchance, leur étude parue dans Science a été très médiatisée. Pour s’offrir un article dans Science, il faut de la rigueur, cette étude était mathématiquement parfaite, malgré sa base biologique honteusement biaisée. Il faut aussi de l’argent ou sa promesse, les auteurs possèdent une start-up sur la « biopsie liquide », méthode de dépistage précoce des cancers dans le sang. L’avenir est prometteur, surtout si l’on est convaincu que les cancers sont essentiellement dus à la malchance. Lorsqu’une étude est mirobolante et très médiatisée, avant de s’évertuer sur ses biais, il faut d’abord trouver le financeur, c’est difficile ; il faudrait aussi lever le secret bancaire en Suisse, c’est impossible.

Références

Une impossible aumône

mercredi 7 avril 2021

Chaque année, en France, 15 000 tonnes de  médicaments non utilisés sont rapportées aux pharmaciens. Cela ne représente que 40% du gaspillage, les 60% restant s’accumulent dans les placards à pharmacie des particuliers ou terminent dans leur poubelle. Soit un total de 37 000 tonnes de médicaments qui s’ajoutent aux autres nuisances chimiques. En estimant à 60 gr le poids moyen de chaque boîte,  tube ou flacon, et à 10 € son prix moyen, le gâchis est de 6 milliards d’euros.

Par ailleurs, la consommation totale de médicaments dépasse les 60 milliards d’euros. En comparant les prescriptions entre  pays, et en évaluant le poids de la pathologie iatrogène, on peut affirmer que dans notre pays, plus de la moitié des prescriptions sont inutiles, abusives ou dangereuses.

Ainsi, les 6 milliards d’euros qui finissent à la poubelle ou dans les incinérateurs ne sont rien en regard des 24 milliards qui trouent les estomacs, détruisent les reins et le foie, provoquent des addictions, des chutes, des fractures, des comas, des suicides, des homicides et autres effets secondaires mineurs plus volontiers inscrits sur les notices. Il est beaucoup plus difficile d’évaluer le coût des réparations de cette iatrogénie.

En santé publique, on essaie parfois d’évaluer le coût d’une année/qualité de vie gagnée. Par exemple, la scolarisation des filles en Afrique est le meilleur rapport entre l’argent investi et le gain d’années/qualité de vie (AQV). À l’autre extrémité se trouvent les chimiothérapies en cancérologie qui ont un piètre rapport. Plus récemment, tous les coûts additionnés de la crise du Covid dépassent les 500 milliards pour un très faible gain global en raison de l’âge des victimes. On peut aisément imaginer qu’après l’accalmie qui permettra des comptes plus sereins, aucun pays ne pourra jamais investir de montants supérieurs par AQV.

Par contre, nous pourrions avoir des rendements bien meilleurs que celui de la scolarisation des filles en Afrique, en économisant tous les milliards de la gabegie médicamenteuse, puisque le coût serait négatif pour un appréciable gain d’AQV.

Cette dialectique comptable est bien austère et ces centaines de milliards me donnent le tournis. J’imagine que ces chiffres sont encore plus vertigineux pour ceux qui comptent chaque centime d’euro en fin de mois. Une idée serait de leur donner en argent les sommes qu’on ne leur donnerait pas en médicaments destinés à soigner leurs carences, leurs fatigues et leurs dépressions. J’ai tout à fait conscience de la loufoquerie et de l’utopie de ce propos. Car en leur donnant ces médicaments labellisés par l’académie, on leur fait honneur, alors qu’une aumône les humilierait.

Le soin est toujours plus noble et plus majestueux, tant pour celui qui donne que pour celui qui reçoit, même quand il dégrade la santé.  

Référence