Archive pour novembre 2010

Souvenirs de Médiator

vendredi 19 novembre 2010

Le laboratoire Servier a toujours été un brillant marginal. Je me souviens que c’est le seul laboratoire qui m’a offert un livre écrit par son patron, Jacques Servier, un homme de conviction. Le titre du livre était : Le médicament, inventer ou mourir.  

Le laboratoire Servier se positionnait franchement comme un laboratoire de recherche et d’innovation. Cette image était un point fort de sa stratégie marketing. En cela, il ne différait pas des autres, mais il le faisait avec un petit côté franchouillard qui n’était pas pour me déplaire. J’avoue avoir, moi aussi, une certaine tendance cocorico.

Servier, c’était bien évidemment le gliclazide alias Diamicron®. Quel généraliste n’en a pas prescrit des tonnes ? On l’opposait volontiers au glibenclamide alias Daonil®. Il y avait une tendance qui faisait du Diamicron le sulfamide hypoglycémiant des généralistes et du Daonil celui des spécialistes. Ce genre de subtilités sans véritable base scientifique est difficile à interpréter. Il résulte probablement du marketing. Les mini-jupes des visiteuses Servier auraient-elles eu plus d’impact sur les généralistes que sur leurs éminents confrères ? Il ne me plaît guère de l’admettre. Les omnipraticiens étaient-ils plus patriotes tandis que l’atlantisme scientifique gagnait déjà les spécialistes qui ne pouvaient décemment pas prescrire une molécule à la fois gauloise et généraliste ? Je n’en sais rien, mais à défaut d’être logique, c’était intéressant à décrypter.

Servier, c’était aussi le Daflon® sur lequel, bien évidemment, je n’ai rien à dire.

Servier c’était aussi, hélas, l’interminable déclinaison des dérivés amphétaminiques, Pondéral® et Isoméride®, entre autres, sur le marché juteux de l’obésité qui montre régulièrement sa propension à passer brutalement de la gloire à la déchéance. Je regrette encore les quelques boîtes de Pondéral® que j’ai prescrit dans ma fougueuse jeunesse. Le récent retrait du Sibutral et de bien d’autres à venir, oblige à se poser définitivement la question du curatif en matière d’obésité. La physiologie nous signifierait-elle ainsi certains domaines où seul le préventif aurait droit de cité ?

Servier c’est aussi le Mediator® dont on parle beaucoup en ce moment. Si je cède, à mon tour, au panurgisme – qui n’est pas mon plus gros défaut – ce n’est pas pour tirer sur l’ambulance, mais en raison de souvenirs précis autour de ce désormais bien triste benfluorex.

Je commençais par être quelque-peu agacé par les méthodes de promotion de nos chers laboratoires, en particulier, je n’appréciais pas la fâcheuse habitude qu’avait pris Servier de toujours présenter des médicaments hors-catégorie. Chaque molécule n’appartenait à aucune classe déjà connue et inaugurait un groupe original. Quelle surprenante créativité ! Mediator était de ceux-là : ni sulfamide, ni biguanide, il était proposé dans le diabète de type 2. Je disposais déjà du Glucophage® et du Diamicron® (précisément) pour une pathologie qui ne me paraissait pas justiciable de l’engouement curatif international qu’elle continue de susciter. On a proposé bien d’autres classes thérapeutiques depuis, dont l’Avandia®, avec les nouveaux déboires que nous savons. Tout cela pour de fort maigres résultats, en termes de gain de vie[1], et pour une pathologie qui mérite d’être redéfinie[2].

Bref, j’avais provisoirement banni le Mediator de mes prescriptions. Ce bannissement est devenu définitif lorsque les indications de cette molécule ont, subrepticement d’abord, puis franchement ensuite, basculé vers l’obésité. Non pas que je néglige mes patients obèses, bien au contraire, je refuse d’ajouter un fardeau à celui qu’ils ont déjà à porter. Ainsi, la mollesse des hasards et la rigidité de mes principes ont réussi à m’épargner toute prescription de Mediator. C’est la vraie vérité. Pas un seul petit comprimé.

Pardonnez cette fierté dérisoire. Lorsque, comme tous mes confrères, je ressasse mes fautes, mes négligences et mes erreurs, dont certaines ont peut-être été des pertes de chances ou de vie, il est si bon de pouvoir s’extraire avec certitude d’une nouvelle culpabilité de la médecine.

Je souhaite de tout mon cœur que la liste des morts du Mediator n’augmente pas. Je compatis aux problèmes majeurs que doit affronter le personnel du laboratoire Servier. Je regrette pour eux qu’ils aient eu un ministère laxiste qui n’a pas su les arrêter à temps. Nous savons depuis bien longtemps qu’un marchand ne sait jamais s’arrêter tout seul, il faut l’aider. D’autres pays d’Europe ont réagi bien avant.  La franchouillardise, la peur d’augmenter le chômage ou de diminuer le PIB sont de vraies qualités jusqu’au moment de l’aveuglement qui les transforme en défaut.


[1] Boussageon R., Boissel J.P. Le traitement pharmacologique du diabète de type 2. Médecine. 2009 ; 5(10) : 443-8.

[2] Luc Perino. Diabète de type 2, une aberration nosographique. Médecine. 2010. 6(7) : 331-3.

Cancers : le slogan est grossier.

jeudi 4 novembre 2010

Toutes les campagnes incitant au dépistage des cancers répètent invariablement la même phrase. Chaque nouvelle découverte diagnostique ou thérapeutique en cancérologie est inévitablement encadrée par cette phrase : « 90% des cancers dépistés tôt guérissent ». Véritable « slogan » qui semble devoir résumer toute la communication autour de ce grave problème de santé individuelle et publique.

Cela est à la fois une vérité absolue et une déconcertante stupidité. Pour rendre ces deux assertions compatibles, il suffit de définir les mots et les concepts.

Qu’est-ce qu’un cancer ? Dans l’acception actuelle, un cancer est une tumeur qui évolue irrémédiablement vers la métastase et la mort. Peu importe que ce cancer soit clinique ou infra-clinique, c’est-à-dire perçu ou non par le patient. Le consensus actuel ne fait aucune différence entre un cancer dépisté et un cancer diagnostiqué.

Qu’est-ce que la guérison d’un cancer ? Ministères et spécialistes affirment d’un commun accord qu’un cancer est guéri lorsqu’en l’absence de récidive, le patient est vivant cinq ans après la découverte de la tumeur.

Ces deux définitions étant les piliers du paradigme, la phrase des 90% est exacte. On peut se permettre d’en faire un slogan et de le faire courir sur toutes les ondes sans risque d’être accusé de mensonge. Tout est pour le mieux.

Permettez-moi cependant de poursuivre…

Choisissons comme définition de la stérilité : une femme qui atteint l’âge de trente ans sans avoir eu d’enfants. Sur cette base terminologique, une femme qui a un enfant à l’âge de trente-deux est une femme stérile qui a eu un enfant. C’est absolument stupide, je le concède. C’est pourtant très exactement, et sans nuance, ce qui se passe en cancérologie.

Si une tumeur infraclinique, découverte par dépistage, est supposée apparaître cliniquement dans dix ans et vous tuer dans vingt ans, vous serez guéri cinq ans avant d’être cliniquement malade et quinze ans avant d’en mourir. Et si cette tumeur microscopique ne doit jamais évoluer ni vous tuer, vous en serez tout de même guéri et j’en suis ravi pour vous.

Pardon, je n’ai pas vraiment envie de plaisanter sur un sujet aussi dramatique, cependant, dans les deux cas, votre diagnostic et votre guérison seront comptabilisés de la même façon !

Etonnant, non !

La rigueur scientifique devrait commencer par définir le cancer et sa guérison. Un slogan pour inciter au dépistage relève de bons sentiments, pas de la science, sauf si le dépistage de masse fait la preuve de son efficacité. Hélas, les publications sont de plus en plus nombreuses pour dénoncer la très faible rentabilité en QALY[1] des dépistages de masse – je dis bien de masse – que plusieurs pays abandonnent. [2]

Les voies de recherche en cancérologie ne manquent pas. L’énorme affect qui entoure ce sujet en fait naturellement une cible politique et commerciale de premier plan. Alors, pour n’être jamais suspect de démagogie ni de vénalité, préférons la rigueur terminologique à une compassion vaine et désordonnée.

Ne prenons pas le risque majeur d’être contre-productifs. Souvenons-nous d’un excès de promotion vaccinale contre la grippe dont les premiers résultats néfatses apparaissent déjà en diminuant la couverture vaccinale d’autres vaccins très utiles.


[1] Quality adjusted life year. Ce qui signifie en bon français : années-qualité de vie gagnées.

[2] On trouvera une riche bibliographie dans : L. Perino. Il est urgent de repenser la cancérologie. Médecine, Vol 6, N° 4, 2010, p 170-174 et N° 5, p 228-232.