Archive pour février 2019

Douleurs et fatigues chroniques

mercredi 20 février 2019

Les troubles psychosomatiques, tels qu’une tachycardie d’angoisse, une rougeur de gêne ou une acidité gastrique de stress, sont mesurables.

Inversement, pour les troubles somatoformes, tels que des douleurs ou des paralysies sans lésion, aucune technologie médicale, si sophistiquée soit-elle, ne peut ni les objectiver ni en déterminer l’origine. Depuis la fort mal nommée hystérie des anciens, ces troubles ont diminué en nombre et en intensité. D’une part, le progrès des investigations biomédicales a permis de confirmer certaines pathologies (hypothyroïdie auto-immune expliquant des fatigues, endométriose expliquant des douleurs, etc.). D’autre part, les plus bénins de ces troubles réagissent bien aux diverses psychothérapies.

Cependant, les douleurs et fatigues chroniques continuent d’échapper à ces deux cercles vertueux. Rien ne marche.

La médecine en a logiquement cherché des causes infectieuses. Dans les années 1930, le terme de « patraquerie brucellienne » a été créé pour désigner une fatigue générale supposée être une réaction tardive à une brucellose (on ne parlait pas encore d’hypersensibilité retardée). Puis la brucellose a quasiment disparu. Plus tard ce sont des virus (EBV, XMRV) qui ont été désignés, avant que leur responsabilité ne soit finalement démentie. Des vaccins ont également été mis en cause. Aujourd’hui, c’est la maladie de Lyme qui est souvent évoquée. Y aurait-il une « patraquerie lymienne » d’explication immunologique ? Pourquoi pas ?

Pour dissimuler son impuissance, la médecine a donné des noms divers à ces troubles : syndrome de fatigue chronique, fibromyalgie, encéphalomyélite myalgique, myofasciite à macrophages. Autant de noms qui soulèvent d’incessantes polémiques entre médecins et qui créent des situations conflictuelles avec des patients exigeant une confirmation biologique de leur souffrance.  

La question est donc de savoir si nous ne trouvons rien, parce que nos moyens d’investigation sont encore trop faibles, ou parce qu’il s’agit vraiment de troubles somatoformes.

Pourtant les recherches génétiques et métaboliques sont de plus en plus profondes et précises ; certains ont détecté des particularités de la protéine G ou du collagène. Mais chaque anomalie est si brève ou si insignifiante, que nul ne peut dire si elle est cause ou conséquence d’un mal plus diffus ou d’une souffrance psychologique. Certains commencent à croire que la vérité est inaccessible, voire métaphysique. D’autant plus qu’antidépresseurs, vitamines, acupuncture et antalgiques ont tous été testés sans succès. Le seul point vraiment positif est l’effet bénéfique de l’exercice physique.

Quand je pense que j’ai fait autant d’études pour n’avoir même plus besoin de débrouiller les cas cliniques et pour n’avoir à prescrire que l’exercice physique pour toutes les perturbations cardio-vasculaires, métaboliques, immunologiques ou psychologiques, cela me déprime.

Références

https://lucperino.com/619/douleurs-et-fatigues-chroniques.html

Homophobie contre-productive

mardi 12 février 2019

Classiquement, en biologie, l’évolution des espèces opère au niveau individuel : les individus les plus favorisés dans un environnement donné ont un meilleur accès à la reproduction, donc à la diffusion de leurs traits avantageux.

Lorsqu’un trait non avantageux se maintient à un taux relativement élevé, cela pose un problème théorique. Ainsi, l’homosexualité mâle est un trait préjudiciable à l’espèce puisqu’elle entraîne un déficit de fécondité. Il est donc difficile de comprendre comment un tel trait a pu se maintenir à une fréquence stable de 2% à 6% dans toutes les populations humaines. Cette énigme constitue un véritable paradoxe darwinien.

Si nous admettons que tous les traits ont un support génétique, il est encore plus difficile de comprendre comment les gènes de l’homosexualité peuvent se transmettre. Les biologistes ont résolu cette énigme en montrant que la sélection d’un tel trait se situe à des niveaux supérieurs à celui de l’individu.

On constate une nette supériorité de la fécondité féminine dans les lignées parentales des homosexuels masculins. Un modèle génétique conclut à l’existence d’un pool génique sur le chromosome X dont l’expression est sexuellement antagoniste, en augmentant la valeur sélective et la fécondité chez la femme et en la diminuant chez l’homme. Une étude plus récente suggère une meilleure attractivité des hommes hétérosexuels de la lignée. Il y aurait donc un avantage d’appariements et de fécondité dans la lignée parentale des homosexuels mâles. On parle alors de « sélection de parentèle »

 Une autre théorie situe la sélection à un niveau supérieur : le niveau sociétal. Une société est dite « stratifiée » lorsque son organisation économique et politique conduit à des catégories sociales inégales en termes de pouvoir, de prestige et de richesse. Plus une société est stratifiée, plus les traits associés à une ascension sociale sont sélectionnés ; cependant ces traits ne dépassent jamais une certaine fréquence, car ils sont d’autant plus avantageux qu’ils sont rares. Certains auteurs ont montré que de telles sociétés présentent une fréquence relativement élevée de préférence homosexuelle mâle, car elle favorise l’ascension sociale de femmes dites « hypergynes », c’est-à-dire porteuses de signaux de haute fécondité.

Ces types de sélection, à des niveaux supérieurs à celui de l’individu, sont, pour l’instant, les meilleures explications du paradoxe darwinien de l’homosexualité mâle.

Enfin, l’homophobie pourrait contribuer à la diffusion des gènes de l’homosexualité, en contraignant les homosexuels à se cacher. Le mariage hétérosexuel est une dissimulation parfaite, mais il favorise la diffusion des gènes. Ainsi, une société homophobe aurait paradoxalement un taux d’homosexualité mâle supérieur à celui d’une société tolérante.

Les intrications complexes entre biologie et culture rendent donc l’homophobie contre-productive.

Références

Tout l’or de la psychiatrie

lundi 4 février 2019

Tout l’or de la psychiatrie

Dans notre pays immensément riche, l’armée, la recherche, la police, la justice, l’éducation, la culture et le sport se plaignent tour à tour de la misère de leur budget. Ces plaintes itératives interrogent les concepts de richesse et de misère. Dans le domaine de la santé, cher à mon cœur, les lamentations financières de mes confrères hospitaliers ou libéraux de toutes spécialités suscitent les mêmes interrogations.

Aujourd’hui, alors que la psychiatrie médiatise à son tour sa détresse budgétaire, je me rappelle un article fameux, paru en 2011, sur le fardeau des maladies mentales en Europe. L’ensemble de ces maladies touche de 15% à 30% de la population selon les analystes.

– 15% lorsque l’on ne considère que les plus invalidantes : psychoses, autisme, addictions, obsessions et phobies.

– 30 % lorsque l’on inclut la nébuleuse des dépressions et anxiétés multiformes.

Quel que soit le chiffre retenu, ce pourcentage est « monstrueux » en termes d’épidémiologie. Seule la peste a réussi à dépasser un tel ratio.

Tous ces patients nécessitent une surveillance régulière et ont besoin d’une assistance, soit ponctuelle, soit tout au long de leur vie. Il n’est donc pas surprenant que les professionnels en charge de ce soutien s’estiment régulièrement en sous-effectif. Ces malades sont également les plus gros consommateurs d’arrêt de travail, obligeant les personnes saines à les suppléer dans tous les secteurs de l’économie et de l’administration. Enfin, ils sont de gros consommateurs de psychotropes dont les effets secondaires provoquent un surcroît d’énigmes diagnostiques, d’hospitalisation et d’accidents.

Il faut donc ajouter à ces 15 ou 30%, autant de personnes gestionnaires et victimes. Tout économiste vous prouverait qu’aucun pays ne peut supporter les coûts directs et indirects de ces pathologies. J’ajouterai : surtout si ces pays sont riches et possèdent corrélativement des exigences élevées de soin.

Je ne suis évidemment pas opposé à l’augmentation du budget de la psychiatrie, car je n’ai pas envie de me faire lapider. Cependant je me permettrai d’exiger au préalable une définition de la maladie mentale. Car si nous continuons à subir cette inflation de diagnostics et de psychotropes, tous les secteurs de l’économie seront bientôt en sous-effectif par le truchement des arrêts de travail. Les épargnés seront alors surmenés et victimes de burnout, venant encore gonfler le taux des « maladies mentales ». 

Ainsi, tout l’or du monde ne pourrait jamais satisfaire les nouvelles exigences budgétaires, car le budget est un trompe-l’œil qui masque le problème humain.

Enfin, la psychiatrie devrait mieux étudier l’explosion épidémique des maladies mentales dans notre riche Europe. Ce phénomène résulte-t-il de la richesse ou de l’environnement technologique et social qui a créé cette richesse ?

Dans les deux cas, l’argent n’est pas la solution

Références