Archive pour mars 2012

Allume-feu

vendredi 23 mars 2012

Il n’existe pas de bonne médecine, en tout cas pas de médecine scientifique moderne sans anglicisme.

Cela ne signifie pas que les pays anglophones aient une médecine exclusivement scientifique et moderne, mais seulement que la science a besoin de mots universels pour que l’étude des phénomènes complexes soit extensive et contradictoire.

« Allume-feu » se dit « kindling » en anglais. Pour les campeurs, l’objet est très pratique quel que soit le pays ou la langue qui le nomme.

En médecine, l’allume-feu est inconnu mais le « kindling » existe. C’est le fait qu’une pathologie cyclique, épisodique ou critique se déclenche de plus en plus facilement.

Pour une épilepsie, le kindling correspond à l’abaissement du seuil de déclenchement des crises.

Pour une polyarthrite rhumatoïde, c’est l’augmentation du nombre de périodes douloureuses ou inflammatoires.

Chez un patient bipolaire c’est l’augmentation du nombre d’épisodes dépressifs ou maniaques

Chez un patient bipolaire, les drogues et substances psychoactives favorisent le kindling.

Chez un patient bipolaire les antidépresseurs ne sont pas indiqués, ils favorisent le kindling et les cycles rapides et sont délétères sur l’évolution de la maladie.

Pour les autres psychotropes, la question reste en suspens. Seuls les thymorégulateurs semblent adaptés pour l’instant à cette maladie à la clinique polymorphe.

Certains auteurs vont jusqu’à affirmer que la maladie bipolaire concernerait en réalité 5 à 6% de la population au lieu des 2% actuellement admis et diagnostiqués.

Lorsque l’on sait que les prescriptions erronées d’antidépresseurs concernent plus de la moitié de ces patients.

Lorsque l’on sait que toute la littérature médicale sur le sujet a pour conséquence de conduire à toujours plus de diagnostics et à toujours plus de prescriptions, il y a vraiment lieu de s’inquiéter.

Tous ces « allume-feu » vont favoriser la prévalence du diagnostic et des crises maniaques et dépressives dans la population.

Si les sciences biomédicales modernes nous fournissent des anglicismes justes comme « kindling » pour mieux étudier les pathologies, cela ne veut pas dire qu’il faille oublier le latinisme de « l’allume-feu ».

Car si nous continuons à négliger aussi superbement tous les feux que nous allumons, la science clinique reculera et la pathologie critique deviendra la norme sociale.

Courte histoire du diagnostic.

vendredi 2 mars 2012

Dans l’antiquité,  le diagnostic avait une valeur divinatoire qui donnait un sens à la mort. Puisque l’on pouvait mourir de tout, il était réconfortant de savoir que l’on n’allait pas mourir de rien.

Puis les médecins hippocratiques et leurs successeurs romains et arabes ont décrit et nommé les maladies avec une précision qui nous étonne encore aujourd’hui. Ces diagnostics avaient la beauté d’un art qui faisait pardonner au médecin son absence totale  d’impact sur les destinées biologiques et médicales.

Cet art a progressivement acquis une minutie confinant presque à l’obsession au siècle des Lumières où la  «nosologie méthodique » recensait 10 classes, 44 ordres, 315 genres et 2400 espèces de maladies.  Les patients mouraient toujours, faute de traitement, mais réconfortés de savoir que leur médecin était aussi savant qu’un entomologiste.

Puis avec la méthode anatomo-clinique, le diagnostic est devenu très médical et très exact. Les patients mourraient sans soins, mais avec des certitudes.  N’était-ce pas là une part de l’idéal que tant de religions cherchaient depuis si longtemps ?

Puis la libération de la chirurgie par l’anesthésie générale, la révolution pastorienne et quelques miracles comme celui de l’insuline, ont brutalement rompu cette harmonie lascive. On vit naître deux types de diagnostics. D’un côté, les triviaux, techniques et fats, débouchant sur des actions thérapeutiques capables d’éloigner la mort. De l’autre les nobles, inutiles  et élégants perpétuant l’art médical en maintenant l’ignorance des choses de la vie.

Enfin, la société marchande a totalement fait disparaître l’inertie thérapeutique. Il n’y eut plus aucun diagnostic sans action médicale immédiate. Même s’il persistait ça et là quelques vacuités nosographiques, la  « natura medicatrix » d’Hippocrate n’avait plus droit de cité. Bel adage pour le marché : « Même si le patient n’a  rien, on peut toujours faire quelque-chose ».

Aujourd’hui, la tendance s’est complètement inversée. Ce sont les traitements qui précèdent les diagnostics. Lorsque la pharmacologie découvre une synapse ou un gène, elle en cherche les porteurs fragiles. La statistique révèle que ces porteurs sont plus nombreux que ni médecins ni patients ne l’imaginaient. Il ne reste plus qu’à trouver le nom de la maladie qui caractérise cette fragilité synaptique ou génétique.

On accuse alors les médecins de mollesse diagnostique, comme on leur reprochait avant leur inertie thérapeutique. Pour y remédier, il suffit de trouver un test qui fait le diagnostic directement sur le gène ou sur la synapse et l’indolence du diagnostic disparaît sous la science exacte.

Ainsi, malgré cette inversion de la pratique médicale, l’erreur historique n’a pas été reproduite. Alors que l’art diagnostique avait été choyé et promu au détriment de la thérapeutique, le nouvel art thérapeutique a su entraîner le diagnostic dans son sillage. Réjouissons-nous-en.

Le CIM compte désormais plus de maladies que n’en comptait la nosologie méthodique des Lumières. Le déficit cognitif léger lié à l’âge est promis à un bel avenir, le trouble psychotique léger s’apprête à faire son apparition dans le DSM V. Il existe aussi de plus en plus de cancers légers que l’on guérit très longtemps avant qu’ils n’apparaissent.

Rien ne semble devoir arrêter ce nouvel engouement pour le diagnostic.

La prééminence du diagnostic nous permettait de mourir avec des certitudes, la nouvelle prééminence de la thérapeutique nous permet d’avoir ces certitudes beaucoup plus tôt.