Archive pour janvier 2012

Restons obèses et pragmatiques

mercredi 18 janvier 2012

L’obésité fascine l’Occident. Il ne se passe pas un jour sans un article sur l’excès de poids. Pas une semaine sans une nouvelle sociologie de l’alimentation ou sans la création d’un nouveau produit « light ». Pas un mois sans l’intervention d’un psychologue sur les troubles des conduites alimentaires. Pas un trimestre sans l’annonce de la découverte d’un nouveau gène prédisposant à l’obésité. Pas une année sans qu’un gourou nutritionniste n’annonce le régime miracle qui fera maigrir la population occidentale.

Aucun doute, les médias ont une obsession pour l’obésité et tiennent table ouverte aux sociologues, psychologues et généticiens. Lorsque ceux-ci déclinent les invitations par lassitude ou résignation, il y a toujours un charlatan de rechange pour relancer la polémique sur ce sujet majeur de santé publique. La barre se redresse alors plus ou moins brutalement en direction de la science exacte. La recherche biomédicale est abondamment financée et débouche sporadiquement sur des remèdes qui sont, sans aucune exception, inefficaces et dangereux. Comment pourrait-il en être autrement ?

Toujours dans le registre des constatations cartésiennes, l’obésité est un phénomène très récent dans l’histoire de l’humanité, du moins sous la forme épidémique qu’elle connaît aujourd’hui. Enfin, plus un pays développe d’aliments légers, d’associations de patients, de méthodes d’accompagnement, plus un pays affiche de compassion pour le drame de l’obésité, plus le phénomène s’aggrave. Étonnant, non ?

Tout physiologiste sensé et sans conflit d’intérêt, a compris depuis longtemps que la solution ne se situe pas en aval du problème, mais en amont. Malheureusement, aucun physiologiste n’a les moyens d’agir en amont du problème.

L’obésité est l’effet collatéral d’un faramineux marché dont les moteurs ne sont rien moins que l’industrie automobile, l’allaitement artificiel du nourrisson et l’industrie agro-alimentaire et sur lesquels règne en maître la télévision qui en est la fois actrice, par la sédentarité induite, et vectrice, par la promotion des autres marchés.

Puisque nulle science ni nulle politique ne saurait mettre un terme à ce marché d’amont, la seule solution qui permet d’éviter le suicide des chercheurs biomédicaux et autres physiologistes est de savoir leur faire profiter au mieux de ce fabuleux marché d’aval que procure l’obésité.

Depuis que l’homme a cessé de marcher, il ne peut plus vivre sans le marché.
Et puis, les enfants des chercheurs ont aussi le droit de regarder la télévision et de manger en excès.

Rappel de 30 000 PIP

lundi 9 janvier 2012

En parlant du problème des prothèses mammaires PIP, plusieurs journalistes ont annoncé qu’il faudrait « rappeler » 30 000 femmes. Le terme « rappeler » utilisé de cette façon a pu en choquer certains, car il nous renvoie, entre autres, au rappel de certains véhicules pour des problèmes techniques constatés sur une série déjà vendue.

Pourtant le terme est tout à fait exact, puisque le problème concerne un élément très précis du corps des patientes concernées et qu’il s’agit exclusivement de technologie. Il n’y est question ni de profil psychologique qui pourrait moduler la fragilité d’un organe, ni de prédisposition particulière qui ferait varier les conséquences de l’exposition à un virus ou à un toxique quelconque.

Non, ces femmes sont bien toutes égales devant le danger, elles sont porteuses d’une pièce défectueuse, potentiellement dangereuse à l’usage et qu’il convient de remplacer par une autre. Il n’y a donc plus rien à voir avec la médecine clinique traditionnelle ni avec l’analyse diagnostique ou l’expertise pronostique du clinicinen. Nous somme ici devant une situation innovante de l’histoire socio-sanitaire, un cas de santé publique binaire et mécaniste.

Du point de vue épistémologique on oppose volontiers la conception de l’organisme forêt à celle de l’organisme robot.

Dans la première, les ADN, protéines, cellules, tissus et organes interagissent en permanence pour moduler et atténuer toute perturbation locale à la manière d’un écosystème en équilibre. Les praticiens adeptes de cette conception sont plus attentistes.

Dans la seconde, chaque pièce défectueuse doit être immédiatement réparée ou changée pour ne pas perturber l’ensemble. Les praticiens adeptes de cette vision cybernétique sont très interventionnistes.

Evidemment, chaque médecin a une logique imposée par sa spécialté, la vision de l’infectiologue ou de l’endocrinologue est plus écosystémique et celle du chirurgien orthopédiste est plus cybernétique.

Dans la cas des prothèses PIP, la logique cybernétique est perturbée par une économie sous-jacente de type maffieux, ce qui n’est pas le cas dans l’industrie de la robotique !

Ce problème sanitaire est une nouveauté sociologique et épistémologique comme la médecine marchande sait nous en gratifier de plus en plus souvent.

Pourra-t-on bientôt admirer trente mille forêts après avoir « rappelé » trente mille robots ?