Archive pour mars 2023

Cardiologie et plomberie environnementales

lundi 27 mars 2023

Chacun choisit sa médecine non seulement en fonction des maux qu’il vit, mais aussi en rapport avec ses croyances et son mode de raisonnement. Tel conservateur prendra les mots de l’académie pour une vérité définitive, tel aventurier se livrera sans précaution aux chamanes et gourous, tel mystique s’offrira aux bistouris où il verra la main de Dieu, tel geek adoptera un régime nutritionnel à l’ésotérisme démonstratif, tel philosophe évitera les soins trop consensuels.  

Les ingénieurs sont passionnés par la cardiologie, probablement car le système cardiovasculaire leur paraît relever d’une logique plombière avec sa pompe, ses valves et sa tuyauterie ; les mesures mécaniques de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle confinant à la fascination.

Un de mes patients polytechnicien s’étonnait de voir sa pression artérielle s’élever en altitude, alors que la pression atmosphérique diminue. Son raisonnement était théoriquement parfait. La pression artérielle étant le produit du débit cardiaque (nommée précharge par les cardiologues) par les résistances périphériques (postcharge). La baisse de la pression atmosphérique diminuant la postcharge devrait aussi diminuer la pression artérielle. CQFD.

Je lui répondis (trop) vite que l’effort pour monter en altitude avait augmenté sa précharge ; mais il avait prévu cette (stupide) remarque en me précisant que sa pression artérielle restait élevée, même au repos.  

Je lui expliquais que la précharge et la postcharge dépendaient elles-mêmes de nombreux autres paramètres (muscles et tissus des artères et du cœur, fonction rénale, saturation en oxygène, viscosité et composition sanguines, etc.), chacun étant soumis à son tour à des régulations hormonales et nerveuses. J’allais jusqu’à mettre la médecine en danger en disant que nous ne connaissions qu’une infime partie des centaines de facteurs de régulation de la pression artérielle.

Il me fit remarquer judicieusement qu’entre 0 et 5000 m d’altitude, la pression atmosphérique était divisée par deux, passant de 750 à 375 mm de mercure. Baisse considérable comparée aux 120 mm de notre pression artérielle.

Il me restait l’argument environnemental de la concentration en oxygène de l’air ambiant, facteur qui mobilise encore plus de paramètres. Devant ses réticences, je lui assénais le coup final : après quelques mois en altitude, l’organisme finit par compenser tous les facteurs environnementaux et ramène la pression artérielle à son niveau usuel.

N’ayant pas vérifié ce fait, il l’accepta avec élégance. Il en conclut que le travail des cardiologues était plus facile que celui des plombiers, car les cumulus ne s’adaptent pas à leur environnement, il faut les changer trois fois plus souvent lorsque l’eau est calcaire. Et enfin, notre accord fut total sur le bénéfice cardiologique de la marche en montagne.

Longue consultation financièrement moins rentable que celle d’un mystique ou d’un philosophe, mais beaucoup plus riche.

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Recyclages

mercredi 15 mars 2023

En ces temps de préoccupations écologiques, le recyclage propose de donner une nouvelle vie aux plastiques, aux métaux et aux divers objets qui envahissent notre espace.

L’industrie pharmaceutique en a une conception particulière, plutôt que de recycler ses déchets en de nouveaux creusets, elle cherche de nouvelles indications thérapeutiques pour les molécules dont le commerce s’essouffle ou le brevet expire. Les essais cliniques qui accompagnent ces recyclages ont des résultats parfois positifs et souvent insolites.

Les glitazones qui se sont révélées inefficaces et dangereuses dans le traitement du diabète type 2 ont été relancées pour le traitement de la leucémie myéloïde chronique.  

Le thalidomide dont chacun connaît l’histoire catastrophique est aujourd’hui indiqué dans le lupus, les aphtoses sévères et le myélome.

Nous connaissons les amphétamines, ces drogues dont de multiples dérivés ont été déclinés par Servier. Si ce laboratoire a connu le fiasco du Médiator, d’autres ont été plus heureux avec la Ritaline indiquée dans le trouble déficitaire de l’attention chez l’enfant et dont les prescriptions augmentent vertigineusement sans trop émouvoir.

L’hydroxychloroquine, ce vieil antipaludéen, présente un intérêt dans la polyarthrite et le lupus et a été récemment proposé à grand bruit contre la covid-19.

Les douleurs chroniques sont un casse-tête, car toutes les drogues finissent par s’y fracasser ; aujourd’hui l’engouement se porte sur les antiépileptiques et les antidépresseurs. Ces derniers sont également prescrits dans l’énurésie, les troubles obsessionnels, le sevrage tabagique, l’obésité et la dysfonction sexuelle féminine.

D’une manière générale, les psychotropes figurent toujours au palmarès de ces extensions thérapeutiques. Le succès initial des neuroleptiques dans la schizophrénie a entraîné l’une des plus importantes dérives du recyclage, ils ont été proposés sans recherche supplémentaire pour des maux aussi divers que vomissements, insomnies, asthme, prurit, douleurs, ou encore, de façon plus fantaisiste, troubles des règles, anxiété banale ou déshydratation du nourrisson. On leur a récemment trouvé une vertu pour la covid-19, encore elle.

Mais la palme revient assurément aux statines, ces médicaments destinés à baisser le taux de cholestérol. On a réussi à leur trouver quelque efficacité dans la sclérose en plaques, l’asthme, la schizophrénie, la maladie bipolaire, l’ovaire polykystique, la migraine et treize types de cancer dont évidemment ceux du sein et de la prostate. On les a testés sans succès dans la démence, et enfin dans diverses infections dont… je vous laisse deviner laquelle.

Le génie mercatique ne cesse de m’étonner : après avoir cherché des molécules pour les maladies, on cherche aujourd’hui des maladies pour les molécules. Cependant, le succès de plusieurs de ces recyclages impose deux conclusions scientifiques : toutes les maladies sont plurifactorielles et aucune molécule n’a qu’un seul effet.

Références bibliographiques

Rendons à César

vendredi 3 mars 2023

Après les polémiques soulevées par McKeown qui contestait le rôle de la médecine dans l’augmentation de l’espérance de vie, on peut désormais évaluer plus sereinement les parts respectives de la médecine et des autres progrès.

Précisons que l’espérance moyenne de vie à la naissance (EMVN) est sans rapport avec la longévité de notre espèce. L’EMVN est une donnée statistique qui varie considérablement en fonction de l’époque et de l’environnement, alors que l’âge des doyens de l’humanité varie fort peu.

La diminution de la mortalité infantile est, de loin, la première cause d’augmentation de l’EMVN. En France en 1740, l’EMVN était de 25 ans car la mortalité infantile avant un an (MI) était de 25%, et la moitié des enfants mouraient avant 10 ans. L’EMVN était de 40 ans en 1840, ce bond de 15 ans en un siècle est dû à la vaccination antivariolique et aux premiers progrès de l’hygiène.

Ensuite, l’EMVN est passée de 45 ans en 1900 à 65 ans en 1950. Ces vingt années de vie gagnées sont liées à la baisse de la MI qui est passée 15% à 5% pendant ce demi-siècle. La moitié de ce gain est attribuable aux vaccins et l’autre moitié aux progrès sociaux (confort, école, habitat, travail).

L’EMVN a encore progressé de 13 ans dans la deuxième moitié du XXème siècle pour atteindre 78 ans. Certes, la MI a encore baissé jusqu’à 0,5%, mais les adultes ont aussi largement participé à ce gain pour diverses raisons non médicales : arrêt des guerres et nouveaux progrès techniques et sociaux. La médecine y a encore participé pour moitié grâce aux antibiotiques, aux progrès de la chirurgie et de l’obstétrique et à une meilleure prise en charge des maladies cardio-vasculaires.

Depuis 2000, la France a encore gagné 4 années d’EMVN, mais celle-ci stagne ou régresse dans une douzaine de pays de l’OCDE. La MI s’est stabilisée en dessous de 0,4%. La part sociale n’est plus significative, voire régresse pour diverses couches de population. La part médicale est indirecte par les alertes hygiéno-diététiques (sédentarité, tabac, sucre, viande), sa part directe devient insignifiante à quelques exceptions près comme le dépistage anténatal et les progrès du traitement des cancers infantiles. Mais le traitement des cancers de l’adulte n’a pas d’impact sur l’EMVN en raison de l’âge avancé de leur survenue : on estime que l’éradication de la totalité des cancers ne ferait pas gagner plus de deux ans d’EMVN.

En résumé, sur les 60 années de gain d’EMVN en trois siècles, il faut en attribuer une moitié à la médecine (vaccins, antibiotiques, hygiène, prévention, obstétrique et chirurgie).

Aujourd’hui, la médecine semble avoir épuisé ses moyens d’action directe, si ce n’est à un coût faramineux par minute de vie gagnée. Elle peut même contribuer à la baisse d’EMVN, comme le montre la crise des opioïdes aux USA. Pour de nouveaux gains significatifs, il faudrait supprimer le sucre, le tabac, la sédentarité et les pesticides. Faudra-t-il attribuer ces gains à César ou à ses sbires ?

références