Archive pour octobre 2012

Après l’étude de Tuskegee

vendredi 19 octobre 2012

En 1932, à Tuskegee en Alabama, quelques médecins américains souhaitèrent étudier plus à fond la syphilis, un des deux fléaux d’alors avec la tuberculose.

Leur étude visait tous les stades évolutifs de la syphilis et de ses complications, par l’examen détaillé des signes cliniques biologiques et radiologiques, jusqu’à l’autopsie finale des patients.

Pour en observer l’évolution « naturelle », il fallait supprimer tous les traitements et laisser les patients vaquer à leurs occupations. Si nous jugeons cela avec les yeux de cette époque où les traitements, à base d’arsenic,  étaient toxiques et peu efficaces, l’éthique est presque sauve.

Ils avaient sélectionné un groupe de métayers afro-américains, c’est une façon élégante de dire de « pauvres noirs ». Même avec les lunettes de l’époque, l’éthique venait de prendre un premier mauvais coup. Soyons encore indulgents puisque les patients recevaient un repas chaud par jour ainsi que des soins gratuits pour leurs autres maladies. La famille recevait même 100 dollars pour les obsèques, à condition de donner son accord pour l’autopsie.

En 1943, la découverte de la pénicilline fit faire un bond historique à la médecine. Ce médicament se révéla immédiatement efficace sur toutes les formes de syphilis et fit disparaître ce fléau en quelques décennies… Sans résistance connue à ce jour.

Les chercheurs de l’étude de Tuskegee ont alors dissimulé les informations sur la pénicilline à leurs patients. Ils ont même réussi à les faire dispenser de la guerre en cours, car l’armée soignait ses soldats avec la pénicilline, ce qui aurait perturbé l’étude. Là, nous ne pouvons plus pardonner, mais nous voulons trouver une circonstance atténuante dans cette guerre terrible où les morts par milliers pouvaient rendre dérisoires les souffrances terminales de quelques patients syphilitiques.

Pourtant, la paix ne modifia pas leur entêtement, puisque cet essai clinique s’est prolongé pendant trente ans. Ici, ni pardon, ni circonstance atténuante. En 1967, un médecin de santé publique du nom de Peter Buxtun, avait alerté les autorités, sans succès, jusqu’à ce qu’il parvienne à faire éclater le scandale par la presse en 1972.

L’intérêt historique de cette étude est d’être à l’origine de l’adaptation des lois de bioéthique aux essais cliniques et de la création des organismes de contrôle des expérimentations humaines à la fin des années 1970.

Elle présente deux autres intérêts moins souvent relevés.

Les « gentils » étaient alors les industriels qui avaient mis au point un traitement miraculeux que de « méchants » médecins interdisaient à leurs patients. Aujourd’hui, la situation est inverse, il faut tricher pour donner des traitements aux bien-portants. Les nouvelles lois de bioéthique ayant « dispersé » les « méchants », l’industrie n’a aucune peine à trouver les « coquins » qui leur succèdent. C’est simplement plus cher.

Cette histoire nous révèle enfin que l’éthique ne semble pas être innée chez les normatifs, puisque l’administration l’ignore tant qu’elle n’a pas été contrainte de pondre des lois pour la définir. C’est pour cela que les affaires et les scandales continuent, puisqu’il subsiste de nombreux registres et sous-registres où la loi reste à (ré) inventer, à défaut de morale primate.

Merci aux normopathes et aux nosophobes

jeudi 4 octobre 2012

La normopathie se définit comme le trait d’une personnalité qui se conforme aux normes sociales de son époque sans se poser de questions, ni éprouver de culpabilité, de contrainte ou de frustration.  Sans que, jamais, sa subjectivité ne s’exprime d’une quelconque manière.

Même le mal, lorsqu’il est érigé en dogme, comme ce fut le cas à certaines périodes de l’Histoire, peut se répandre sans résistance chez les normopathes. C’est ce qu’a évoqué Hannah Arrendt, spécialiste des dictatures et génocides du XX° siècle, sous le terme de « banalité du mal ».

Pour l’ingénierie biomédicale qui a désormais remplacé la médecine clinique, le normopathe est un patient idéal qui se conforme à tous les mots diagnostiques et à toutes les décisions thérapeutiques sans jamais émettre le moindre doute. Le normopathe finit par ne plus savoir s’il est porteur d’une maladie individuelle, car ses douleurs et ses symptômes sont ceux que la médecine lui a attribués.

Après un scanner, le normopathe perd sa souffrance subjective pour assumer celle que lui dicte la subjectivité du radiologue. Le normopathe accepte sans rechigner toutes les amputations des parties de son corps où l’anatomopathologiste a détecté une cellule suspecte.

Son cousin, le nosophobe diffère par la part de rêve et de romantisme dont le normopathe est dépourvu. La nosophobie (noso = maladie) est la peur omniprésente d’attraper la maladie dont on parle. Beaucoup d’étudiants en médecine ont eu une courte période de nosophobie devant l’énumération sans fin des maladies possibles. Le nosophobe se soumet à tous les dépistages organisés, sa peur du H5N1 ou d’autres virus est proportionnelle à la durée de leur exposition médiatique, il ressent les déficits cognitifs et les excès de cholestérol dès que les épouvantails pharmaceutiques les brandissent.

Les normopathes et les nosophobes sont une aubaine pour le commerce médical, car ils permettent de multiplier les actes à l’envi. Dans notre système inflationniste de paiement à l’acte, indépendant de la teneur de l’acte, les normopathes et les nosophobes finissent toujours par dompter les praticiens les plus récalcitrants au lucre… Ma maison, comme celle de mes confrères médecins, radiologues ou chirurgiens a été largement financée par les normopathes et les nosophobes. Nous ne les remercierons jamais assez.

Le ministère de la santé devrait tenter d’éradiquer la nosophobie avant même de s’attaquer à toutes les autres pathologies. La Sécurité Sociale devrait faire la chasse aux normopathes, ces dilapidateurs de deniers publics. Or, il n’en est rien, le Ministère stimule la nosophobie par le truchement des médias qui relaient sa démagogie et la Sécurité Sociale donne des primes aux médecins qui dépistent les maladies inconsistantes que les normopathes endosseront avec discipline. Allez comprendre !

On ne peut même plus montrer du doigt les médecins cupides qui s’engraissent sur le dos des normopathes et des nosophobes, car ils le font avec la bénédiction du Ministère et les encouragements de la Sécurité Sociale

Et toujours plus de résidences secondaires vacantes, ouvertes deux semaines par an, vont venir polluer notre littoral.