Archive pour septembre 2009

L’épidémiologie et le peuple

vendredi 18 septembre 2009

De toutes les disciplines de la médecine, l’épidémiologie est la plus complexe. Elle nécessite de solides bases mathématiques et statistiques, un sens de l’analyse et de la synthèse et une grande rigueur dans la sémiologie. Les experts doivent en outre posséder des qualités personnelles de placidité et une propension naturelle à la dialectique et à l’épistémologie.

Les universitaires en comprennent souvent mal les données et rares sont les médecins qui savent les utiliser en pratique. Quand à la pénétration de cette science dans le grand public, elle est aussi faible que celle de la physique quantique.

Parmi les thèmes d’application de cette science, celui de l’infectiologie est bien plus ardu que celui des maladies cardio-vasculaires, par exemple, ou que tout autre thème du domaine sanitaire. En effet, l’histoire naturelle des maladies infectieuses est plus chaotique, compte tenu de la variabilité – au sens darwinien du terme – des agents infectieux et de l’état immunitaire des populations, tous deux influencés par de nombreux facteurs écologiques et sociaux.

Enfin, parmi les maladies infectieuses, la complexité physiopathologique va croissant des parasitaires aux bactériennes, pour atteindre le niveau maximum avec les maladies virales où les variations individuelles de l’hôte sont les plus fortes.

Tenter de vulgariser l’épidémiologie des maladies virales est un défi aussi téméraire que vouloir expliquer les différences entre les deux principales théories d’unification des particules : la théorie des cordes et sa concurrente de la gravité quantique à boucles. Pour ma part, après quelques essais infructueux, j’ai abandonné lucidement ma quête de savoir dans ces deux domaines.

Mon ultime question sans réponse est pourquoi les tentatives de vulgarisation de l’épidémiologie des maladies virales sont pluriquotidiennes alors que la gravitation quantique à boucles est dédaignée par tous les vulgarisateurs cathodiques ?

L’avenir du syndrome grippal

samedi 5 septembre 2009

Dans les dossiers de nos patients, nous avons chacun nos petites manies pour résumer en quelque mots l’essentiel de la consultation du jour : douleurs abdominales banales, crise migraineuse majeure, malaise de type vagal, contrôle d’hypertension, rhino-pharyngite, SEP en poussée, etc.

Pour la multitude des fièvres inexpliquées qui nous arrivent en hiver ou à la mi-saison, j’avais pris l’habitude, comme la plupart de mes confrères, de gribouiller le fameux « syndrome grippal » qui, bien que pouvant correspondre à une multitude d’étiologies virales ou non, avait le pragmatisme de dire exactement ce qu’il voulait dire, c’est-à-dire en termes clairs : « on ne panique pas, on attend et on laisse faire la nature. »

S’il s’agissait d’une vraie grippe, on le saurait bientôt, car la fièvre augmenterait et les désagréables symptômes classiques apparaîtraient, qu’il faudrait évidemment savoir moduler en fonction de la pusillanimité du patient.

Les temps ont changé. Le poids sémantique du « syndrome grippal » a augmenté considérablement en proportion du poids médiatique et économique de la terrible maladie qu’il est supposé taire ou annoncer. Aucun de nos mots et de nos gribouillages ne peut plus être anodin dans le nouvel inconscient sanitaire. Nous devrons donc apprendre la parcimonie dans chacun de nos propos. Le moindre dérapage verbal pourrait entraîner la fermeture d’une école ou d’une usine et paralyser l’économie d’un village, voire d’une région tout entière. Quelle énorme responsabilité civique !

J’encourage donc mes confrères à rédiger leurs fiches à la manière d’un discours politique, avec une méticuleuse prudence. Nous pourrions par exemple parler de FPI (fièvre provisoirement inexpliquée) ou FPA (fièvre provisoirement anodine) ou mieux FAJ (fièvre en attente de jugement.)

Essai sur les électrohypersensibles

mardi 1 septembre 2009

Les téléphones portables et leurs inélégantes antennes relai étaient déjà la proie des médias. Ils sont récemment devenus la proie des magistrats avec l’application du principe de précaution.

Pour les cigarettes, le principe de précaution a consisté à inscrire sur les paquets que fumer tue. Je ne vois donc pas de raison majeure à cesser la commercialisation des téléphones portables. Il suffit d’inscrire sur le boîtier que téléphoner peut tuer.

Cette boutade ne fait pas avancer le problème et il est bien difficile d’avoir une opinion, car tout ce que l’on dit peut se retourner contre nous. On est dans le camp des barbares si on soupçonne la moindre hystérie pour les symptômes des électrohypersensibles ou la moindre phobie pour les tumeurs cérébrales à venir. Inversement, on est mis dans le camp des écolos fanatiques si on suggère qu’il faudrait faire quelques études sérieuses pour s’assurer de l’innocuité de cette envahissante modernité.

Pour les cancers à venir, c’est certain, je n’ai pas d’opinion et je ne pourrais sans doute pas en avoir de sitôt, car l’étude qui permettrait de conclure avec certitude exigerait une telle rigueur méthodologique et inclure un nombre si élevé de personnes qu’il paraît mathématiquement impossible de savoir avant un demi-siècle. Prenons-en pour preuve les sévères critiques envers l’étude de cohorte « Interphone », dirigée par le très sérieux CIRC.

Pour les symptômes présents des électrohypersensibles, je n’ai pas d’opinion non plus, car il m’est tout à fait impossible de me mettre dans leur peau. Par contre l’étude qui permettrait de dévoiler avec une certitude absolue la moindre hystérisation des symptômes ressentis est extrêmement facile à faire. En appliquant la méthode du double insu contre placebo, il suffirait de quelques centaines d’individus répartis au hasard dans deux chambres émettant ou non des ondes. Un formulaire neutre permettrait ensuite de noter les symptômes ressentis. Il serait également possible d’émettre de légers bruits comme leurre dans l’une ou l’autre chambre alternativement. Un tel essai dont le coût ne me paraît pas exorbitant suffirait à définir avec une irréprochable précision statistique, la réalité des symptômes allégués.

La seule question qui doit donc se poser dans ce dossier du téléphone portable est celle de savoir pourquoi un essai aussi simpliste sur la réalité des nuisances immédiates n’a pas été fait avant d’entamer la longue coûteuse et hasardeuse étude interphone sur les nuisances à long terme.

Sur les différentes réponses possibles à cette question, j’avoue ne pas avoir d’opinion non plus. On pourrait me dire qu’avec si peu d’opinion, j’aurai mieux fait de me taire.

En effet…

Sauf si vraiment personne n’a jamais eu l’idée de faire une étude aussi évidente.

Reconnaissons que c’est peu probable…