Archive pour juin 2012

Somatogenèse ou psychogenèse

lundi 18 juin 2012

Cela fait vingt ans déjà que dans son « anthropologie de la maladie »[1], Laplantine affirmait que la médecine accepte de plus en plus l’idée d’une somatogenèse des maladies mentales et de moins en moins celle d’une psychogenèse  des maladies somatiques.

Le mouvement s’était amorcé depuis longtemps avec les fissures de plus en plus visibles de la mythologie freudienne. Oui le cerveau était un organe comme les autres soumis à la génétique, aux pathologies congénitales ou gravidiques, à la chimie des drogues et médicaments, aux polluants, aux virus, aux parasites et au système immunitaire.

L’estomac ou le colon, avec leur physiologie orientée vers la digestion, présentent des manifestations pathologiques révélées par des troubles du transit et de la digestion.  Il est naturel que le cerveau, physiologiquement orienté vers des processus mentaux, manifeste ses pathologies par des troubles mentaux. Il faut être théiste pour penser que le cerveau humain a une origine céleste, ou être misogyne, comme l’était Freud, pour penser que ses dysfonctions proviennent de la mère ou de la grand-mère.

N’en doutons pas, le processus de la somatogenèse des maladies psychiatriques est irréversible dans un monde ou l’IRM a remplacé le surmoi. Tant mieux.

Fallait-il pour autant s’empresser de rejeter la psychogenèse des maladies somatiques ?  Il n’y aurait donc plus de psychogenèse pour aucun organe quel qu’il soit, cœur, cerveau, peau ou thyroïde. Le clinicien attentif ne peut s’y résoudre.

Le psychisme existe indépendamment de toute pathologie. Le profil anxieux, l’imagination créatrice, la capacité d’empathie ou la faculté de syntonie sont des caractéristiques individuelles comme le sont la couleur des cheveux, la tonicité veineuse ou le périmètre thoracique. Nul ne peut nier la composante psychique du seuil de douleur, l’effet du stress sur le transit et la tension artérielle ou le rôle de l’émotion sur le niveau de la réaction allergique.

La couleur des yeux oriente l’appariement sexuel, donc la vie de couple qui s’en suit. La taille influence la carrière professionnelle, donc la quantité cumulée de stress. Les parents modulent l’imagination créatrice et le degré d’autonomie qui feront accepter ou refuser une intervention chirurgicale, avec des conséquences majeures sur toute la médicalisation qui peut en découler. L’anxiété porte au dépistage des maladies qui majore à son tour l’anxiété en un interminable cercle vicieux générateur de pathologie iatrogène.

Savoir démêler les subtiles intrications entre la psychogenèse, la somatogenèse, l’environnement et l’histoire individuelle relève d’une grande expertise clinique. Il serait erroné de croire que cette expertise  a disparu. Elle est au contraire mieux aiguisée chez un grand nombre de mes confrères généralistes. Elle n’a simplement plus jamais droit de cité, car la cité adore un nouveau dieu Soma qui règne sur la pathologie comme, en son temps, un certain Yahvé domina l’anthropologie.

Ce dieu-là néglige les patients, les médecins et la science qui se prosternent mal.


[1] François Laplantine. « Anthropologie de la maladie ». Payot. 1992. P 101.

Arithmétique du DSM

lundi 4 juin 2012

Le premier manuel diagnostique et statistique des maladies mentales, plus connu sous le nom de DSM 1, a été publié en 1952. Il comportait la définition et la description de cent maladies mentales.

Il a été suivi des versions DSM 2 et  DSM 3 qui contenaient respectivement la description de deux cents et de trois cents maladies mentales.

L’actuel DSM 4, publié en 1994 et révisé en 2000, en dénombre 400.

Le DSM 5 qui doit paraître au cours de l’année 2013 contient la définition de 500 troubles mentaux.

Tout lecteur attentif aura remarqué que le nombre de pathologies mentales découvertes dans le monde, est corrélé de façon hautement significative au numéro de la version du DSM qui les décrit. Cette corrélation est constante dans le temps sur plus d’un demi-siècle d’observation et répond à un coefficient multiplicateur de 100.

En psychiatrie, il y a toujours eu deux clans qui se sont opposés violemment.

D’une part, les analystes qui ont eu une lourde tendance à catégoriser l’environnement pour ne pas avoir à catégoriser les patients. Leur DSM était vide.

D’autre part, les pathologistes qui ont travaillé minutieusement sur les signes pathognomoniques pour tenter de catégoriser les patients. Leur DSM comportait une douzaine de maladies.

Les uns, comme les autres ont toujours été regardés avec condescendance par les artisans des sciences « dures », car leurs deux psychiatries restaient désespérément « molles »

Il semble qu’un troisième clan soit en train de prendre définitivement le dessus…

Alors, les paris sont ouverts…

Si dans une ou deux décennies, la version 6 contient 600 maladies, nous pourrons alors affirmer que la psychiatrie est une science exacte.

Sinon, elle pourra continuer à faire l’objet des moqueries des mathématiciens… Et des comptables…