Archive pour février 2018

Inaptitude chronique au diagnostic

samedi 24 février 2018

Lorsque, dans un grand média, un article fait le point sur une maladie, il commence immanquablement par dire que cette maladie est sous-diagnostiquée. Elle serait en réalité bien plus fréquente qu’on ne le croit, et les coupables tout désignés de ce sous-diagnostic sont les généralistes puisqu’ils sont en première ligne.

Les omnipraticiens ont donc une incapacité chronique à porter des diagnostics. Et cela est fort dommageable, car une fois qu’ils ont porté un diagnostic, ils peuvent faire entrer le patient dans un système de soins où il sera alors correctement pris en charge. Et si cette prise en charge du patient par divers spécialistes s’avère peu efficace, il faudra en conclure que c’est à cause du retard diagnostique. On peut toujours affirmer qu’un diagnostic plus précoce aurait permis la guérison, car cela est conforme à l’intuition. En toute logique, si tous les diagnostics possibles avaient été posés assez tôt, la vie serait éternelle…

Pauvres généralistes, après notre incapacité à diagnostiquer le diabète, l’impuissance, la dépression, le syndrome des jambes sans repos, la migraine, les névralgies, ils deviennent inaptes à diagnostiquer la fibromyalgie, les insomnies, les cancers, la DMLA, la surdité et la maladie d’Alzheimer. Toutes ces pathologies anciennes ou modernes ont chacune à leur tour, la particularité de faire l’objet d’un relookage, d’un changement de dénomination ou d’un nouvel intérêt médiatique au moment ou un laboratoire est dans la phase pré-marketing d’un médicament ou d’un test dont l’indication est précisément l’une d’entre elles.

La grossièreté de ces manœuvres arrive rarement à la conscience claire du grand public. Il est grand temps que les acteurs de la santé et les médias s’interrogent sur la productivité sanitaire de ce genre de dénigrement systématique du généraliste.

Dans mon schéma de pensée traditionnel (peut-être désuet), le rôle des médecins est de définir les pathologies et de porter les diagnostics, quant au rôle de l’industrie, il est de fournir les médicaments que les praticiens sollicitent et espèrent. Il est surprenant qu’un laboratoire fasse une étude sur les conditions de diagnostic d’une maladie et qu’il détermine lui-même les bonnes ou mauvaises façons de porter ce diagnostic. Comment l’Université peut-elle rester aussi inerte devant cette inversion des rôles de chacun ? Peut-être que l’université, elle non plus, n’arrive pas à faire les diagnostics assez tôt !

Par ailleurs, toutes les autorités s’alarment du manque d’omnipraticiens et de la désertification médicale. Mon expertise de clinicien m’incite à faire un lien entre l’augmentation du dénigrement de la médecine générale et la diminution de ses gérants…

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Populisme du monofactoriel

lundi 12 février 2018

On dit qu’un évènement est monofactoriel lorsqu’il a une cause unique. Inversement, lorsque plusieurs facteurs causaux sont identifiables, on parle indifféremment de plurifactoriel, polyfactoriel ou multifactoriel.

Une pierre tombe exclusivement à cause de la gravitation. Mais hormis ces exemples de physique élémentaire, le monofactoriel est rarissime. Dès que l’on aborde les sciences de la vie, le plurifactoriel devient la règle. Même la tuberculose-maladie n’a pas que le bacille de Koch comme cause. Et lorsque l’on aborde les sciences humaines et sociales, l’imbroglio des causes est parfois tel que toute analyse en devient impossible.

On peut alors se demander pourquoi, dans le domaine de la santé, carrefour des sciences de la vie et des sciences sociales, le monofactoriel jouit d’un grand prestige dans le public, et fait l’objet d’une quête effrénée chez les chercheurs.

Les patients veulent connaître la cause unique de leur fatigue, de leur cancer, ou des pleurs de leur nourrisson. Les chercheurs s’acharnent sur le LDL-cholestérol pour expliquer la dégénérescence vasculaire, ou sur le raccourcissement des télomères pour expliquer le vieillissement. Ils en ont le droit, car cette méthode nommée « réductionnisme scientifique » est indispensable à la recherche depuis que Descartes a démontré qu’il faut d’abord comprendre les « parties » pour espérer comprendre le « tout ».

Mais entre ce louable réductionnisme et le monde réel de la santé, le chemin est tortueux et semé d’embûches… Embûches que franchissent sans vergogne les populistes de la communication qui savent à quel point le peuple est subjugué par le mirage de la cause unique.

La prépondérance du monofactoriel caractérise les discours populistes : le pouvoir d’achat baisse à cause de l’Euro, le chômage monte à cause de la mondialisation, la délinquance augmente à cause de l’immigration… Votez pour moi et j’élimine l’Euro, la mondialisation et l’immigration…

Le populisme médical procède exactement de la même façon. Votez pour moi, car j’ai un médicament qui fait baisser le cholestérol et un autre qui rallonge les télomères.

Et ça marche assez bien. Un candidat populiste peut rassembler jusqu’à 25% d’électeurs, voire 50% dans certains grands pays. Une médecine populiste dépasse allègrement ces pourcentages dans de nombreux pays.

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Entre palliatif et curatif

mardi 6 février 2018

Nous pouvons théoriser la différence entre soins préventifs, curatifs et palliatifs en fonction du niveau ciblé par chacun d’eux.

La cible des soins préventifs est l’espèce tout entière, les conseils hygiéno-diététiques sont inchangés depuis l’aube de la médecine pour tous les Homo Sapiens : limiter les apports caloriques, éviter les toxiques et faire de l’exercice.

Les soins curatifs ont un niveau populationnel, car ils reposent sur des protocoles établis par des échantillonnages cliniques différents selon les cultures et les peuples. Ils sont ensuite appliqués à tous les patients répondant aux critères de l’échantillon. Ils peuvent s’affiner progressivement pour des sous-groupes sans pouvoir atteindre une individualisation optimale.

Enfin, les soins palliatifs sont les seuls de niveau strictement individuel, puisqu’ils abandonnent les règles préventives et les protocoles curatifs pour concentrer toute l’attention sur le bien-être du patient.

Avec les progrès de la communication, la prévention peut se passer des médecins dont nul n’a plus besoin pour savoir que les vaccins sont indispensables, que le tabac est dangereux ou que les sucres sont nocifs. Les soins palliatifs peuvent aussi se passer de la biomédecine, puisque le seul protocole est celui de l’empathie maximale assortie d’une quantité variable de morphine. Seuls les soins curatifs restent une exclusivité médicale.

Mais dans le domaine du soin, les grands concepts sont difficiles à délimiter. Dans la réalité, chacun, soignant ou patient, ne cesse d’abolir les frontières avec un acharnement émouvant.

Une personne qui refuse un protocole curatif est parfois malmenée, mais elle devient choyée dès qu’elle est admise en soins palliatifs. La césure est aussi nette dans l’autre sens : si elle réintègre un protocole, elle y perdra en caresses. Le patient doit mourir pour que sa personne devienne plus importante que sa maladie.

Chaque jour, des patients en service de soins palliatifs sont envoyées en urgence dans un autre service suite à un résultat d’analyse dont nul ne se demande pourquoi elle a été pratiquée. Plusieurs dépistages de cancers sont encore régulièrement réalisés chez des patients dont l’espérance de vie est négligeable, conduisant parfois à réintégrer un protocole de soin.

On pourrait arguer qu’un nouveau protocole, à défaut d’améliorer la qualité de vie, en améliore la quantité, mais il n’en est rien : nombre de cancers ont une meilleure survie en palliatif qu’en curatif et encore meilleure à la maison qu’en milieu palliatif. Avantage de la caresse sur le protocole.

Ces alternances grotesques entre palliatif et curatif font oublier que le préventif reste longtemps la meilleure option. La marche, par exemple, peut, jusqu’au bout, améliorer l’insuffisance cardiaque et bien d’autres insuffisances.

Ne blâmons pas trop les médecins de ce grand désordre du soin ; ils ne sont ni programmés ni payés pour entretenir le rêve intime de chacun de mourir debout ou sous un flot de caresses.

Références