Archive pour novembre 2022

Ethnopsychiatrie

mercredi 30 novembre 2022

Ni les citadins cultivés, ni les paysans besogneux de la Chine traditionnelle ne considéraient les troubles mentaux comme des maladies, mais comme des défis à relever dans la vie quotidienne. La nouvelle Chine, celle des entrepreneurs conquérants, s’intéresse aussi à la nosographie psychiatrique de l’Occident. Cependant le diagnostic de dépression est rare, car ce mot reste étranger à la culture médicale. Inversement, les troubles somatoformes y sont très fréquents. Dans un contexte où la souffrance psychique est perçue comme une faiblesse de caractère ou l’effet d’une éducation médiocre, les patients n’ont pas d’autre choix que celui de la somatisation pour chercher de l’aide. Cela s’articule avec la crainte de perdre la face, caractéristique de ce pays.

D’une manière générale les sociétés collectivistes expriment la souffrance par un langage du corps afin de maintenir les liens sociaux. Alors que dans les sociétés plus individualistes, la somatisation diminue au profit de l’expression directe des sentiments.

L’attachement aux traditions, aux communautés et aux structures familiales est un facteur de protection contre les troubles mentaux. Chez les adolescents indiens, la prévalence des troubles de l’humeur et du comportement était très faible ; elle augmente dès que la famille s’estompe. L’évolution des mœurs majore aussi les comportements à risque : addictions, violence et tentatives de suicide.

Les Samoans ont dix fois plus de troubles psychiatriques lorsqu’ils quittent leurs îles pour aller vivre en Nouvelle Zélande, mais ils en ont toujours moins que les Néo-zélandais.

L’augmentation importante de suicides chez les adolescents micronésiens après la guerre a été fortement corrélée à la disparition des maisons communales où ils se livraient à des activités de subsistance pour le village.

En Éthiopie, les rituels et la protection communautaire semblent aussi protéger contre divers troubles de la périnatalité. Le rite d’enterrement du placenta a étrangement montré un intérêt dans la prévention de la dépression du post-partum.

Plus globalement, ce que les anthropologues nomment « consonance culturelle » est favorable à la santé psychique, alors que la « dissonance culturelle » facilite les psychopathologies.

Deux enquêtes de l’OMS ont montré que vivre dans un pays en voie de développement constitue le meilleur critère de prédiction d’une évolution favorable de la schizophrénie

A l’intérieur du même pays, selon que l’on est rural ou citadin, le taux de dépression majeure passe de 8 à 15%.

Les tests neuropsychologiques pour détecter les troubles de la cognition sociale dans la schizophrénie et l’autisme, ont des résultats variables selon la nationalité, même pour des pays proches et similaires. Enfin, les critères des deux systèmes occidentaux de classement des maladies psychiatriques diffèrent pour 99% d’entre elles.

Ce n’étaient que quelques exemples pour montrer aux chimistes que la psychiatrie n’est pas encore prête pour la mondialisation.

Références

Marketing du hasard et du cancer

jeudi 17 novembre 2022

La science mercatique est la plus achevée des sciences sociales, car elle sait décortiquer les invariants comportementaux de chaque classe. Un tableau ridicule, un yacht à usage portuaire, une psychanalyse pour chien ou un tatouage monstrueux se vendent avec une précision toujours renouvelée. Elle sait aussi exploiter le panurgisme jusqu’à désocialiser ceux qui n’ont pas le jeu vidéo, les chaussures, la barbe ou l’automobile correspondant à leur âge ou leur statut.

La mercatique médicale possède des leviers plus puissants, tels que l’angoisse et la vie éternelle, qu’elle manie avec une virtuosité digne des nonces et des augures de tous les obscurantismes.

Un seul exemple peut suffire. Le 2 janvier 2015, la revue Science publie une modélisation mathématique qui affirme que 65% des cancers sont dus au hasard des mutations cellulaires et très peu à l’environnement et au comportement individuel. Ils vont jusqu’à parler de simple « malchance ».

Toutes les agences de presse en sont informées et les heures de grande écoute sont immédiatement saturées par des journalistes n’ayant pas les moyens de comprendre l’article.

Un an plus tard, en janvier 2016, la revue Nature publie une étude aux résultats opposés : les cancers proviennent essentiellement du comportement et de l’environnement. Elle a peu d’écho, car personne n’aime répéter que le tabac, les UV, les fumées de diesel, les pesticides, les excès de viande et d’aliments transformés sont cancérogènes.

L’article de science avait asséné une vérité connue depuis longtemps ; les tissus les plus touchés par le cancer sont ceux qui ont le rythme le plus élevé de divisions cellulaires (peau, bronches, intestin). Il avait omis de préciser que si les mutations sont hasardeuses, elles n’en sont pas moins soumises aux agents cancérogènes externes. Il avait « oublié » le sein et la prostate. Il avait omis de parler des inégalités face au cancer, par exemple, un ouvrier a 10 fois plus de risque de mourir d’un cancer avant 65 ans. Le hasard est vraiment cruel envers les ouvriers ! Il semble aussi très cruel avec les fumeurs.

Alors, pourquoi tant d’omissions et un tel tapage médiatique pour un article plus mathématique que clinique ?

En février 2018, Science publie un autre article, a priori sans rapport, faisant la promotion d’une nouvelle méthode de détection de cellules cancéreuses par une simple prise de sang. L’écho médiatique est important.

Deux détails interpellent les rares observateurs attentifs. Les deux articles ont été sponsorisés par la fondation du magnat des supertankers, promoteur de la déforestation amazonienne et prosélyte de toutes les industries. Les auteurs sont presque les mêmes et la majorité d’entre eux sont actionnaire de la start-up qui propose ce test.

Un ingénieux marketing en amont, classique en médecine. Si vous voulez contourner la « malchance » en amont du cancer, venez faire notre test. Les gogos seront assurément plus nombreux que ceux des yachts, des tatouages ou du paradis. 

Références

Corrélations de la misère

mercredi 2 novembre 2022

La corrélation entre obésité et précarité est connue. L’indice de masse corporelle des enfants est inversement proportionnel aux revenus des parents. La densité calorique d’un aliment est à l’opposé de son coût. Bien se nourrir coûte 1200 € de plus par an et par personne.

Pour les cancers, les corrélations sont fortes. Les ouvriers ont une mortalité par cancer plus élevée. Les cancers dits « curables » ont un taux de survie obéré par un faible statut. Et il existe un remarquable parallèle entre taux de chômage et mortalité par cancer.

D’autres corrélations sont moins connues. Par exemple, l’augmentation du niveau d’instruction diminue la prévalence des maladies cardiovasculaires. Un statut socio-économique médiocre aggrave le risque de psychose. Même pour les simples rhumes, un statut favorable en diminue le nombre et l’intensité.

Les pics de pollution au NO2 sont rapidement suivis d’une augmentation de la mortalité ; et devinez qui habite dans les quartiers exposés au plus fort trafic automobile.  

Il existe une parfaite corrélation inverse entre la mortalité infantile et l’éducation des mères. Fait surprenant, cela concerne autant les pays riches que les pays pauvres, chaque mois supplémentaire d’école diminue la mortalité infantile.

De faibles revenus pendant la grossesse entraînent des répercussions à long terme ; les adultes issus de ces grossesses ont un niveau de cortisol plus élevé (stress) et de plus faibles réponses immunitaires.

Les femmes pauvres subissent plus de césariennes et allaitent moins leurs enfants, deux faits dont les conséquences délétères sont innombrables et sous-estimées.

Revenons à une plus impeccable corrélation. Celle entre revenus et durée de vie. La pauvreté multiplie par quatre le risque de mort prématurée (avant 65 ans). Une enfance défavorisée double le risque de mort prématurée, et la persistance de ces conditions défavorables à l’âge adulte le double encore. La misère dans les pays riches est plus dure, elle fait perdre 8 ans d’espérance de vie aux hommes et 5,4 aux femmes, alors que dans les pays pauvres le différentiel est de 2,6 ans pour les hommes et 2,7 pour les femmes.

Ceux qui n’aiment ni les corrélations, ni les pauvres, accusent ces derniers de fumer, boire, manger des chips, ne pas faire de sport et trop regarder la télé. Comportements qui ont fait l’objet de savantes publications évoquant la « constellation comportementale de la privation ». C’est certain, les disparités initiales peuvent conduire à des inégalités plus importantes et des boucles de rétroaction peuvent fonctionner sur des générations.

Les causes de mort prématurée proviennent pour 30% de prédispositions génétiques, pour 30% de mauvaises conditions sociales, et pour 40% de conduites à risque.

Aucun doute, l’éducation et les salaires sont les meilleurs leviers du niveau sanitaire.

Le surréalisme biomédical va probablement chercher d’éventuels gènes de prédisposition à la pauvreté et proposer des thérapies géniques adaptées.

Bibliographie