Archive pour août 2017

Trois médicaments et après

samedi 26 août 2017

Dans les facultés de médecine, jusque dans les années 1970, les professeurs de pharmacologie et de thérapeutique apprenaient consciencieusement aux étudiants que les médicaments pouvaient parfois être dangereux. Nul ne retenait vraiment les risques énumérés, car les étudiants étaient d’abord fascinés par l’effet thérapeutique dont ils seraient un jour les détenteurs respectés. La pharmacovigilance était quasi-inexistante à cette époque, et chacun avait la conviction que tous les médicaments avaient plus de bénéfices que de risques.

Devant cette ignorance, une phrase revenait régulièrement dans les cours : « au-delà de trois médicaments, on ne maîtrise plus nos prescriptions et l’on ignore tout des interactions possibles ».

Cette règle des trois médicaments au maximum relevait du simple bon sens et elle était plus ou moins admise par tous. Mais avec les pressions des patients et des firmes pharmaceutiques, elle était rarement respectée et l’on voyait déjà circuler des ordonnances de dix, voire quinze médicaments différents par jour.

Puis devant l’ampleur des accidents liés aux médicaments et à leurs interactions, la pharmacovigilance et l’esprit critique des médecins ont fait de timides progrès. On a découvert également « l’effet cocktail » : lorsque deux produits chimiques mis ensemble potentialisent leurs effets biologiques. Phénomène très bien étudié pour les perturbateurs endocriniens. Ainsi, au-delà des interactions médicamenteuses, les médecins d’aujourd’hui devraient considérer les interactions avec les toxiques environnementaux. Mais dans ce domaine, notre ignorance est encore plus grande.

Nous devrions alors prudemment revenir tout simplement à la règle des trois médicaments au maximum. Mais comment, dans le consumérisme d’aujourd’hui, les médecins pourraient-ils respecter  une règle qu’ils n’ont pas respectée hier ?

Par ailleurs, la part de la prescription médicale se réduit. L’automédication a gagné du terrain, de puissants médicaments sont en vente libre, internet propose à foison des médicaments authentiques et frelatés, les spécialités médicales et paramédicales se multiplient, les médias annoncent quotidiennement un nouveau miracle médicamenteux. Les maisons de retraite se transforment en « piluliers » distribuant jusqu’à vingt molécules différentes par jour à leurs pensionnaires. Tandis que se multiplient des perturbateurs endocriniens qui restent toujours hors du champ de la connaissance médicale, et que les personnes en parfaite santé deviennent de gros consommateurs de médicaments.

Alors, trois ou vingt médicaments, peu importe ; la médicamentation n’est plus le fait de la médecine, elle est le fait de la société. Rien ne sert d’enseigner la pharmacocinétique ou la pharmacodynamie dans nos facultés de médecine, il faut enseigner la pharmacologie sociale.

Références

Divertissement nucléaire

vendredi 18 août 2017

La mort par armes à feu est un problème de santé individuelle, sauf dans certains pays comme les Etats-Unis, la Russie ou le Brésil où sa forte prévalence en fait un problème de santé publique.

Cette mort résulte de la conjonction entre une arme et un tireur. Du côté des armes, le principal facteur de risque est celui de leur propagation, du côté des tireurs, les facteurs sont multiples, largement dominés par l’usage de drogues, les troubles psychiatriques et les déficits d’éducation. La prévention est possible, mais difficile

En ce qui concerne les armes chimiques ou nucléaires, la destruction humaine, beaucoup plus massive, déborde largement le champ de la santé publique. En revanche, la prévention est plus facile, car ces armes sont d’accès difficile et les tireurs potentiels sont peu nombreux.  Mais quel médecin aurait eu l’indécence de demander une expertise psychiatrique de Truman avant Hiroshima ou la témérité d’en proposer une à Bachar el-Assad avant ses frasques chimiques sur son propre peuple.

Nous avons pris la douce habitude de penser que les dictatures rétrogrades ne pourraient jamais accéder à l’arme nucléaire, et nous avons acquis la certitude qu’aucune démocratie libérale ne pourrait élire un tireur pathologique.

Mais voilà que des enfants gâtés de dictateurs acquièrent des moyens technologiques que leurs pères n’avaient pas et voilà que des enfants gâtés de milliardaires accèdent au pouvoir dans des pays qui ont déjà les moyens technologiques.

Sans aller jusqu’à faire un lien entre les enfants gâtés et les psychopathes, comme ont osé le faire certaines écoles de psychiatrie et d’antipsychiatrie, la bonne prévention serait tout de même de faire une expertise psychiatrique des tireurs potentiels.

Alors transformons notre impuissance préventive devant l’horrible péril nucléaire qui nous menace en un salutaire éclat de rire. Imaginons deux psychiatres indépendants, un américain et un coréen, chargés d’examiner Kim Jong-un et Donald Trump…

Essayons maintenant d’imaginer leur rapport d’expertise….

Quintessence de la géopolitique médicale !

Référence

On veut des enfants pour nos dettes

lundi 14 août 2017

Le « jour de dépassement de la terre », situé actuellement début août, est déterminé lorsque l’empreinte carbone de l’humanité commence à dépasser les possibilités de reconstitution des réserves biologiques de la Terre.

Après ce jour, nous pouvons terminer l’année grâce à un emprunt biologique que nos enfants devront obligatoirement payer un jour.

Cette dette biologique était usuelle chez nos ancêtres qui faisaient beaucoup d’enfants, afin d’en avoir assez pour s’occuper d’eux à leur vieillesse. Nous avons pris l’habitude de considérer avec quelque mépris les populations qui continuent à agir de la sorte. Nous avons remplacé cette dette nataliste par une dette financière en habituant nos Etats à s’endetter hors de raison pour satisfaire nos exigences. Cette dette financière est également reportée sur nos enfants. Enfin, avec les nouveaux problèmes écologiques, nous respirons également par traites sur les fragiles poumons de nos enfants.

Nous ne pourrions échapper à cette logique qu’en cessant de faire des enfants pour ne plus avoir à vivre sur leur dos. Chacun peut comprendre le grotesque de la chose. L’écologie n’ayant aucune signification en dehors de l’espèce qui la considère, nos concurrents animaux apprécieraient cette catastrophe écologique de sapiens.

Ce fatalisme gouailleur est conforté par mes incessantes observations de la médecine. La gériatrie et la cancérologie dépensent des fortunes en carbone et en euros pour gagner quelques jours de vie individuelle, au détriment de la protection maternelle et infantile. La machinerie diagnostique irradie nos enfants beaucoup plus que nos centrales nucléaires. La gabegie pharmacologique pollue l’eau que boiront nos enfants. Les transhumanistes, marchands d’illusoires soins, sont prêts à bien pire pour aggraver toutes nos dettes biologiques et financières.

Même pour notre santé, nous vivons sur le dos de nos enfants.

Avec toutes ces dettes biologiques, financières et sanitaires, il ne reste plus qu’à espérer que le sucre et les perturbateurs endocriniens ne nous stérilisent pas définitivement, nous privant ainsi de nos créanciers.

Sachons faire confiance à la médecine, qui s’efforce, avec bonhomie et enthousiasme, de suppléer notre procréation défaillante.

Références

Restriction cognitive de l’hyperspécialisation médicale

jeudi 10 août 2017

Le progrès des technosciences améliore toutes les pratiques, et inversement, l’expérience pratique suscite la recherche et améliore les technologies. Mais ce cercle vertueux recèle un piège maléfique. Le chasseur du paléolithique auquel on donnerait un fusil à lunette en serait d’abord embarrassé, puis ravi. Entre temps il perdrait en expertise de la traque ce qu’il gagnerait en expertise balistique ; son tableau de chasse serait toujours meilleur, jusqu’au risque majeur de la disparition définitive de ses proies.

Pour éviter ce piège, les progrès pratiques et techniques ne suffisent plus, il faut qu’apparaisse une nouvelle strate cognitive amenant le chasseur à comprendre la nature et les bénéfices de l’équilibre proie-prédateur. L’Histoire nous révèle que ce type de progrès cognitif est toujours plus lent que les deux autres. Parfois, cette troisième strate cognitive ne se met pas en place, expliquant, par exemple, l’extinction des gros mammifères et des grands oiseaux sur les îles occupées par nos ancêtres chasseurs, ou la disparition des arbres en Haïti ou sur l’île de Pâques.

La médecine moderne ne saurait échapper à cette logique de l’Histoire. Riche d’une très longue pratique clinique, elle dispose, depuis peu, de très nombreux et très sophistiqués « fusils à lunette ». Le temps est alors venu de développer cette troisième strate cognitive…

Nous constatons en effet que nombre de confrères, praticiens, chercheurs et enseignants, essayent de redéfinir la notion même de maladie, s’interrogent sur les limites du dépistage, contestent les abus pharmaceutiques ou les excès de l’imagerie diagnostique. Cette nouvelle effervescence est salutaire et elle me ravit, mais elle est encore très désordonnée, car difficile à formaliser dans l’enseignement universitaire. Mais le plus gros frein provient assurément de l’hyperspécialisation technique et clinique. Les cardiologues ont laissé place aux angioplasticiens, rythmologues, hypertensiologues ou lipidologues. La psychiatrie a engendré, entre autres, l’addictologie, qui a produit à son tour  l’alcoologie ou la tabacologie. La cancérologie se transforme en biologie moléculaire au détriment de la prévention. L’urologie se rétrécit progressivement à sa prostate, puis à son cancer, puis à son dépistage, puis à l’IRM, en négligeant la réflexion pronostique à chacune de ces étapes régressives.

Toutes ces restrictions cognitives liées à l’hyperspécialisation ne sont certes pas propres à la médecine, mais l’émotion dominante leur donne souvent une forme ubuesque.

Saura-t-on comprendre à temps l’équilibre proie-prédateurs sur l’île des sciences biomédicales ?

Références