Archive pour août 2011

Qui détient la médecine

mardi 30 août 2011

La médecine a deux buts : prolonger la vie et améliorer sa qualité. Comme pour toute science, la preuve est reine, tout le reste est littérature. Mesurer l’efficacité médicale au niveau d’une population, revient à calculer le nombre d’années de vies gagnées en corrigeant par le facteur de la qualité. De nos jours, seuls des sigles anglophones sont capables de nous fournir une unité de mesure : ce sont les QALY (quality adjusted life years)

Sortons donc notre double-décimètre…

Depuis son instauration, le permis à points a sauvé plus 25000 vies et évité autant de handicaps graves soit environ 2000 vies et 2000 handicaps par an.

L’année même de leur mise en place, les radars routiers ont permis de sauver 3000 vies.

Le tabagisme passif étant responsable d’environ 1% de la mortalité mondiale, plusieurs pays ont mis en place des lois anti-tabac dans les lieux publics. Les premiers résultats concrets de ces mesures surprennent tous les analystes. Entre 1500 et 2000 vies sauvées dès la première année en Angleterre, comme en France et une baisse moyenne de 15% des hospitalisations pour accident cardiaques dans tous les pays étudiés.

Les résultats du dépistage du cancer du sein sont plus difficiles à établir avec précision en raison de la multitude des paramètres à prendre en compte. Les statistiques les plus optimistes font état de quelques centaines de vie épargnées chaque année. Le traitement de ce même cancer évolué a permis de gagner deux années de vie en moyenne pour chaque patiente depuis vingt. Il s’agit ici de morts différées, contrairement à celles épargnées sur la route où l’on peut supposer que l’espérance de vie reste intacte après l’évitement de l’accident.

Les méta-analyses confirment que le dépistage du cancer de la prostate ne sauve aucune vie, et provoque une baisse de la qualité de vie. De même pour les traitements médicamenteux de l’hypertension ou du diabète de type 2 qui évitent quelques accidents vasculaires mais n’ont aucun impact sur la mortalité générale sur laquelle seule l’hygiène a une de vie a une influence.

 Si l’on juge la médecine à l’aune des années/qualité de vie qu’elle permet de faire gagner à une population donnée, il apparaît de façon claire, que depuis l’invention des vaccins et des antibiotiques, l’impact des médecins et de leur ministère est quasi négligeable comparé à celui des autres ministères. Le rapport est de 1 à 100 pour ne pas dire de 1 à 1000.

Cela va peut-être faire un peu de mal aux médecins, mais aussi conforter ceux pour qui la santé est un objectif prioritaire, en leur rappelant l’extrême simplicité, voire trivialité, archaïque de ce qui est vraiment bon pour la santé.

La seule véritable inconnue de toutes ces analyses est le pourcentage de ceux pour qui la santé est un objectif prioritaire.

Être sous

dimanche 7 août 2011

Prendre le train, prendre sa valise, prendre des photos ou prendre le pain et les enfants à l’école en revenant du boulot.

Le verbe prendre, décidément ubiquitaire, concerne aussi l’oralité primaire : prendre le sein ou son biberon, puis l’oralité secondaire : prendre l’apéritif ou reprendre du gigot.  

Lorsque l’on prend des vitamines, c’est pour prendre des forces.  Cependant, la plupart des produits pharmaceutiques pris oralement n’ont pas toujours cette connotation volontaire.  La disparition du verbe « prendre » signe une dépendance à la volonté du médecin.

Je suis « sous antidépresseurs ». Ces psychotropes  semblent n’être jamais pris. Le patient s’estompe sous une volonté qui le recouvre. Le patient qui se déclare sous antidépresseurs est probablement plus atteint que celui qui les prend.

« Prendre des antibiotiques » est quasiment l’aveu d’une automédication, alors qu’être  « sous antibiotiques » veut signifier la gravité du mal à l’entourage.

On ne prend presque jamais d’anticoagulants, on est « sous anticoagulants » pour bien marquer cette soumission à la médecine garante de la survie.

Pour l’insuline, où la soumission est pourtant définitive, les choses sont différentes, car le traitement a été si bien compris par le patient que le médecin en est exclu. Les patients ne sont pas sous insuline, ils la prennent et se l’injectent seuls.  Idéal de la réussite médicale : des patients qui ne sont pas « sous » ?

Personne n’est sous somnifère, mais on se vante d’en prendre de plus en plus, comme si l’insomnie était l’ennemie qu’il fallait intimider par ces actes de bravoure pharmaceutique. La même vanité entoure la prise de tranquillisants. Quant aux neuroleptiques, ni on est sous, ni on ne les prend, le patient donne juste le nom commercial d’un médicament qui ne doit appartenir à aucune famille.

Il est des classes pharmacologiques qui ne sont ni dominatrices, ni dominées, tels que les hypolipémiants, les antihypertenseurs, les hypoglycémiants oraux. Dans ces cas, on ne cite ni la famille, ni le nom commercial, mais seulement leur cible supposée. On prend des médicaments pour le cholestérol, la tension, le cœur, les artères. Dans ces cas, ni le patient, ni le médecin ne peuvent afficher leur suprématie définitive. Il y a comme un doute permanent, une sorte de statu quo de l’objectif thérapeutique.

Le langage parlé n’est jamais anodin.

Félicitons la bonne santé chronique de ceux qui affirment ne jamais rien prendre. Il faudra tenir compte de leur refus d’être « sous » influence en cas de détresse aigue. Lorsque leur langage sera devenu plus insignifiant que leur mal.