Archive pour mars 2017

Poudre de corne aux yeux

samedi 18 mars 2017

Dans le Zaïre des années 1970, le commerce de la « poudre de taureau » était florissant. Une petite boîte métallique ronde, sur le couvercle de laquelle était imprimée une tête de taureau aux cornes monumentales, contenait de la poudre issue de ces cornes pilées. Ses vertus aphrodisiaques et son pouvoir érectile étaient incontestés. Qui, d’ailleurs, aurait pu contester un tel pouvoir sans se couvrir de ridicule ?

Ce même Zaïre, aujourd’hui devenu Congo, vivait les soubresauts interminables des guérillas du Katanga, aujourd’hui devenu Shaba. Les routes étaient parsemées de barrages dont la perméabilité était proportionnelle au montant des fameux « bakchichs » versés aux militaires armés de kalachnikov et imprégnés de bière locale.

Mon statut de médecin me permettait de surfer sans trop de mal sur cette poudrière, grâce à la variété de mes bakchichs : nivaquine, pénicilline ou aspirine. Mais le « petit cadeau » le plus prisé  était la « poudre de taureau », car aucune arme, fut elle symboliquement phallique, ne peut remplacer une bonne érection. D’autant plus que les guérillas offrent de belles opportunités coïtales. La vie quoi !

Hélas, en ces temps de guerre, l’approvisionnement était difficile, et mon éthique m’interdisant d’utiliser des placebos de nivaquine, il me fallait trouver des placebos de poudre de taureau. C’est alors que mes infirmiers me montrèrent une salle secrète remplie de boîtes vides de la précieuse poudre. Je n’étais donc pas le premier à avoir eu l’idée du placebo. J’ai même supposé qu’un importateur ne livrait que des boîtes vides, laissant à chaque revendeur le soin d’y mettre une poudre de son choix.

Récemment, un rhinocéros a été tué dans un zoo français, puis amputé de sa corne, car les chinois en achètent la poudre à prix d’or. La forme et la position de la corne augmentent étrangement sa vertu érectile.

Il serait profondément raciste de penser qu’un riche chinois des années 2010 est obligatoirement mieux éduqué qu’un guérillero katangais des années 1970. Par contre je n’arrive vraiment pas à comprendre pourquoi les importateurs chinois de corne de rhinocéros n’ont pas encore atteint le niveau de lucidité thérapeutique de mes infirmiers zaïrois.

Piétons fragiles et malotrus

dimanche 12 mars 2017

Dans la jungle de la circulation urbaine où des doigts se brandissent pour déshonorer les cieux et où des klaxons égrainent les incivilités, nous apprécions tous cette nouvelle délicatesse des automobilistes qui s’arrêtent immédiatement dès qu’aux abords d’un passage protégé, un piéton esquisse une intention de traverser. Et l’on voit souvent ces piétons, ravis, ajouter un geste de remerciement : contagion de courtoisie, encore impensable il y a quelques années.

Mais parfois, fausse note dans cette convivialité, un piéton malotru brandit à son tour un doigt insolent en direction d’un automobiliste, sous prétexte que ce dernier n’a pas respecté la nouvelle règle, par étourderie ou par défaut de promptitude.

On se met alors à haïr ces passants  qui risquent de gâter les acquis, pour n’avoir pas compris le fonctionnement élémentaire de nos sociétés.

De toutes les espèces, sapiens est celle qui a su le mieux investir la niche de coordination sociale ; l’échange, l’empathie et la coopération, avec leur capacité cumulative, nous ont conféré un avantage définitif sur toutes les autres espèces.

Nous avons tous un sens inné de détection des tricheurs et de pardon à leur égard, tant qu’ils ne menacent pas la coordination sociale.

Ces piétons qui n’ont rien compris me font penser à tous ceux que je vois régulièrement menacer notre solidarité nationale en amassant les dons de la sécurité sociale, avec autant de déraison que les capitalistes fous amassent des fortunes inutiles. Ceux qui n’ayant pas utilisé les trois jours d’arrêt de travail que l’on accorde pour un enfant malade, les réclament avant la fin de l’année. Ceux qui utilisent les ambulances comme des taxis, ceux qui remplissent incessamment leur armoire à pharmacie où se font rembourser les médicaments du chien. Ceux qui réclament au-delà de l’acharnement thérapeutique pour leurs mourants ou comas dépassés, ceux qui se muent en tyrans de la compassion. Ceux qui demandent des indemnités illimitées pour des bobos. Ceux dont les lombalgies servent de passe-droit universel. Ceux dont une égratignure au travail suscite vingt IRM.

Ces exilés de la solidarité nationale sont-ils plus pardonnables que les exilés fiscaux ? Ces collectionneurs de droits sociaux sont-ils moins compulsifs que les richissimes Harpagons cramponnés à leur cassette ?

Certes, la compulsion des riches nous coûte infiniment plus cher que celle des pauvres, mais il ne faut pas négliger l’aspect qualitatif. Les uns comme les autres, me paraissent aussi obtus que ces piétons qui n’ont pas encore compris qu’il pouvait être dangereux de trop raturer le nouveau paysage urbain en train de se dessiner.

La pharmacie du facteur

lundi 6 mars 2017

Est-ce que l’hypertension artérielle ou le diabète de type 2 sont des maladies ? Non, ils sont des facteurs de risque d’accident vasculaire (cérébral ou autre). Est-ce que l’ostéoporose est une maladie ? Non elle est un facteur de risque de fracture. Est-ce que l’obésité, la dépression  ou la grippe sont des maladies ? Oui, car elles sont cliniques, c’est-à-dire : perçues par le patient ou son entourage.

Depuis qu’elle dispose d’appareils permettant de mesurer certains paramètres physiologiques ou biologiques, la médecine a pris la très mauvaise habitude de confondre facteur de risque et maladie ?

Ce dévoiement provient de l’idée séduisante que l’on peut empêcher la survenue d’une maladie en corrigeant un facteur biologique de risque. C’est ce que l’on appelle la « prévention primaire » dont la logique et théoriquement parfaite.

Or depuis plus d’un siècle que la médecine tente de corriger les facteurs de risque biologiques par des moyens pharmacologiques, il s’avère que les médicaments de toutes ces préventions primaires sont, soit inefficaces, soit beaucoup moins efficaces que les règles hygiéno-diététiques classiques : marcher, bouger, manger moins de sucres et de graisses.

La pharmacologie s’avère inefficace pour empêcher un premier « instant clinique » tel qu’un accident vasculaire ou une fracture, ou pour retarder une démence. Inversement, lorsque la pharmacologie intervient après une vraie maladie, elle peut montrer une certaine efficacité pour retarder la survenue d’un deuxième évènement clinique. C’est ce que l’on appelle la « prévention secondaire ».

Dit d’une façon triviale : la médecine est plus efficace pour les malades que pour les bien-portants.

Pourquoi les médicaments sont-ils plutôt efficaces en prévention secondaire, alors qu’ils ne le sont pas en prévention primaire ? Nul ne sait aujourd’hui répondre à cette question.

Chaque maladie étant multifactorielle, il existe certainement de nombreux facteurs biologiques et environnementaux, encore inconnus, susceptibles de déclencher un « instant clinique ».

Une des explications possibles de cette supériorité de la prévention secondaire sur la prévention primaire repose sur les comportements individuels. Chacun étant plus enclin à suivre des règles d’hygiène de vie après une première alerte clinique, alors qu’avant toute alerte, l’optimisme naturel de sapiens le rend plus négligeant.

Les médicaments peuvent même être indirectement néfastes avant le premier instant clinique, en favorisant cette négligence.

Bref, en prévention primaire, l’essentiel du conseil médical peut se résumer ainsi : bougez plus et mangez moins. Mais cela parait bien dérisoire, surtout après avoir fait neuf années d’études supérieures.

Il est tout de même plus valorisant, pour les médecins, de disserter sur la pharmacologie d’un facteur biologique, d’autant plus que les patients ont ainsi l’impression que l’on prend mieux soin d’eux.

Références