Archive pour février 2014

Science impossible du dépistage

vendredi 14 février 2014

Actuellement, les dépistages « organisés » ou « de masse » des cancers – donc sans ciblage personnalisé – sont fortement remis en cause par des études qui révèlent leur faible impact sur la santé individuelle et publique.

Les résultats « officieux » des études les plus crédibles diffèrent selon le cancer considéré : rapport bénéfice/risque positif pour le dépistage du cancer du col de l’utérus, neutre ou très faiblement positif pour le sein, neutre pour le mélanome, négatif pour la prostate, l’ovaire et le poumon, et encore indéterminé pour le côlon (trop récent).

Lorsque les études essaient, malgré la difficulté, de tenir compte des surdiagnostics, des surtraitements et d’autres facteurs de diminution de la qualité de vie, les résultats sont encore plus médiocres.

Mais ces études négligent encore deux autres éléments importants. D’une part, la baisse de mortalité due à l’amélioration des thérapeutiques médicales et chirurgicales des cancers évolués. D’autre part, les bons résultats de certaines politiques de prévention, telles que la diminution des traitements hormonaux de la ménopause, pour le cancer du sein, ou la limitation du tabagisme, pour tous les cancers.

Comme les trois actions : dépistage de masse, thérapeutiques efficaces et mesures préventives sont combinées au sein des populations étudiées, il est de plus en plus difficile d’évaluer la part de chacun dans les variations de mortalité et de létalité. D’autant plus que les thérapeutiques efficaces le sont sur des cancers évolués ou métastatiques, ceux où la létalité est la plus forte, et non sur des cancers dépistés où la létalité est logiquement très faible.

Pour des raisons éthiques, ni les thérapeutiques ayant la moindre efficacité, ni les mesures de prévention, ni les dépistages ciblés, ne peuvent être interrompus. La seule façon de connaître l’efficacité réelle des dépistages de masse, serait de les interrompre pendant quelques années.

Bien que cela soit éthiquement acceptable, au vu de leurs résultats médiocres, cela est politiquement, humainement et pratiquement impossible, en raison de deux convictions intimes partagées par tous les patients et de nombreux médecins. 1/ Une tumeur ne se serait jamais développée si elle avait été dépistée à temps. 2/ La « guérison » d’un cancer dépisté est attribuée au dépistage plus qu’à l’évolution naturelle ou à l’efficacité thérapeutique.

Les statistiques « contre-intuitives » susceptibles d’ébranler ces deux convictions devraient avoir des niveaux de preuve et de significativité largement supérieurs aux niveaux actuels. Comme nous venons de démontrer que de telles études sont désormais impossibles à réaliser, il nous faut admettre que la vérité sur les dépistages de masse ne nous sera jamais accessible.

Pour chaque citoyen en bonne santé, tout dépistage est un pari individuel, aux ressorts intuitifs et idéologiques, qu’aucune science ne pourra jamais ni cautionner ni contester.

Référence

Les maladies ont un genre

lundi 10 février 2014

En dehors des maladies liées à un organe sexuel (sein, prostate, ovaire, testicule, etc.), il est intéressant, pour la recherche fondamentale et clinique, de considérer l’épidémiologie en fonction du sexe.

Ainsi, une différence de répartition peut expliquer l’influence d’une hormone sur la physiopathologie d’une maladie, mais peut aussi révéler d’autres faits surprenants de nos approches médicales.

L’exemple des maladies cardio-vasculaires est instructif. Quelques études révèlent que le diagnostic de maladies coronaires est souvent retardé, voire négligé, chez beaucoup de femmes. L’a priori de la plus grande fréquence de ces maladies chez les hommes serait en grande partie injustifié. Cette discrimination ne s’arrête pas là, puisque le traitement lui-même n’est pas identique pour les deux sexes. Les angioplasties sont plus souvent pratiquées chez les hommes ! Est-ce que les cardiologues considèrent cette intervention comme plus virile, puisqu’il s’agit d’un acte de plomberie consistant à déboucher ou dilater une coronaire ? Heureusement, cette discrimination n’a pas de conséquence, car la mortalité est la même dans les deux sexes. Certains avaient déjà noté que les angioplasties n’avaient pas d’effet sur la mortalité, voilà qu’une inconsciente discrimination de genre peut en apporter la preuve !

Pour les maladies psychiatriques, la ségrégation a longtemps été farouche, les diagnostics avaient une simplicité binaire : folie pour les hommes et sorcellerie pour les femmes. Ensuite,  on a longtemps crue la schizophrénie plus fréquente chez les hommes. En réalité, cette maladie touche autant les femmes, elle diffère cependant par une plus grande fréquence de formes moins sévères et plus tardives.

Quant aux maladies auto-immunes, l’énorme différence ne peut pas venir d’un a priori sexiste. Les principales d’entre elles, comme la polyarthrite rhumatoïde, la thyroïdite ou le lupus concernent 90% de femmes pour 10% d’hommes. Connaissant le caractère parfois très invalidant de ces maladies, il faut se réjouir d’être un homme.

Le cancer du poumon, longtemps réservé aux hommes, est devenu bisexué, en raison du tabagisme féminin. C’est ici l’occasion de constater qu’une libération peut conduire à une addiction ! Cette « libération » contribue à diminuer l’écart d’espérance de vie qui reste toujours favorable aux femmes. Il faudra sans doute voir les femmes accéder à plus d’alcool, à plus de métiers du bâtiment, de la mine ou de la métallurgie, pour éliminer le genre dans la durée de vie. A moins qu’il y ait une cause véritablement intrinsèque, sachant que la testostérone est un immunosuppresseur susceptible de favoriser les infections et les cancers.

Bref, malgré de nombreux a priori médicaux, désormais combattus, la compréhension de certaines maladies ne pourra échapper au critère du genre. Il est important d’affirmer et d’affiner notre connaissance de ces différences, afin de mieux lutter contre les inégalités.

Références