Archive pour janvier 2013

Incidentalomes

mardi 29 janvier 2013

Depuis toujours, les hommes ont su définir la « Maladie » selon des critères vécus qui se résument à trois : douleur et/ou impotence fonctionnelle pour les maladies aiguës, et une limitation des projets de vie pour les maladies chroniques.

Avec les progrès biomédicaux, avec le développement de la notion de « facteur de risque » et avec l’avènement du principe de précaution, la médecine a créé un nouveau registre pathologique : celui des maladies potentielles.

Ces nouvelles maladies sont totalement déconnectées du vécu des patients qui n’ont jamais éprouvé ni douleur, ni impotence quelconque.

Pourtant, de façon cocasse, les hommes finissent par assumer ces nouvelles maladies avec une conviction qui étonnerait tout observateur candide. Comment allez-vous ? Mal, j’ai de mauvaises analyses. Mal, j’ai une image suspecte. Mal, j’ai un facteur de risque, etc.

Les médecins affirment que ces nouvelles maladies ne restent pas toujours potentielles. Ils ont raison, tous les porteurs d’une maladie potentielle ou d’une maladie vécue finissent par mourir un jour…

Cet humour noir serait déplacé si le développement fulgurant de l’imagerie et de la biologie moléculaire n’avait fait apparaître, en plus des maladies vécues et des maladies potentielles, un troisième registre virtuel que les radiologues ont nommé « incidentalomes ».

Ce sont des images découvertes par hasard alors que l’on cherchait autre chose. Environ 3% des personnes scannérisées sont porteuses de kystes biliaires non fonctionnels. De la même façon, les adénomes silencieux de la surrénale ou de l’hypophyse peuvent concerner jusqu’à 5% de la population. La physiologie de ces glandes restant normale tant au niveau vécu qu’au niveau biomédical.

Ce terme d’incidentalome peut s’appliquer de la même façon à des résultats biologiques sans autre lien avec la réalité que celui d’un hasard ou d’une aberration statistique.

Hélas, ces incidentalomes sont parfois sources d’interrogations pour le médecin et d’anxiété pour les patients. Ils génèrent de nouveaux examens complémentaires de contrôle qui génèrent à leur tour un lot incompressible d’incidentalomes.

Ainsi l’allégeance du vécu au modèle biomédical vient effectivement de générer un troisième registre de maladies. Ce sont des maladies sans douleur, sans impotence fonctionnelle, sans limitation des projets de vie et sans signification biomédicale.

Il faut prendre la chose très au sérieux, car tous les porteurs d’incidentalomes finissent par mourir un jour.

Je vous aurai prévenus.

Juste une pilule d’épidémiologie.

jeudi 17 janvier 2013

Toutes les pilules de la 1ère à la Nième génération ont toujours eu comme effet secondaire néfaste de favoriser les accidents vasculaires (thromboses, phlébites, embolies, infarctus, AVC, etc.) Le risque est de 3 accidents vasculaires (AV) sur 10 000 avec les pilules de première et deuxième générations et de 4/10 000 avec les générations 3 et 4.

C’est pourquoi nous ne devions pas prescrire la pilule en cas d’antécédents familiaux ou personnels de phlébite ou AV quelconque et dans certaines anomalies génétiques de l’hémostase.

L’autre contre-indication à la prescription de pilule est le tabagisme qui fait brutalement monter le risque d’accident vasculaire à 15 ou 20/10 000.

Sachant que le risque naturel d’AV est de 1/10 000 pour toute jeune femme, voyons les différentes façons de signifier l’augmentation du risque.

Les pilules de générations 1 et 2 multiplient par 3 le risque d’AV. Ces pilules augmentent donc le risque de 200%.

Les pilules G3 et G4 multiplient par 4 le risque d’AV. Elles augmentent donc ce risque de 300%.

Peu importe la génération du contraceptif, dans tous les cas, l’augmentation du risque est considérable. En thérapeutique, on ne parle pas de risque, mais toujours d’augmentation ou de diminution de risque.

Transformons-nous maintenant en avocat du diable, en vulgarisateur de l’épidémiologie, en contempteur des risques et en critique de nos bien modestes exploits pharmaceutiques.

Une jeune femme qui prend une pilule G1 ou G2 a 9997 chances sur 10 000 de ne pas avoir un AV et cette chance tombe à 9996 sur 10 000 avec une pilule G3 ou G4.

Une jeune femme qui fume et prend la pilule a 9980 chances sur 10 000 de ne pas faire d’AV.

Je ne dis pas cela pour encourager toutes les femmes à fumer et à prendre la pilule sans aucune retenue ni précaution, car je serais un médecin assassin.

Continuons… Un médicament qui diminuerait de 50% le risque d’AV aurait un succès commercial immédiat et ferait la Une de tous les médias. Il ferait passer le risque d’AV de 1/10 000 à 0.5/10 000 et la chance de ne pas en faire de 9999/10 000 à 9999,5 /10 000. Espérons seulement qu’un tel médicament n’ait pas trop d’effets secondaires, car son bénéfice serait vite inférieur à son risque.

Tous les médicaments prescrits aujourd’hui le sont pour des réductions de risque de l’ordre de 20% à 50% et ils ont le succès que vous savez !!

Alors pourquoi prescrit-on des pilules qui augmentent un risque de 200% ou 300% ? La question est évidemment stupide et la réponse réside dans le bénéfice social de la pilule. Ce bénéfice est-il si considérable qu’il doive faire oublier tous les risques ?

Non bien sûr, mais le bénéfice social est tel que les jeunes femmes qui viennent chercher la pilule et les médecins qui la leur prescrivent n’entrent pas dans ces subtiles considérations épidémiologiques. Là n’est pas leur préoccupation de l’instant.

Malgré ma démonstration que la pilule est « médicalement » et « épidémiologiquement » très dangereuse, les médecins ont une obligation sociale à la prescrire.

Nous devons juste regretter qu’ils remplissent rarement leurs trois devoirs médicaux devant cette obligation sociale :

–          Demander à la jeune femme de ne pas fumer, car c’est le seul facteur vraiment tangible d’augmentation de risque.

–          Prescrire la pilule la plus ancienne, car la nouveauté à l’intérieur d’une classe pharmacologique existante est très rarement un gage de progrès réel.

–          Essayer d’encourager la pose d’un stérilet, car c’est une méthode contraceptive qui offre un rapport bénéfice/risque supérieur à celui de la pilule à tout âge.

Pathologie culturelle

vendredi 4 janvier 2013

Après les génocides du XX° siècle, les scientifiques développèrent une véritable phobie autour de la notion de race. Il fallait priver les dictateurs et eugénistes de tout argument inspiré par la science.

Fort heureusement, les progrès rapides de la biologie permirent d’éliminer définitivement la notion de race génétique. La diversité des génomes était telle qu’il y avait autant de différence entre deux personnes du même terroir qu’entre deux personnes vivant aux antipodes.

Malgré cette disparition des génotypes, force était de reconnaître la persistance des phénotypes. Les cheveux bruns et crépus, la petite taille et la peau noire étaient des caractères plus fréquents chez les Pygmées que chez les Suédois. D’importantes différences culturelles persistaient également, les Touaregs étaient plus nomades que les Crétois et les Inuits plus chasseurs que les Londoniens. On s’efforça alors de répéter que les Suédois sont aussi intelligents que les Pygmées, les Crétois aussi chaleureux que les Inuits et les Touaregs aussi beaux que les Londoniens, afin d’être lavé de tout reliquat de racisme.

La pathologie, souvent liée à l’alimentation, à l’environnement parasitaire ou aux modes de vie est aussi un élément de différenciation. L’obésité, le paludisme et la dépression ont des répartitions populationnelles très inégales.

Mais les plus grands facteurs de différenciation pathologique semblent être politiques et socioprofessionnels. Par exemple un fonctionnaire territorial Corse a en moyenne quarante-cinq (45) jours d’arrêt maladie par an, alors qu’un salarié Lillois du secteur privé en a un et demi (1,5). Même la prévalence de la tuberculose ne présente jamais un tel coefficient multiplicateur de trente entre deux populations.

La qualité de l’eau, l’hygiène alimentaire, les conditions de travail et la couverture vaccinale étant identiques dans les départements du Nord et de la Corse, ce différentiel doit avoir d’autres causes. D’autant plus que la Corse n’est pas un désert médical. Affirmer que les Corses ou les employés territoriaux sont plus fainéants serait malveillant et inexact. Il serait plus pertinent de rechercher une étiologie socio-culturelle de la Corse ou de la fonction territoriale qui ne favorise pas l’épanouissement par le travail.

Etonnamment, malgré l’inutile multiplication de spécialités et sous-spécialités validées par les facultés de médecine, il n’existe toujours pas de diplôme universitaire de pathologie socio-culturelle .

L’académie de médecine devrait s’inspirer de La Poste qui semble avoir compris la première où étaient les risques de contamination : les boîtes aux lettres sont clairement séparées, l’une pour votre département et l’autre où est inscrit « autres départements, étranger ».