Archive pour janvier 2022

Circoncision et SIDA

mercredi 19 janvier 2022

Nous ne connaissons pas la lointaine origine de la circoncision, car le pénis ne laisse aucune trace fossile. Nous sommes certains qu’elle a au moins 5000 ans puisqu’on la décèle sur des momies et des bas-reliefs égyptiens. Elle est certainement plus ancienne, car la bible mentionne par deux fois sa pratique avec un silex, alors que les outils tranchants en métal étaient utilisés depuis longtemps. Nos lointains ancêtres devaient avoir des audaces chirurgicales si l’on en juge par les trous de trépanation découverts sur des crânes du mésolithique. La circoncision devait leur paraître aussi banale que l’incision d’un abcès, et sa pratique devait être exclusivement curative. La première hypothèse qui vient à l’esprit est l’accumulation de smegma sous le prépuce des jeunes garçons, prévention naturelle contre le phimosis, pouvant cependant provoquer des infections en cas de mauvaise hygiène.

L’extension de la circoncision a plusieurs explications dans le temps et l’espace : acte d’hygiène préventive, rituel de la puberté, initiation au mariage, acte magique contre la stérilité, et autres interprétations historiennes toutes crédibles.

La première mention de l’aspect rituel d’ordre religieux apparaît évidemment dans la Genèse avec les mots sans équivoque de Dieu à Abraham « Voici l’obligation que j’impose à toi et tes descendants : quiconque de sexe masculin devra être circoncis. Votre circoncision sera le signe de l’alliance établie entre vous et moi.  Quant à l’homme non circoncis, il sera exclu du peuple pour n’avoir pas respecté les obligations de mon alliance. » Il ne s’agissait manifestement plus d’une bagatelle d’ordre hygiénique. On ne plaisante pas avec les rites, ils effacent les traces d’hygiène aussi sûrement que le cheval d’Attila efface les traces d’herbe.

L’hygiène a pourtant fait une réapparition tapageuse dans les années 2000 avec des études montrant que la circoncision diminuait la transmission du SIDA. Circoncision et SIDA : deux mots si lourds de troubles évocations qu’ils ne pouvaient que déchaîner les médias et les polémistes. Après une décennie de publications contradictoires, le débat fut clos. La circoncision ne diminue pas le risque de transmission des infections sexuelles, elle limite cependant la transmission du SIDA aux femmes dont le partenaire est atteint. Les raisons en sont encore imprécises.

Cela ne suffit pas à prétexter l’hygiène pour étendre le rite à tous les nouveau-nés. Même si plusieurs rites religieux, jeûne du ramadan, maigre du vendredi, refus du porc, ont une origine d’ordre hygiénique, il serait hasardeux de vouloir remélanger les rites et la science avec des sauces plus modernes. Je redoute toujours les abus dans les deux camps.

Rendons les évocations aux évocateurs, les rites aux religieux et la science aux chercheurs.

Références

Effet moisson

vendredi 7 janvier 2022

En épidémiologie, l’effet moisson désigne la compensation qui suit un excédent de mortalité dû à un évènement extraordinaire tel que canicule, grand froid, pic de pollution ou épidémie. Si cet effet est important, cela signifie que l’essentiel de la mortalité a concerné des personnes fragiles qui seraient décédées quelques mois plus tard. On ne peut le mesurer qu’après le pic de mortalité, l’effet moisson est alors considéré comme d’autant plus important que le creux de mortalité est proche du pic en temps et en valeur.

On comprend aisément qu’il n’y a pas d’effet moisson après une guerre qui tue essentiellement des personnes jeunes. Cet effet a été faible après le smog de 1952 à Londres, laissant supposer que la surmortalité a concerné toutes les tranches d’âge. En revanche, il y a eu un important effet moisson en France après la grippe de 1957 et après la canicule de 2003. On le constate aussi après les surmortalités constatées en hiver dans tous les pays d’Europe, car le froid et les viroses saisonnières tuent plus volontiers les personnes âgées.

Si l’on raisonne en nombre d’années de vie perdues, les guerres et la pollution sont évidemment pires que les variations climatiques et les virus. Cela laisse supposer que si la santé publique, dans tous les pays, s’acharne avec tant d’obstination sur les virus, c’est possiblement pour compenser un sentiment de culpabilité lié à l’impossibilité d’agir sur les autres causes. Cela me rappelle l’histoire du type qui cherche ses clés sous un réverbère, bien qu’il les ait perdues ailleurs, car c’est là qu’il y a de la lumière.  

Plus sérieusement, espérons que cette épidémie n’aura pas fait perdre trop d’années de vie, chacune d’elles étant si précieuse. Mais nous ne le saurons qu’après, car en science, les modélisations émotionnelles du futur sont toujours moins pertinentes que la froide analyse des faits passés.

Quant aux années/qualité de vie perdues par les jeunes adultes et les enfants, nous ne le saurons pas pour au moins trois raisons. La première est que le long terme n’intéresse pas les décideurs de la santé publique. La deuxième est que de telles études nécessitent des critères difficiles à définir. La troisième est que l’analyse des résultats est toujours beaucoup moins flamboyante que les polémiques qu’ils suscitent.

Nous ne saurons donc jamais combien d’années de vie ont été perdues, mais nous pourrons en avoir une première estimation après examen de la mortalité en 2022 et 2023. Pourrons-nous patienter un à deux ans pour avoir un résultat approximatif ?

Je n’ose même pas imaginer la variété des stupidités que les chaînes d’information continue vont devoir moissonner pour meubler tout ce temps.

Bibliographie