Archive pour décembre 2017

Scénario de scandale

lundi 25 décembre 2017

Les études s’accumulent et les résultats convergent au sujet des risques liés à l’utilisation prolongée des médicaments antiacides. Le doute n’est plus permis.

Ces médicaments de la classe dite des IPP (inhibiteurs de la pompe à proton) sont utilisés pour traiter l’acidité gastrique, les reflux gastro-œsophagiens et les ulcères de l’estomac. Normalement, leur utilisation doit être ponctuelle, car ils sont efficaces en quelques jours. Mais la prescription et l’utilisation médicamenteuses ont évolué vers des temps de plus en plus longs.

La création du concept de « maladie chronique » ayant été la plus rentable de toutes les stratégies mercatiques, les maladies aiguës ont quasiment disparu du paysage sanitaire. Une douleur abdominale fugace, un reflux, une analyse douteuse, une image suspecte, un évanouissement, un moment de déprime ou de fatigue suffisent à transformer tout citoyen en un malade chronique. Et accepter une maladie chronique, c’est accepter logiquement un traitement continu. Vendre une maladie aiguë n’est pas plus rentable que de vendre une imprimante, le but est de vendre des cartouches d’encre.

Hélas, les traitements chroniques peuvent avoir des désagréments supérieurs à ceux de la maladie aiguë et très souvent supérieurs à ceux de la pseudo-maladie chronique. C’est le cas des IPP dont l’utilisation abusive fait proliférer dans l’intestin la bactérie Clostridium difficile, responsable de graves diarrhées et de colites parfois mortelles.

Ce message d’alerte n’a rien de très original : il s’ajoute aux centaines d’alertes sur les médicaments à rapport bénéfices/risques négatif. Sauf que les ulcères  sont également traités avec des antibiotiques, depuis qu’Helicobacter pylori, cette bactérie présente dans tous les estomacs des humains depuis plus de cent-mille ans, en a été décrété responsable (en plus de l’acidité).

Evidemment, Helicobacter est devenu résistant aux antibiotiques, et l’on voit déjà des prescriptions de 3 ou 4 antibiotiques pour venir à bout d’ulcères qui guérissaient auparavant avec dix jours d’antiacides. Ce n’est pas fini : cette gabegie d’antibiotiques finit par sélectionner les bactéries les plus résistantes, et devinez quelle est la plus résistante de toutes : Clostridium difficile.

Il est donc possible de dénoncer un scandale sanitaire avant qu’il ne survienne, car son scenario est déjà écrit dans le grand livre des pseudo-maladies chroniques.

Alors, pour ceux, très nombreux, dont l’estomac a encore le choix entre maladie chronique et maladie aiguë, je conseille vivement de choisir la seconde. Ensuite, pour éviter le pire, il faudra trouver un médecin qui ne stresse pas devant l’acidité gastrique et qui connaisse bien notre vieux compagnon Helicobacter.

Références

Lointaines origines des humeurs féminines

samedi 16 décembre 2017

Le « disease mongering » désigne le procédé mercatique consistant à inventer des maladies dans le but de vendre des médicaments aux personnes saines. Activité très lucrative en raison de la supériorité numérique des bien-portants.

Beaucoup de ces maladies sorties de l’imaginaire marchand concernent les femmes. La ménopause a été le premier grand succès de ces fantasmagories pathologiques. Hélas, son traitement a tant multiplié les cancers du sein qu’il a fallu recourir à des sous-catégories pour ne pas laisser échapper ce gros marché. La première a été l’ostéoporose post-ménopausique où s’est révélée l’inutilité de tous les traitements préventifs et curatifs, hors la marche régulière. La seconde est la baisse de libido post-ménopausique, dont la proposition thérapeutique est la testostérone : rien de moins ! Pas besoin d’être devin pour savoir que cette hormone mâle prescrite à des femmes provoquera des catastrophes sanitaires aux côtés desquelles la barbe et la moustache ne seront qu’inesthétiques broutilles.

La ménopause et ses avatars se révélant décidément rétifs, le marché a investi le cycle hormonal régulier des femmes, dont la plus repérable des ponctuations est le saignement régulier qui se produit tous les 28 jours. D’autres ponctuations sont plus discrètes, comme l’attractivité, la réceptivité sexuelle et le désir qui sont plus importants lors de l’ovulation. Trois traits qui ont permis d’assurer la perpétuation de notre espèce. Ces trois traits sont inversés dans la période prémenstruelle entièrement dédiée à préparer le réceptacle d’un éventuel embryon. Le changement d’humeur qui accompagne ces variations physiologiques est parfois repérable par le conjoint. De là est venue l’idée de traiter ces changements d’humeur comme une pathologie et de lui donner un nom : « trouble dysphorique  prémenstruel ». Lequel est désormais classé comme un trouble dépressif dans le DSM5 (manuel de psychiatrie), et certains vont jusqu’à lui chercher une origine génétique. Trouver une origine génétique à la reproduction serait alors, sans humour, un argumentaire capable de justifier des traitements antidépresseurs et hormonaux !

En notre époque où le harcèlement des femmes est devenu un sujet majeur de société, comment pouvons-nous rester aussi aveugles à leur harcèlement itératif et insidieux par un marché habilement banalisé ?

Les femmes assurent depuis toujours l’essentiel du coût de la reproduction et des soins parentaux. Leurs humeurs cycliques sont une rémanence bien discrète du long processus évolutif qui nous a permis d’être là. Comment peut-on être dégénéré, cupide ou prétentieux au point de vouloir les infléchir ?

Références

Les spécialistes de la prévalence

mardi 12 décembre 2017

Une hypothèse concerne l’avenir, un fait concerne le passé. Entre les deux il y a l’expérimentation.

Si je dis que telle mesure va faire diminuer la prévalence d’une maladie, c’est une hypothèse. Si j’expérimente cette mesure et que la prévalence baisse, il faut alors introduire une nouvelle distinction entre corrélation et causalité. La maladie peut avoir baissé parce que l’hypothèse était juste, mais elle peut avoir baissé pour plusieurs autres raisons parmi lesquelles se trouvait ou non mon hypothèse.

En bref,  mon hypothèse était fausse ou irréaliste si la maladie persiste et mon hypothèse était peut-être juste si la maladie a disparu ou diminué.

Ainsi, la médecine peut prétendre qu’elle a joué un rôle dans la disparition de la peste et de la variole, car les maladies ont disparu, mais il lui est difficile de prétendre qu’elle a joué un rôle dans le diabète de type 2 ou dans la grippe, car elles sont en augmentation ou en stagnation. Une étude plus détaillée montre que la médecine n’a joué aucun rôle dans la disparition de la peste, mais qu’elle a joué un rôle majeur dans la disparition de la variole grâce au vaccin.

Dans une société où la mercatique domine largement la science, le raisonnement fonctionne à contre-courant : les constats présents et les spéculations sur l’avenir sont bien plus nombreux que l’analyse des faits passés.  Une logique marchande n’utilise pas les données pour confirmer ou infirmer une hypothèse passée, mais toujours pour vanter une action future. Au lieu de dire, c’est parce que la variole a disparu que j’ai été efficace ou parce que la grippe persiste que j’ai été inefficace, on dit, c’est parce que l’hypertension augmente que je vais être efficace.

On peut connaître avec assez de précision la part de mercatique et la part de science dans un article en comparant le nombre de ligne consacrées à relater la gravité du problème à celui des lignes consacrées à l’analyse des actions passées. Dire que la grippe ou le cancer sont des fléaux ne suffit pas à justifier les réflexions et hypothèses qui vont suivre. Dire que telle chirurgie a fait baisser la mortalité, que telle vaccination a eu peu d’impact ou que tel dépistage est ininterprétable ont plus de pertinence pour induire de nouvelles hypothèses et actions.

Lorsque les diabétologues vantent leur importance en disant que la prévalence du diabète de type 2 sera de 35% en 2050, ils peuvent être considérés comme des spécialistes de la prévalence, mais difficilement comme des experts du diabète. C’est un peu comme si un marchand d’avion disait qu’il faut acheter son avion parce qu’il a réellement pris conscience que les crashs sont trop nombreux.

Références

Cordon de sécurité

lundi 4 décembre 2017

Les essais cliniques concernant des médicaments sont majoritairement biaisés, alors que ceux qui portent sur des pratiques médicales sans lien avec le marché sont a priori plus rigoureux. Mais pour certaines études comme celles portant sur la section du cordon ombilical, la réponse est impossible, car les facteurs de confusion sont si nombreux qu’aucune analyse statistique ne peut les éliminer. Sans parler de la forte charge symbolique et idéologique qui entoure le cordon ombilical. Les extrémistes de la vieille école obstétricale coupent immédiatement le cordon, séparent l’enfant de la mère, lui aspirent les bronches et le lavent dans un raffinement de barbarie hygiéniste. À l’opposé, certains forcenés de l’écologie prônent la « lotus birth » consistant à laisser le nouveau-né accroché à un placenta déjà desséché.

Les obstétriciens, désireux d’augmenter les chances de l’enfant et de diminuer le risque d’hémorragie de la délivrance chez la mère, ont réalisé de multiples études. Les unes pour savoir quand couper le cordon : soit immédiatement, soit après qu’il ait cessé de battre, soit bien plus tard. Les autres pour évaluer l’intérêt de pousser le sang du cordon vers l’enfant. D’autres cherchent à connaître le rôle de la gravité en comparant les enfants posés au-dessus de la mère, à côté, ou plus bas, (je ne plaisante pas). D’autres encore pour savoir si les prématurés ont plus besoin de ce sang (toujours sans plaisanter). D’autres enfin pour évaluer le risque infectieux d’un cordon non désinfecté ou d’un cordon de « lotus birth ».

Ces études ayant systématiquement des résultats ininterprétables ou contradictoires, la solution consiste alors à sélectionner les meilleures pour en faire des méta-analyses. Mais le cordon est scientifiquement maudit, car les deux derniers résultats publiés sont diamétralement opposés !

Lorsque la science et la statistique sont en échec, il ne reste plus qu’à faire appel au bon sens (dont l’origine est beaucoup plus lointaine). J’invite donc les lecteurs à répondre aux questions suivantes :

Doit-on  couper un cordon qui bat encore et envoie du sang au nouveau-né ?

Les cellules-souches et le fer du sang de cordon sont-ils utiles au nouveau-né ?

Le risque le plus élevé d’hémorragie de la délivrance est-il lorsque le placenta bat encore sous la pression artérielle de la mère, ou lorsqu’il ne bat plus ?

Est-il utile de laisser un nouveau-né attaché à un placenta sec ?

Pour les universitaires et profanes qui n’auraient pas trouvé de réponse à ces questions, je me permets de donner un indice : tous les mammifères placentaires ont un cordon qui cesse naturellement de battre en quelques minutes et qui sèche si vite qu’un simple coup de dents de la mère suffit à le rompre. Entre-temps, le nouveau-né a déjà trouvé le sein de sa mère pour y téter goulument le colostrum gavé d’anticorps.

Il est temps d’établir un cordon de sécurité autour des études inutiles pour les empêcher de sortir.

Références