Archive pour juillet 2016

Moi, médecin cycliste face à la détresse

lundi 25 juillet 2016

Centimètres grignotés par mes voisins d’embouteillages, spirales descendantes aux enfers des parkings, arrogance des limousines, agacement des voiturettes, déshonneur de certains doigts, angoisse du rendez-vous manqué ; le trafic urbain ne me convenant plus, j’avais depuis longtemps choisi le vélo.

Il fallait relativiser mon statut, revisiter ma dignité, assumer une personnalité composite : téméraire et vulnérable, sage et rebelle, fière et subordonnée. Accepter aussi d’être toujours perdant en cas de heurt.

Ce cycliste grisonnant à la sacoche pleine, si si, c’est bien un médecin qui fait ses visites…

Il y a quelques années, j’ai cru tenir la victoire. Les cités ont vraiment décidé de faire une place aux cyclistes. Enfin, je n’étais plus le seul notable perdu entre des étudiants plus ou moins chevelus et des écologistes en ostentation. Plus tard, l’assistance électrique réduisit l’inconvenance des halètements et des sudations, particulièrement dans ma ville aux deux collines. C’était gagné, les villes offraient même des vélos en libre-service. Lyon la première…

Que de naïveté, j’en souris encore.

Alors que les kilomètres de pistes cyclables continuent à s’accumuler, leur usurpation croissante par les automobilistes me ramène à la complexité de nos démocraties. Le choix des maires est borné entre le fascisme désuet du tout-automobile et le nouvel éco-fascisme du tout-vélo. En outre, un maire qui voudrait réellement extraire l’automobile de sa ville devrait auparavant s’assurer qu’aucune grève des transports en commun ne risquerait d’en prendre toute l’économie en otage. Il est déjà fou de pénaliser le marché automobile, mais tous les marchés, ce serait criminel.

Lorsque des automobilistes stationnent sur ma piste cyclable après avoir allumé leurs feux de détresse, ce n’est pas moi médecin, expert de la détresse, qui peux les tancer. Une mère qui pose son enfant au plus près de la porte de l’école (à cause du trafic), un fils dévoué qui accompagne son père parkinsonien à la porte de son immeuble, des policiers ou des ambulances avec leurs incontestables prérogatives, un livreur dont la performance est une garantie contre la détresse du chômage.

Lorsque l’automobiliste inopportun est un fumeur qui n’a emprunté mon espace vital que pour les quelques minutes d’attente au bureau de tabac, dois-je utiliser mon diplôme de médecin pour lui signifier que fumer est vraiment dangereux pour la santé ? Non, car il pourrait me répondre que circuler en ville en vélo est bien plus dangereux et que le manque de vélo ne provoque pas de syndrome de sevrage. Je serai bien obligé d’admettre qu’il a raison.

Bref, le médecin cycliste est toujours perdant devant les feux de détresse, car ces feux sont réellement des signaux de détresse. Sauf peut-être sur l’autoroute lorsqu’on les allume pour signaler un bouchon, car pour un automobiliste, un embouteillage ne peut pas vraiment être un moment de détresse.

Références

Et si l’asthme disparaissait !

dimanche 3 juillet 2016

L’art médical ne cessera jamais de m’étonner. Lorsque j’ai l’obsession de la science, elle me semble parfois être une fiction et lorsque je penche vers l’humour, il révèle souvent sa pertinence clinique.

L’asthme peut-il entrer dans cette turbulence ? Cette maladie dont le diagnostic est stabilisé depuis longtemps, et dont la médecine a inscrit les crises dans la liste de ses urgences.

Pourtant, les crises d’asthme sévères sont de plus en plus rares ; les médecins ont mis du temps à s’en apercevoir, car ils ont été formés aux sournoiseries du pire plus qu’à sa disparition.

Chez les patients connus, les crises sévères ont disparu grâce à l’efficacité des traitements en aérosol. Quant aux premières crises, elles ont diminué essentiellement par la baisse du tabagisme passif, surtout chez les enfants, et accessoirement par un meilleur contrôle des allergènes. Mais depuis quelques années, les publications font apparaître deux autres raisons.

La première est la composante neuropsychologique de l’asthme. Cette hyperréactivité bronchique est sous la dépendance de facteurs génétiques et environnementaux, comme toutes les maladies, mais aussi sous la dépendance du stress et des émotions comme le révèlent ses liens avec la violence urbaine, les attaques de panique, mais surtout avec le caractère anxiogène des crises elles-mêmes. L’efficacité du traitement des crises en a fait disparaître ce caractère anxiogène, tant chez les enfants que chez leurs parents, conduisant à en diminuer logiquement l’incidence.

La deuxième est le constat d’un surdiagnostic que les experts estiment à un tiers des cas. Les crises réelles d’asthme n’arrivent plus, car le diagnostic de la première crise était erroné.

Certes, la surmédicalisation d’un symptôme subjectif n’est pas une nouveauté, mais dans le cas de l’asthme, elle est néfaste, car au long cours, les beta-mimétiques sont inefficaces et les corticoïdes dangereux (hypertrichose, ralentissement de la croissance, insuffisance surrénale, risque de tuberculose, etc.)

C’est pourquoi les recommandations cliniques sont en train d’évoluer. Il faut avoir une certitude objective avant de commencer un traitement au long cours et savoir cesser ce traitement pour vérifier ce qui se passe. Certains proposent même de ne traiter que les crises au coup par coup. Viendra peut-être un jour où l’inhalateur ne sera utile que dans la poche, comme l’extincteur sur le mur ou la bouée sur le bastingage.

Enfin, bien que la pollution urbaine reste pourvoyeuse d’asthme, elle l’est bien moins que le tabac.

La voiture électrique et l’éradication du tabac feront-elles disparaître cette maladie de mieux en mieux comprise et de moins en moins anxiogène ?

Les maladies évoluent dans le temps et les populations. On peut rêver du jour où ne subsisteront plus que quelques vieux résistants se promenant encore avec un inhalateur de placebo dans la poche…

Bibliographie