Archive pour septembre 2023

Santé et PIB

lundi 25 septembre 2023

Depuis la révolution industrielle, nos progrès se mesurent à l’aune du PIB qui augmente parallèlement aux biens, techniques et services dont disposent les citoyens pour améliorer leur confort, leur éducation et leur santé. Cet indicateur financier est aussi un bon indicateur sanitaire. En effet, dans la majorité des pays, la santé objective de la population s’améliore lorsque le PIB augmente. La règle s’applique également au niveau individuel : l’état de santé est meilleur chez les individus les plus favorisés économiquement.

Pourtant, depuis quelques années, plusieurs études suggèrent que les perceptions subjectives de santé et de bonheur ne sont plus corrélées au PIB. Les enquêtes des économistes Richard Easterlin et Amartya Sen révèlent que la perception de bonheur et de santé n’augmente plus, voire diminue, lorsque le PIB augmente. Ces études ont été contestées, car au niveau individuel, la corrélation entre statut économique et santé reste forte.

Mais ces querelles sont d’un autre âge, car l’augmentation des inégalités sociales dans tous les pays, riches ou pauvres, vient rebattre les données, tant au niveau populationnel qu’au niveau individuel.

D’une part la subjectivité de bonheur varie en fonction des différences perçues en comparaison avec ses concitoyens. Être pauvre et malade semble plus supportable dans un environnement pauvre qu’en étant entouré de riches en bonne santé.

D’autre part, la santé et le bonheur se dégradent également de façon objective, pour toutes les classes sociales, malgré l’augmentation du PIB. Les raisons en sont variées.

Si l’obésité et le tabagisme sont classiquement liées à la misère, l’alcoolisme, les addictions, le diabète, les troubles mentaux et psychiatriques sont en constante augmentation dans toutes les classes sociales. Les toxiques environnementaux touchent toutes les classes, même si les défavorisées y sont souvent plus exposées. Le coût social et financier de ces maladies est si élevé qu’il annule tous les gains de croissance des dernières décennies.

Les dépistages dégradent la santé subjective, mais la surmédicalisation et la pathologie iatrogène qu’ils entraînent dégrade aussi la santé objective. Ce phénomène paradoxal concerne davantage les riches, plus enclins aux dépistages et plus asservis aux soins. Son coût social et financier est également très élevé et annule les gains de PIB.

 Enfin, l’éducation des parents, classiquement protectrice contre la mortalité et la morbidité infantile, contribue désormais à dégrader la subjectivité de bonheur, car l’anxiété face au désastre écologique est transmise par l’éducation, particulièrement dans les classes favorisées. Cette éco-anxiété entraîne un cortège de troubles psychosomatiques, voire psychiatriques débutant de plus en plus jeune.

De toute évidence, le PIB n’a plus d’impact, ni sur la santé subjective, ni sur la santé objective. Osons même affirmer que la décroissance sera bientôt le meilleur moyen d’améliorer les indicateurs sanitaires. 

Références

Même la course à pied

jeudi 14 septembre 2023

La médecine antique avait observé les mille vertus de l’exercice physique. Depuis, les preuves se sont accumulées bien au-delà de ce qu’avaient supposé Hippocrate et ses prédécesseurs. L’exercice physique résume la médecine préventive et il surpasse la médecine curative dans nombre de pathologies où nul ne l’aurait imaginé.

Il améliore la quasi-totalité des scores métaboliques, il diminue fortement le risque de tous types de cancers et de troubles mentaux, il retarde l’apparition des maladies neurodégénératives. Il améliore les fonctions cognitives, la qualité du sommeil et les troubles respiratoires. Enfin, il est incroyablement plus efficace que tous les médicaments connus à ce jour dans les maladies cardio-vasculaires, y compris l’insuffisance cardiaque.

Ces assertions ne nécessitent plus de bibliographie, et l’on peut même se demander pourquoi l’on continue à effectuer des recherches.

Hélas, les variétés modernes d’Homo sapiens ont perdu le sens de la mesure, et les bienfaits du sport sont en train de disparaître par la démesure des compétitions et des commerces qu’il engendre.

Le dopage excessif des cyclistes leur a déjà fait perdre plus d’années de vie que leur sport ne leur en a fait gagner. Les anabolisant détruisent les nageuses des dictatures et les culturistes des démocraties. Le sommet de l’Everest est jonché de cadavres d’obsessionnels de la performance. Les plaisirs du jogging se transforment en névroses d’« iron man ».

De tels risques, pour quelques secondes de gloire ou de plaisir, ne seraient qu’anecdotiques sans le commerce lucratif qui s’en est emparé.

Le football ne peut plus se concevoir sans les milliards d’euros qui lui sont indissociablement liés. Il serait malvenu d’évoquer un risque sanitaire lié à l’alcoolisme des supporters, à la violence des stades ou à l’empreinte carbone des vols internationaux. Le rugby, longtemps épargné, sombre à son tour dans ce commerce, ainsi que tous les sports d’équipe. Enfin, leur accessibilité aux femmes, fruit d’un légitime combat égalitariste, est une occasion de doubler le chiffre d’affaires de ces spectacles populaires qu’il serait fou de critiquer.

Inversement, les courses d’endurance, par nature individualistes et dépourvues de spectacle, semblaient devoir être épargnées par ces démesures. Nenni.

Ultra Trail du Mont Blanc, Marathon des sables, ou Iron Man sont des marques déposées et des commerces lucratifs qui cherchent leurs prospects dans des foires. Ces derniers, à la différence des gladiateurs, paient pour aller au bout de l’exténuation, puis ils mourront précocement d’asphyxie par hypertrophie cardiaque.

Ces courses des milliers de gobelets et bouteilles en plastique, ainsi que des voyages aériens sans autre objet que la course d’un jour. Les chaussures de transition du triathlon sont jetées et viennent s’ajouter aux tonnes d’ordure qui jonchent les pistes. Ceux qui ne mourront pas d’hypertrophie cardiaque subiront plus tard l’impact sanitaire négatif de ces empreintes carbone.

Référence

Psychosocial ferroviaire

mercredi 6 septembre 2023

Nous nous souvenons plus souvent des trains qui sont arrivés en retard que de ceux qui sont arrivés à l’heure. Comme nous tous, j’ai probablement tendance à exagérer ma statistique personnelle, mais je crois pouvoir affirmer que 20% de mes voyages ont subi des retards notables.

Notre pays, pionnier du réseau ferré et de la grande vitesse, voit cet avantage historique annulé par le nombre de grèves de cheminots. Néanmoins, je ne comptabilise pas ces mouvements sociaux dans mes griefs de retard, car ils ont une forme de noblesse qui m’interdit de les inclure dans ma statistique grincheuse. D’ailleurs, ils ne s’évaluent pas en heures, mais en jours, semaines, voire mois. Ils sont donc hors-catégorie.

Lors de mon dernier voyage en TGV, un mort trouvé sur la voie a nécessité une enquête sur place qui a bloqué le trafic pendant 5 heures. L’année dernière, c’était un suicide qui avait provoqué un retard similaire.  Quelques années auparavant, c’était un sanglier qui avait franchi les clôtures de la voie sans idée préconçue de suicide. Un ami vient de vivre la même aventure avec un cerf. Il serait cependant mesquin d’accuser la SNCF d’écocide involontaire. Et puisqu’il est question d’écologie, notons que des écologistes extrémistes sabotent régulièrement des caténaires pour protester contre une nouvelle ligne ou pour en réclamer une dans un désert ferroviaire. Les écologistes aiment aussi bloquer les gares qu’ils partagent volontiers avec des extrémistes de droite et des grévistes sans affinité ferroviaire. Les djihadistes s’en prennent plutôt aux voyageurs et sont à l’origine de retards mémorables.

Venons-en à la médecine et à la santé, mes sujets de prédilection. Au total, mes proches ont vécu cinq retards importants pour l’évacuation sanitaire de trois embolies et deux AVC survenus dans leur train. La psychiatrie n’épargne pas nos réseaux ferrés, puisque trois de mes amis ont eu à faire à des psychotiques en phase délirante qui avaient actionné le signal d’alarme

Récemment, une locomotive a été bloquée en gare de Lyon, car une chatte gestante s’était réfugiée dessous. Des membres de la SPA ont exigé son évacuation douce. Douceur qui a nécessité deux heures de diplomatie féline.

Quant aux phénomènes météorologiques qui perturbent régulièrement le réseau ferré, il est difficile de désigner des responsables. On pourrait reprocher à la SNCF de n’être pas assez prévoyante, mais il faudrait aussi accuser toute l’humanité qui est en partie responsable de ces évènements climatiques extrêmes. Décidément, beaucoup d’extrémismes, d’incuries et d’idéologies convergent vers nos trains.

Mes propos dissimulent assez mal un agacement de citoyen voyageur. Je me dois donc d’y adjoindre une question philosophique : à partir de quel niveau de complexité psychosociale il n’est plus ni nécessaire ni rentable d’investir dans le progrès technologique ?

Je vous invite à y réfléchir pendant vos prochaines heures d’attente dans un train bloqué…

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