Archive pour octobre 2019

Merveilleux purificateurs d’air

mardi 29 octobre 2019

En décembre 1952, le smog de Londres a fait plus de 10 000 morts. Il s’agit de la première étude épidémiologique sérieuse des nuisances liées à la pollution atmosphérique de l’ère industrielle. On peut supposer que ces nuisances étaient perçues depuis longtemps, puisqu’un siècle auparavant Alphonse Allais avait suggéré de construire les villes à la campagne, car l’air y est plus sain. Cette phrase serait en réalité celle d’un certain Jean Commerson, peu importe, cela prouve que plusieurs esprits libres sonnaient déjà l’alerte sur la qualité de l’air que nous respirons.

Depuis, l’aspect des villes a beaucoup changé, les usines les ont désertées pendant que les urbanistes les remodelaient pour les dédier quasi exclusivement à la circulation automobile et au stationnement des véhicules. La pollution y est désormais plus régulière et plus diffuse.

Puisqu’aucun pays ne peut se passer du PIB de l’industrie automobile, les autorités mettent en place des mesures des taux de pollution qui permettent de temporiser en affichant la volonté de faire quelque-chose. En médecine aussi, les analyses et les radios sont une façon de tuer le temps lorsque l’on ne sait rien faire d’autre…

Ce qui est nouveau par rapport à l’époque d’Alphonse Allais et du smog londonien, c’est que nous sommes passés d’un marché de la demande à un marché de l’offre, avec une financiarisation dominante qui annule toute réflexion d’ordre éthique ou plus simplement logique.

Dans un marché de l’offre, l’écologie offre d’infinies opportunités. La pollution est une aubaine que savent exploiter de nouveaux marchés pleins d’avenir. Celui des purificateurs d’air et en pleine expansion.

On propose déjà des véhicules dotés de purificateurs ou pseudo-purificateurs supposés permettre de rester plus longtemps dans les embouteillages sans s’empoisonner soi-même. De gros purificateurs sont désormais proposés aux écoles, aux établissements publics et aux collectivités territoriales. Les marchands ont toujours su habilement exploiter l’obligation d’affichage éthique du clientélisme démocratique. Le même procédé est utilisé pour promouvoir et faire rembourser des médicaments à des prix exorbitants ; dans ces cas, ce n’est pas l’efficacité (souvent inconnue) qui sert d’argumentaire commercial, mais la compassion obligatoire des autorités.

Nous ne pouvons pas savoir quelle sera l’efficacité sanitaire réelle de ces purificateurs d’air installés dans les rues ou dans les écoles.  Par contre, nous pouvons déjà avoir la certitude que leur fonctionnement alourdira notre dette et notre empreinte carbone. D’autant qu’ils contiennent souvent des filtres en cartouches jetables, annonçant un marché de consommables aussi lucratif que celui des cartouches d’imprimante.

Voilà donc un merveilleux marché de l’offre : plus nous installerons de purificateurs d’air, plus nous en aurons besoin.

Références

Grossièreté neuroleptique

samedi 19 octobre 2019

Les quatre domaines du soin sont la chirurgie, l’obstétrique, la médecine et la psychiatrie. Nul ne peut contester les extraordinaires progrès des deux premiers. En ce qui concerne la médecine, nous devons louer la morphine, les vaccins, l’insuline et les antibiotiques. Pour la psychiatrie, en dehors des neuroleptiques et des thérapies comportementales, une certaine modestie s’impose.

Les neuroleptiques ont révolutionné le soin en supprimant la camisole de force, transformant les « aliénés » en « patients ». La pharmacologie psychiatrique, trop souvent en échec, a transformé ce succès en une grossièreté mercatique. Lorsque la chlorpromazine (Largactil®) a été découverte dans les années 1950, ce premier neuroleptique a été proposé dans – va-t-on me croire – l’alcoolisme, l’anxiété, l’asthme et toutes les douleurs (arthrose, tendinites, brulures, etc.)

Comprimé magique également promu pour l’hyperactivité infantile et tous les troubles du comportement de l’enfant, décrétés innombrables. Une publicité est allée jusqu’à proposer un dérivé de la chlorpromazine pour les enfants qui détestaient leurs jouets. En cette époque de domination psychanalytique, venger les injustices de la vie sur sa poupée devait être un signe de déséquilibre mental.

Et aussi le hoquet, les nausées y compris celles de la grossesse, les vomissements, l’ulcère gastrique, la ménopause, le psoriasis et les émotions liées à toutes les maladies de la peau.

Le cancer a été particulièrement choyé puisque la chlorpromazine était indiquée pour la phobie du cancer, les souffrances liées à la maladie et à sa radiothérapie. Donc avant, pendant et après !

Sans oublier l’agitation sénile et plus simplement la sénilité. Tous les patients agités ou contestataires, mais aussi les patients apathiques. Et encore, les manies, l’agressivité, les déficiences mentales, le stress. Une publicité vantait la « libération de l’esprit » en décrivant ces comprimés comme des « compagnons » sur lesquels on pouvait compter pendant des mois et des années. Les années étant préférables.

La schizophrénie, seule véritable indication, n’avait pas de priorité particulière. Certes la publicité mentionnait l’action sur les délires, ajoutant que le médicament pouvait aussi aider les personnes distraites à se maintenir dans la réalité.

Enfin, ce médicament faisant somnoler les patients avant l’anesthésie, on pouvait vanter son action aux quatre « point cardinaux » : obstétrique, chirurgie, médecine et psychiatrie.

Hygie et Panacée, les deux filles d’Asclepios dieu de la santé, étaient rivales, l’une prévenait les maladies, l’autre les guérissait toutes. Avec les neuroleptiques, Panacée a failli gagner. Aujourd’hui Hygie a repris de l’influence. Mais Panacée n’a certainement pas dit son dernier mot. En prescrivant largement des neuroleptiques, dès le plus jeune âge, notre efficacité sur les pathologies serait globale : avant, en supprimant la crainte, pendant, en masquant les symptômes, et après, en effaçant le souvenir.

Références

Djihadisme ou psychotropes

mardi 15 octobre 2019

Après chaque tuerie barbare, se pose l’inévitable question de son lien avec le terrorisme islamiste. Chaque enquête commence par cette interrogation dont la réponse conditionne toutes les suites juridiques et sociopolitiques. Cela est compréhensible puisque le lien entre la radicalisation islamiste et la barbarie a été dûment établi par une longue succession de faits.

Cependant, aucune science, qu’elle soit sociale, biologique ou physique ne peut progresser en se contentant de rabâcher de vieilles corrélations. Les réflexions circulaires conduisent à des paradigmes qui finissent par ressembler à des dogmes. Il faut ouvrir de nouvelles portes.

Rechercher la motivation (prosélytisme, mission divine, radicalisation) des homicides barbares, c’est n’en traiter que l’aspect cognitif, en projetant notre rationalité d’observateur, de commentateur ou d’enquêteur sur l’auteur de l’homicide. C’est en négliger la barbarie, l’irrationalité, le délire, l’impulsivité, le caractère irrépressible, la folie suicidaire, autant d’aspects qui ne relèvent plus de processus cognitifs mais d’évènements neurophysiologiques.

Nous avons déjà de nombreuses données et de nouvelles pistes de recherche pour mieux comprendre ce phénomène. Les psychotropes et toutes les substances psychoactives sont connues depuis longtemps pour provoquer des actes « insensés » chez des personnes dont on semble se plaire à répéter que rien ne les y prédisposait.

La secte des islamistes haschischins est historiquement connue pour nous avoir fourni le mot « assassin ». Nous connaissons le rôle de l’alcool sur la témérité des poilus, l’usage de diverses drogues dans les grandes offensives militaires et celui des amphétamines dans les réseaux djihadistes. Le risque suicidaire des antidépresseurs est désormais bien documenté, comme le sont les homicides sous benzodiazépines, l’induction psychotique du cannabis, et les hallucinations de divers psychédéliques.

Dans le dernier attentat qui a fait 4 victimes, on sait même que l’assassin avait entendu des voix la veille de son acte. Etonnant non !

Pourtant, en écoutant les enquêteurs, en ouvrant les radios, en lisant les journaux, en écoutant les préfets et ministres, je n’ai jamais entendu parler de recherches sur la prise possible de psychotropes.

Lorsque l’on avait réalisé que plus de la moitié des accidents de la route étaient liés à l’alcool, on avait généralisé les éthylotests après chaque accident ou infraction. Nos données sur les liens entre substances psychoactives et barbaries sont aujourd’hui bien meilleures. Pourquoi aucune enquête ne commence par le dosage de ces substances ? Pourquoi aucun préfet ne le suggère, pourquoi aucun enquêteur ne semble même se poser la question ? Pourquoi aucun député n’a l’idée d’aborder ce thème ?

Un tel niveau de silence sur les psychotropes dépasse l’entendement. On ne peut plus parler de négligence ou d’ignorance, il faut presque parler d’omerta.

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Psycho-immunologie

mardi 1 octobre 2019

La psycho-immunologie est un nouveau domaine de recherche clinique et biologique en plein essor. Il s’agit de comprendre la nature des liens entre le système immunitaire et les maladies mentales.

Les cliniciens ont toujours observé des relations complexes entre, d’une part, maladies auto-immunes et infections à répétition, et d’autre part, dépressions et troubles de l’humeur. Ils en ont aujourd’hui la confirmation statistique. Il existe une parfaite relation de type dose-réponse entre le nombre d’épisodes infectieux sévères et le risque de schizophrénie. La même relation existe entre le nombre d’hospitalisations pour infection ou maladie auto-immune et le risque de troubles de l’humeur.

Malgré ces corrélations, il reste hasardeux de vouloir établir des causalités. Est-ce la dépression qui favorise les infections ? Est-ce la polyarthrite rhumatoïde qui favorise de façon compréhensible les troubles anxieux ? Est-ce l’inverse ? Ou encore, les deux types de morbidité résultent-ils d’une conjonction d’autres facteurs génétiques et environnementaux ?

Ce genre de question est récurrent en médecine clinique, on fait alors appel à la biologie. Celle-ci nous a déjà confirmé que le taux de cytokines pro-inflammatoires est plus élevé en cas de dépression, de comportements agressifs et dans la majorité des troubles mentaux.  Ces résultats ne doivent pas nous faire perdre notre lucidité de clinicien face aux empressements thérapeutiques.

Il est trop tôt pour proposer des anti-inflammatoires à toutes les dépressions, comme certains se sont empressés de le faire après avoir constaté quelques améliorations passagères.

Même si le lien entre infections et schizophrénie peut s’expliquer par la présence d’autoanticorps cérébraux, il serait prématuré de traiter cette maladie avec des antibiotiques ou des immunosuppresseurs. Pourtant un dérivé mixte est déjà à l’étude, car il agirait à la fois sur les cellules gliales du cerveau et sur le microbiote intestinal.

D’autres vont jusqu’à proposer le dosage des autoanticorps pour diagnostiquer les dépressions. Ici l’enthousiasme confine au délire.

Plus lucidement : les maladies mentales augmentent en fréquence et en durée, cette réalité épidémiologique est un cuisant constat d’échec. Il en est de même pour les maladies auto-immune où mon ignorance globale n’a d’égale que celle des autres.

L’importance du marché dans le financement des études est devenue le talon d’Achille de la connaissance. Le but n’est plus d’intégrer de nouveaux niveaux de compréhension, mais de trouver rapidement une hypothèse réductionniste susceptible de faire valider un traitement. Donner des antiinflammatoires à tous les déprimés provoquera assurément des épidémies d’ulcère gastrique et d’insuffisance rénale.

Nos échecs pour les maladies mentales et auto-immunes doivent inciter à plus de prudence. Deux négatifs conduisent à un positif, mais je doute fort que cette mathématique s’applique aux sciences biomédicales.

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