Archive pour janvier 2020

Populisme et moral des médecins

mercredi 22 janvier 2020

L’élection de Trump a suscité de nombreux articles de sociologie politique. C’était le moins que l’on pût faire en attendant que l’Histoire nous révèle un jour comment les démocraties ont péri par le populisme, ou comment elles en ont réchappé, si cela est encore possible.

Une publication originale sur le moral et le stress des internes en médecine a logiquement attiré mon attention. Contrairement aux études qui s’intéressent à la qualité des soins, sous l’angle de la charge de travail, du manque de sommeil des soignants ou des réformes des systèmes sanitaires, celle-ci avait la rare particularité de considérer un facteur externe au monde de la santé. En effet, le classique stress médical n’empêche pas les médecins du subir aussi les tensions politiques et sociales.

Cette étude prospective de qualité, étalée sur deux ans, portait sur 2500 internes répondant quotidiennement à un questionnaire précis sur leur humeur. Les scores étaient comparés entre les 4 semaines précédant et suivant un évènement non lié à l’exercice de leur profession. Neuf évènement politiques (investiture de Trump, lois anti-musulmans, séparation des familles de migrants, etc.) et huit non politiques (championnat de base ball, ouragan, meurtres de masse, etc.) ont ainsi été analysés.

Il apparait que l’humeur et le niveau de stress de ces jeunes médecins n’ont pas été influencés par des évènements non politiques et pourtant meurtriers, mais qu’ils l’ont été lourdement par les lois conservatrices et les diverses mesures de Trump.

Doit-on en conclure que les jeunes médecins ont déjà conscience que la pathologie d’un individu est futile en regard de la pathologie d’une société ? Malgré leur faible expérience, ont-ils ont déjà compris que les inégalités sociales sont la clé de toutes les étiologies ? Réalisent-ils avec stupeur que leurs connaissances physiologiques et moléculaires sont bien dérisoires face aux maladies de civilisation ?

Beaucoup de ceux qui dissertent aujourd’hui sur les méfaits géopolitiques du ‘trumpisme’ et plus généralement du populisme n’avaient anticipé ni l’élection de Trump, ni le Brexit, ni les succès du clan Le Pen.

Aujourd’hui que la médecine se gorge de dépistage et de prévention, faut-il confier aux universités médicales le soin de développer une sémiologie du populisme pour en faire un diagnostic plus précoce ?

Il faudrait encore qu’un diagnostic précoce soit capable d’influencer favorablement le cours d’une maladie chronique. Ce qui n’est pas certain. Il faudrait enfin que le score d’humeur des soignants du populisme ne soit pas trop dégradé par ses victoires.

Références

Sentence du temps sur la pharmacie

lundi 13 janvier 2020

Prescrire®, la revue médicale française la plus lue à l’étranger, vierge de publicité et de conflit d’intérêts, vient de publier, comme chaque année, la liste des produits pharmaceutiques à écarter. Liste établie par une méthode rigoureuse permettant d’évaluer le rapport bénéfices/risques de chaque médicament.

Ce rapport est difficile à établir avant la commercialisation des médicaments, tant pour le ministère qui a tendance à surévaluer leurs bénéfices pour des raisons politiques ou industrielles, que pour la revue qui a tendance à le sous-évaluer par prudence et par une analyse plus sévère des essais cliniques.

Après plusieurs années de prescription et de consommation, l’évaluation devient de plus en plus pertinente, car les données statistiques reposent sur des plus grand nombres. Prescrire® est souvent la première à donner l’alerte, les ministères suivent après un délai de durée liée à la gravité du risque et à la puissance des lobbys.

Renforcer la pharmacovigilance et dénoncer les conflits d’intérêts a permis de raccourcir ce délai de reconnaissance des dangers relatifs et absolus. Finalement, la vérité moyenne vue par le ministère de la santé est moins longue à apparaître que celle du nombre de manifestants vu par les syndicats.

Sur la liste 2019 des médicaments plus dangereux qu’utiles, on est surpris d’en découvrir qui ont fait la fortune de leurs fabricants, qui ont permis de procurer de l’emploi à des dizaines de milliers de salariés, qui n’ont fait l’objet d’aucune critique de la part des médecins et des universités, et que les patients consommaient, mus par une inébranlable foi.

Nous ne parlons pas ici des médicaments à scandales retentissants, mais seulement de ceux qui ont subrepticement et doucement fait plus de mal que de bien en termes de santé publique ou individuelle.  Destinés à baisser le sucre ou la douleur, à diminuer une diarrhée ou une dépression, à améliorer la circulation sanguine ou le sommeil, à retarder une métastase ou une démence ; aucune classe pharmaceutique ne semble pouvoir complètement échapper à cette molle sentence du temps qui passe.

Evitons le populisme en n’accusant que big pharma, profitons plutôt de cette liste annuelle pour parfaire l’éducation sanitaire de nos patients et de nos enfants, en leur rappelant quelques évidences. La plupart des situations pathologiques ont une résolution spontanée. Pour les maladies dites chroniques, l’hygiène de vie fait toujours mieux que les médicaments, surtout après 65 ans. Les thérapies comportementales sont cent fois plus actives sur la douleur, la dépression et le sommeil que toute la chimie des synapses. Un enfant qui a vu ses parents consommer des médicaments en consommera. Dans de nombreuses situations, la voie pharmacologique inhibe la voie comportementale. Etc.

Remercions tout de même les lanceurs d’alerte qui nous permettent d’aller encore plus loin dans le décryptage du soin et de ses arcanes.

Références

Antioxydants, déméthylants, télomérase et greenwashing, même combat

samedi 4 janvier 2020

La production d’énergie à partir de l’oxygène permet le fonctionnement de nos cellules, mais provoque l’accumulation de dérivés oxydés qui participent à leur vieillissement. Dès que ce phénomène a été compris, une avalanche de produits antioxydants, vitamines et autres, ont été proposés pour ralentir le vieillissement. Bien évidemment, après quelques décennies de vente, il est apparu qu’aucun de ces produits n’avait la moindre action sur le vieillissement. On a même constaté un léger effet négatif. L’oxygène semble donc être plus utile que nuisible. Qui l’eut cru ?

Lorsque l’on a commencé à étudier les divers processus qui permettent d’empêcher ou de moduler l’expression des gènes dans l’organisme, le mot « épigénétique » a été survendu dans les médias. Détrônant la génétique toute puissante. Ce domaine de recherche est encore en friche, mais on sait déjà que la méthylation de l’ADN est le principal processus de cette modulation de l’expression des gènes.  Il n’en pas fallu davantage pour stimuler quelques sciences infuses. Savez-vous par exemple que la lunasine du soja est capable de déméthyler l’ADN ? Souhaitons qu’elle puisse choisir avec discernement quels sont les gènes à déméthyler. Le fabricant nous informe que la lunasine est extraite par un procédé qui garantit le maintien de sa bioactivité même après la digestion ; on ne voit pas bien en quoi ces propos peuvent nous rassurer sur la précision de de la mécanique épigénétique. Espérons que les gros consommateurs de déméthylants ne périssent pas plus rapidement que ceux d’antioxydants

De découverte plus récente, les télomères sont des segments de nucléotides situés à l’extrémité des chromosomes. Ils raccourcissent à chaque division cellulaire et sont un marqueur assez fiable du vieillissement. Ils sont en partie restaurés par une enzyme nommée télomérase. Vous devinez la suite… Les racines d’astragale, le thé vert, la silymarine et les vieux oméga 3 sont déjà dans la liste des activateurs de télomérase.

La grande vague du microbiote a été logiquement suivie d’une vague de probiotiques.

Bref, dès que la science fait un petit pas, les médias font dix grands pas et les marchands enfilent les bottes de sept lieues pour galoper loin devant.

Maintenant que la santé de notre planète est, elle aussi, devenue un sujet de préoccupation, les procédés de réparation proposés sont les mêmes que pour nos corps. Avec le ‘greenwashing’, tous les industriels ont copié le marché sanitaire. Une excellente école. Les pétroliers sont devenus des énergéticiens et ne parlent que d’énergie durable.

Il y a cependant une différence : la marche et le régime jockey sont, à ce jour, les seuls moyens capables de rallonger les télomères et de ralentir tous les processus du vieillissement. Recommandations inapplicables à la planète. Nous vieillirons donc ensemble.

Références