Archive pour février 2008

Vitesse et prostitution

vendredi 8 février 2008

« Interdiction » est un mot délicat à manipuler dans nos pays démocratiques, même lorsqu’il s’agit de santé ou de salubrité publique.

Le gouvernement essaie de prohiber la prostitution, discrètement, et la vitesse, de façon plus ostentatoire. Mais, la façon de traiter ces deux interdits est radicalement différente. L’un frappe l’objet du délit et l’autre son utilisateur.

Le gendarme ne songe jamais à verbaliser le véhicule à la place du conducteur. Notre pays autorise la fabrication et l’importation de véhicules dépassant de plus de deux fois la vitesse légale. Ceci ne fait l’objet d’aucun débat.

A l’inverse, dans la prostitution, on s’en prend au producteur et non au consommateur, bien que les débats sur l’utilité de punir les deux soient nombreux.

Les interdictions sont des sujets chargés d’une affectivité déraisonnable, d’où la logique est constamment exclue. Seules deux conduites sembleraient logiques, soit annuler l’interdiction, soit la maintenir en l’attaquant par ses deux bouts : offre et demande, production et consommation.

Le gendarme devrait ainsi pénaliser monsieur Ducon qui conduit et monsieur BMW qui a fabriqué l’objet du délit. Il devrait punir monsieur Dugland qui consomme et madame Delarue qui offre l’objet du délit.

Pourquoi donc n’en est-il pas ainsi ?

Le moraliste me répondra que l’on ne peut pas comparer la prostituée, être de chair empreint des merveilleux sentiments humains, avec une voiture, objet de métal empreint des merveilles de la technologie. Le moraliste a raison, seul un être de chair peut mériter la damnation.

L’historien me répondra que la prostitution est si ancienne qu’elle est un objet de culture qui ne peut plus être soumis à la loi, alors que la vitesse, toute récente, n’est pas encore assimilée par nos lentes biologies. L’historien a raison, la seule loi humaine possible est la force de l’habitude.

Le médecin condamne la vitesse, beaucoup plus dangereuse que la chair, malgré le Sida. Par contre, il s’incline devant le constructeur automobile qui prétend offrir aux amateurs, la vitesse comme un luxe (réserve de puissance), et non comme une nécessité. Le sexe est-il un luxe ou une nécessité ? Peu importe, car en cas de compulsion, luxe et nécessité se confondent.

D’autres explications, enfin, sont plus réalistes, donc plus triviales. Les nations peuvent taxer la vitesse par ses deux bouts (essence et amendes), mais ils n’osent taxer aucun bout de la chair, surtout pas le bout du gland, de peur d’être grossiers. Pourtant, l’idée d’un état proxénète ne me paraît ni plus choquante, ni moins dérisoirement utile que celle d’un état fabricant d’armes, si les buts clairement avoués, sont d’éviter l’esclavage sexuel ou la terreur nucléaire.

Il ne faut enfin pas oublier, que derrière tous les interdits, se cachent les privilèges de l’impunité. J’imagine fort bien nos élus, aller sans honte, se faire sauter un PV pour excès de vitesse…

Mon imagination s’arrête là.?

Les vrais risques du syndrome d’hyperactivité infantile

vendredi 8 février 2008

La mode éditoriale du syndrome d’hyperactivité infantile (TDAH*) n’est pas un hasard, car chacun perçoit, derrière cette « nouvelle » maladie, l’occasion de fougueux débats épistémologiques et politiques. Si les plus polémistes des psychiatres ont envie de contester la réalité biologique d’un tel syndrome, ils seraient bien imprudents de le faire. On ne peut qu’évoquer les imprudences historiques et ridicules de certains psychanalystes qui avaient osé contester la réalité organique de certaines maladies ; citons entre autres : la mère « schizophrénogène » de Fromm-Reichmann, l’autisme par carence affective de Bettelheim ou la schizophrénie issue des névroses parentales de Françoise Dolto.

Cette agonie de la psychanalyse ne doit nous réjouir que sur deux points : d’une part, la fin d’un impérialisme intellectuel mérite d’être saluée, d’autre part, les mères ont dû être ravies d’apprendre qu’elles n’étaient plus la cause de ces deux terribles maladies. Cependant, restons vigilants sur ce champ libre laissé aux chimistes et aux généticiens, qui, enfin libérés de l’impérialisme psychanalytique, vont pouvoir s’adonner à leurs obsessions synaptiques et à leur ivresse génétique.

Aujourd’hui, les plus humanistes des cliniciens sont encore obligés de choisir entre le dogme du gène ou le dogme du psy. Cette guéguerre durera certainement aussi longtemps que les pharmacologues auront le pouvoir, car la synapse est la seule cible qui se laisse manipuler sans trop rechigner.

Cela me conduit à deux réflexions.

L’autisme et la schizophrénie avaient été parfaitement décrits dans les traités de médecine de l’antiquité, alors que rien n’évoque l’existence d’un quelconque TDAH décrit pour la première fois en 1870. Sachant que les mères existaient déjà dans l’antiquité, il est possible de supposer timidement que de nouveaux facteurs socioculturels puissent avoir favorisé l’émergence de cette maladie chez nos chérubins et son épidémie dans notre nosologie.

Ma deuxième réflexion concerne la Ritaline® dont il n’est pas question de contester ici la probable utilité, malgré le danger de sur-diagnostic et de sur-traitement auquel expose chaque nouveau médicament de ce type.

En effet, le risque, bien plus redoutable et plus insidieux, de ces nouvelles molécules est celui de la négligence progressive, vite acceptée par tous, des autres pistes thérapeutiques et étiologiques. Les cent-vingt années de silence écoulées entre les premières descriptions du TDAH et la commercialisation de la Ritaline® nous prouvent bien que seule la chimie est aujourd’hui capable de susciter la médiatisation et la recherche et de financer leur avenir. Les autres pistes n’auront jamais, pour les piètres cliniciens que nous sommes devenus, cette perfection mercatique et causale.

* Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité infantile