Archive pour octobre 2021

Fermer les facultés de médecine ?

vendredi 22 octobre 2021

Plusieurs enquêtes l’ont confirmé, 95% des facultés de médecine n’ont aucune politique pour protéger leurs étudiants de l’influence de l’industrie. Et parmi les 5% qui tentent de faire face à la suprématie du marché, les contre-mesures sont timides et peu suivies. Ainsi la totalité de nos carabins accumulent des biais d’éducation tout au long de leur cursus.

Ce constat ne devrait pas étonner, puisque les universitaires ont eux-mêmes subi ces biais de formation et que leur carrière ne progresse pas en fonction de leur compétence clinique, mais en fonction du nombre de leurs publications quasi-exclusivement financées et gérées par l’industrie. Le discours de certains universitaires influents ressemble à s’y méprendre à l’argumentaire d’un visiteur médical. Nos étudiants, raisonnablement suspicieux devant un camelot, succombent au charme savant de leur maître.

Dans nos facultés, l’Histoire de la médecine est optionnelle, l’épistémologie du diagnostic est inconnue. La biologie de l’évolution est absente. Les maladies sont enseignées comme des entités fixes en négligeant leur histoire naturelle. Les sciences humaines et sociales sont enseignées en première année alors que c’est en fin de cursus qu’elles pourraient éveiller l’esprit critique nécessaire à l’indépendance.

Malgré l’évidence de la complexité sociale et des nouvelles contraintes environnementales comme causes des maladies, l’enseignement reste basé sur une conception monofactorielle des maladies et de leurs diagnostics. Tout facteur de risque légèrement modifiable par un médicament domine l’enseignement sans rationalité étiologique. Les analyses et mesures s’écartant de la norme dominent l’enseignement diagnostique aux dépens de l’épistémologie et de la nosologie.

Tout l’enseignement est formaté par le réductionnisme scientifique imposé par l’industrie soumise elle-même aux impératifs de preuves réductionnistes. Les thérapies cognitives et comportementales sont négligées derrière la pharmacologie dominante. Les règles hygiéno-diététiques sont simplement mentionnées sans programme de sociologie dédié.

Plutôt que d’apprendre à dépister un cancer du poumon ou une sténose coronaire selon les normes de l’industrie du diagnostic, il faudrait enseigner à déjouer l’agnotologie des industriels du tabac. Plutôt que d’enseigner l’efficacité théorique des anticorps monoclonaux, il faudrait apprendre à mieux juger leurs maigres résultats cliniques. On peut négliger d’enseigner les maladies neurodégénératives, dont tout traitement rapportera a priori plus d’argent que d’années/qualité de vie, au profit des maladies neurodéveloppementales de l’enfant et de l’adolescent où chaque infime progrès est plus prometteur.

Les cliniciens se font rares, les facultés peuvent disparaître, car la conception réductionniste du diagnostic et du soin et très adaptable aux nouveaux marchés de l’intelligence artificielle.

Pourvu qu’il nous reste quelques chirurgiens de guerre pour les traumatismes de la route.

Références

Trouble dissociatif politique

mercredi 13 octobre 2021

Un homme politique ne dit jamais « français » ni « citoyens », il dit « françaises et français » ou « citoyennes et citoyens ». Notre langue possède cette magie du genre qui permet une rapide identification de l’auteur d’un discours. Cependant, ce détail ne permet pas de discerner si cet humain (mâle ou femelle) est en campagne électorale. Le mot qui donne assurément la réponse à cette interrogation est « rassembler ». Ce mot surgit toujours dès les premières secondes d’un discours ou interview. Ces politi (ciennes et ciens) ont l’obsession d’un rassemblement dont ils sont à la fois cible et vecteur : vers eux et par eux. Ce leitmotiv entonne et surpasse tous les programmes et toutes les idéologies. C’est d’ailleurs le sentiment profond d’avoir cette faculté de rassembleur qui a motivé leur candidature. Leur seule véritable idéologie est celle du rassemblement et aucun programme ne pourra se décliner sans ce prérequis.

Cette logique implacable dissimule pourtant un problème de taille. Ces adeptes du rassemblement ont généralement commencé leur carrière de rassembleur en trahissant leur propre camp. Leur prédisposition à désassembler le groupe qui a donné un premier essor à leur carrière est supposée être le garant de leur capacité à rassembler. Pour ceux qui ne suivent pas, disons plus simplement que le deuxième essor d’une carrière politique commence par une action contre-productive en termes de rassemblement. Pour ceux qui peinent encore à suivre, résumons ainsi : plus il y a de rassembleurs, moins il y a de rassemblement.

Dans un pays comme le nôtre où le multipartisme est intangible, cela se traduit par une augmentation progressive du nombre de partis et de candidats à chaque élection. Nous sommes passés de 5 à 6 au début de la cinquième république, à plus d’une trentaine aujourd’hui.

Mais que vient faire cette diatribe dans une chronique médicale ?

Constater une augmentation de l’incidence des partis politiques n’est pas vraiment de l’épidémiologie médicale. Même si la sociologie prend une part croissante dans les causes de troubles et souffrances individuelles, inversement, ce bouillonnement partisan pourrait avoir quelque vertu thérapeutique pour les rassembleurs et leurs adeptes en instance de rassemblement. Les ONG ont aussi ce pouvoir de bénéficier à leurs attributaires et à leurs attributeurs, mais elles sont très rarement initiées par une trahison.  

Dans une époque où la médecine étend sans vergogne son emprise sur tous les troubles psychosociaux, ma chronique pourrait être pernicieusement médicale en proposant de rajouter un nouveau trouble mental aux plus de 500 que compte déjà le DSM, manuel de référence de la psychiatrie académique.

Ce pourrait être, par exemple, le trouble dissociatif politique (TDP). Le point commun des divers troubles dissociatifs est un biais de perception de l’identité.  Le TDP consisterait alors à se percevoir rassembleur sur sa faculté à désassembler.

Référence

Splendeur et misère des plaques d’Alzheimer

mercredi 6 octobre 2021

La démence sénile, longtemps considérée comme une banale dégénérescence – ni cartilage, ni peau, ni artères ne peuvent échapper à la sénescence – est devenue maladie lorsque le microscope d’Alzheimer a permis de voir des fibrilles dans les neurones et des plaques dans le cortex. La biomédecine a l’habitude de transformer un processus de sénescence en maladie lorsque la technologie permet d’en dévoiler une partie. DMLA, ménopause, sarcopénie, ostéoporose, athérosclérose ou dysfonction érectile illuminent cette nouvelle sémantique de la sénescence.

Cette maladie d’Alzheimer fait rêver l’industrie pharmaceutique. Elle a tout pour lui plaire : symptômes flamboyants, fréquence en augmentation logique dans les pays solvables, potentiel d’angoisse facile à entretenir, et signes précurseurs d’une telle banalité que tout citoyen est une cible de diagnostic précoce.

Tous les médicaments proposés ont eu un rapport bénéfice/risque négatif. Seules les mesures hygiéno-diététiques, cognitives et comportementales ont une utilité préventive et ralentissent faiblement la progression. 

Les études montrent que la baisse de vascularisation est le facteur le plus important, comme pour les autres dégénérescences. Tous les organes ont l’âge de leurs artères, cerveau y compris. Mais cette vérité est trop triviale pour les chercheurs et fondations que l’industrie alimente.

Les fameuses plaques du microscope d’Alzheimer, aujourd’hui nommées amyloïdes, sont beaucoup plus présentables. Et bien que nul ne sache si elles sont causes ou conséquences de la maladie, le marché les cible obstinément, car elles sont un critère intermédiaire parfait : montrer une action sur ces plaques permet d’extrapoler sur une possible action clinique. 

L’aducanumab est un nouvel anticorps monoclonal qui limite la progression de ces plaques amyloïdes. Biogen, son fabricant vante une diminution de 23% du déficit cognitif quand le traitement est précoce. Précoce est évidemment le mot important. La polémique est déjà lancée puisque d’autres études ne montrent rien du tout. Mais là n’est pas le sujet, la FDA vient d’autoriser une mise sur le marché provisoire, faisant subitement grimper le cours de l’action du laboratoire et mettant tous les médias au diapason.

Il ne faut pas chercher à savoir quels sont les conflits d’intérêt des spécialistes qui s’expriment sur les ondes, car ils sont par eux-mêmes un énorme conflit d’intérêt en faisant la promotion d’un médicament dont le coût annuel est de 50 000 € par an et par patient, pour un bénéfice qui sera nul ou négligeable en termes de quantité-qualité de vie – Je prends date.

Il est des conflits d’intérêts qui commencent avant la première étude, lorsqu’il est certain que le sujet abordé ne fera progresser ni la médecine, ni la solidarité.  

Les actionnaires connaissent la temporalité des polémiques sur les maladies dégénératives, ils savent que le profit sera excellent longtemps avant la confirmation du misérabilisme clinique.

Bibliographie