Archive pour février 2012

Vues de fièvres

lundi 20 février 2012

Les patients n’aiment pas la fièvre, symptôme inconfortable et confirmation de leur fragilité passagère ou plus durable.

Les parents redoutent la fièvre de leurs jeunes enfants, possiblement prémonitoire de la terrible méningite ou des diaboliques convulsions.

La société productiviste ne l’aime pas, car elle limite la négociation autour des arrêts de travail.

Les industries de la santé la respectent en tant qu’important levier de l’angoisse dont ils savent qu’aucun marché ne peut exister sans elle. Le profit immédiat du paracetamol ou celui, différé, des anti-inflammatoires qui font le lit des insuffisances cardiaques et rénales, sont négligeables en comparaison.

Les ministères publics la redoutent et la chérissent à la fois. Terrible lorsqu’elle sert de base à la modélisation des plus redoutables épidémies. Intéressante, par la vitrine médiatique qu’offre le débat des spéculations et contre-spéculations apocalyptiques. Alliée, par l’éventail démagogique que procure la fièvre de masse, inversement à la fébrilité des peuples qui contraint à l’autorité.

Quant aux médecins, leur position est ambigüe devant la fièvre. Premier symptôme facilement accessible et rarement trompeur, il élimine quasi systématiquement la sempiternelle interrogation préalable du psychosomatique. Il y a certitude d’infection ou d’inflammation quelque-part dans cet inectricable fouillis de fonctions et d’organes. La fièvre ne vient manifestement pas de ces fameux « nerfs » qui empoisonnent la relation médecin-patient. (Sauf exception bien évidemment !) Enfin, si la fièvre est une considérable source de profit qu’aucun praticien ne néglige totalement, elle est aussi l’un des principaux motifs d’appels nocturnes ou dominicaux dont la plupart se passeraient volontiers.

Les épidémiologistes sont sereins. Ils savent que les convulsions fébriles ne sont jamais graves et n’ont aucune relation avec une épilepsie future. Les rarissimes qui sont graves d’emblée ne sont alors pas dues à la seule fièvre. Voilà de quoi rassurer tous les parents

Gardons l’avis des biologistes pour la fin, c’est le plus avisé. Ils sont apparemment les seuls à savoir que la fièvre est un cadeau de l’évolution. Il faut la respecter et bien la surveiller. Elle rend la vie difficile aux microbes et autres germes envahisseurs. Elle oblige au repos, à la diète et à l’hydratation, thérapeutiques millénaires éprouvées et dépourvues d’effet secondaires.

Nous avons encore oublié l’avis du clinicien. Mais me direz-vous, n’est-ce pas le médecin praticien dont vous avez déjà parlé ? En effet, ils peuvent se ressembler, mais le clinicien est beaucoup plus ringard, il veut que la fièvre soit prise avec un vrai thermomètre et notée matin et soir sur un bout de vrai papier avec un vrai crayon. Il ne zappe pas entre fièvre évoquée, analyse et imagerie.

Disserter sur la fièvre est une bonne chose, mais encore faut-il qu’elle soit prise et qu’elle existe.

Code noir et espérance de vie.

mercredi 1 février 2012

Élaboré en 1665 par Colbert, le code noir de Louis XIV établissait le cadre législatif de l’esclavage.
Tous les esclaves de nos îles devaient être baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Fanatisme ou magnanimité, la religion la meilleure pour les blancs devait l’être aussi pour les noirs.
Mieux que la vie éternelle, le premier avantage pour les esclaves fut sanitaire, sous forme d’un jour de repos hebdomadaire, puisque leurs maîtres avaient interdiction de les faire travailler le dimanche, sous peine d’amendes. Même les « marchés de nègres » étaient interdits ce jour là.

Un autre article de la loi précisait que les maîtres devaient nourrir convenablement les enfants de leurs esclaves et donnait une liste précise des quantités hebdomadaires minimales.
Les esclaves devaient être nourris et soignés, mais un souci de prévention leur interdisait l’eau de vie de canne. Les tentatives de fuite représentaient le seul risque sanitaire supplémentaire : oreilles coupées à la première évasion, un jarret coupé à la deuxième et peine de mort à la troisième. Cette peine capitale a été préjudiciable à la science, car étudier l’élan vital de ceux qui réussissaient une évasion avec un jarret coupé, aurait été médicalement instructif.

Enfin ultime bienveillance sanitaire, les esclaves infirmes par vieillesse ou maladie devaient être nourris et entretenus par leurs maîtres qui avaient aussi le choix de les confier à l’hôpital contre six sols par jour pour le paiement de leurs soins.
Nous pouvons encore regretter qu’aucune étude de cohorte n’ait été faite pour comparer l’espérance de vie entre l’hôpital ou le domicile du maître. En effet, une telle occasion ne se représentera plus avant longtemps, tant que, grâce à la CMU, tous les pauvres seront soignés à l’hôpital comme les riches.

Cette lacune scientifique peut cependant être comblée grâce aux indicateurs sanitaires mis en place depuis l’époque de Louis XIV. Ils nous permettent de savoir quel est l’impact réel de la médecine sur les populations défavorisées. Celui-ci semble très faible, puisque plus les inégalités sociales se creusent, plus l’espérance de vie à la naissance diffère entre riches et les pauvres, et ce, malgré notre médecine sophistiquée. Aux États-Unis où sont publiées les meilleures revues médicales de la planète, l’espérance de vie globale diminue, dont celle des pauvres, très rapidement.

Ainsi, pour les esclaves vieillissants, à défaut de l’abolition de l’esclavage, le meilleur choix aurait certainement été de rester au domicile de leur maître, surtout s’ils avaient des enfants aimants – le code noir interdisait la séparation de leur famille – ou si le maître, vieillissant lui aussi, avait fini par éprouver un peu d’attachement.

Post-scriptum : nous avons, par exemple, aujourd’hui, la preuve que l’attachement a une efficacité mille fois supérieure à tous les médicaments de la maladie d’Alzheimer.