Archive pour octobre 2017

Les croisés de la démagogie sanitaire

dimanche 29 octobre 2017

Émetteur, récepteur, appareil-photo, caméra, zoom numérique, micro, haut-parleur, écran tactile, boussole, montre, téléphone, lampe, ordinateur, intelligence artificielle, systèmes de reconnaissance vocale et digitale, GPS, etc. Ce n’est pas un inventaire à la Prévert, c’est une liste non exhaustive des éléments de haute sophistication contenus dans un smartphone. Ce concentré de technologie et d’ingénierie permet toutes les connexions possibles aux programmes télévisuels, radiophoniques et informatiques du monde entier. Son prix de vente moyen est de 500 €, y compris la marge des marchands que nul n’incite à plus de philanthropie.

Une paire d’audioprothèses contenant exclusivement deux amplificateurs et deux haut-parleurs se vend entre 1000 € et 3000 €. Une paire de lunettes correctrices comportant deux bouts de verre et un morceau de plastique peut se vendre jusqu’à 1500 €. Les marges, sont certainement supérieures à 99%, et ces marchands sans vergogne osent les justifier par la qualité de leurs prestations. Pourtant, mon vendeur de smartphone m’a paru fournir une prestation intellectuelle bien supérieure à celle de l’audioprothésiste demandant à ma mère si elle entendait mieux quand il tournait le bouton, ou à celle de l’opticien qui lui demandait si elle voyait mieux avec les verres correcteurs.

Les accords tarifaires entre opérateurs téléphoniques ou compagnies aériennes, entreprises aux infrastructures très coûteuses, donnent lieu à de lourdes condamnations pour violation des règles de la concurrence.

Chacun a compris que des paires d’audioprothèses et de lunettes, n’exigeant ni infrastructures, ni technologie sophistiquée, résultant d’une ingénierie sommaire et accompagnées d’une si dérisoire prestation intellectuelle, peuvent  atteindre de tels prix grâce à des accords entre fabricants, prestataires et mutuelles d’assurance.

Il nous reste alors à comprendre pourquoi l’administration ne leur applique pas les règles générales du marché. La seule explication possible est d’ordre sacré : l’inhibition du législateur devant la santé est comparable à celle de la collégienne devant l’exhibitionniste.

Certains partis populistes vont jusqu’à prôner le remboursement total de ces accessoires, comme s’il était encore plus sacrilège de rogner les marges des marchands de santé que de ruiner la solidarité nationale.

La santé n’avait proverbialement « pas de prix » ; désormais, pour le législateur et le politicien, elle n’a ni lois, ni règles, ni comptes à rendre. La démagogie sanitaire est une nouvelle religion dont les croisés sont des marchands qui en ont compris tous les rouages.

https://lucperino.com/541/les-croises-de-la-demagogie-sanitaire.html

Laurent chez le calculateur pharaonique

lundi 23 octobre 2017

Laurent est un cadre quinquagénaire, gourmand de technologie et avide de progrès. Pour son avenir, qu’il organise avec méthode, la santé n’est qu’un élément gérable parmi d’autres. Il a fait réaliser son génome chez  trois géants de l’informatique afin de limiter les incertitudes d’évaluation de ses risques génétiques. Il collige ses paramètres personnels à l’aide de lentilles, bracelets et implants connectés. Il note aussi ses paramètres environnementaux et les nuisances qu’il est obligé de subir. Il essaie de garder la meilleure maîtrise possible sur les nuisances choisies ou évitables, telles que des repas d’affaire trop arrosés ou quelques cigarillos. Il est abonné à plusieurs newsletters de prévention pharmacologique primaire et de promotion des tests de dépistage et de diagnostic rapide. Il prend chaque jour une quinzaine de médicaments préventifs, vitamines et compléments alimentaires et pratique un peu de sport dominical, lorsque sa charge de travail le permet.

Depuis quelques jours, Laurent exulte, car un nouveau supercalculateur, d’une puissance sans précédent, permet d’intégrer toutes ses données personnelles accumulées avec celles de la plus grande base bibliographique d’articles biomédicaux, dans le but de remédier à ses faiblesses intrinsèques. Le coût de branchement à cette intelligence artificielle est de 999 €. Le jour « J », il se branche à la machine et attend le verdict avec un sang-froid de manager. Sur la bande de papier qui se déroule, Laurent lit ses résultats personnalisés : « Les calculs, basés sur les 560 paramètres fournis et l’analyse de plus de dix millions de références bibliographiques, permettent de conclure à un gain possible de quatre ans et huit mois de votre espérance de vie en bonne santé, ou cinq ans et dix mois avec 80% de vos facultés actuelles. Il faut pour cela respecter ce programme sanitaire : marcher une heure seize par jour, supprimer définitivement le tabac, diminuer la consommation d’alcool de 72%, la consommation de sucre de 87%, celle de viande de 60%, il faut supprimer 354 calories aux apports quotidiens et augmenter de 32% la consommation d’eau. Enfin, quoique tous neutres ou modérément défavorables, aucune conclusion n’est possible quant à vos 15 médicaments préventifs et compléments alimentaires. »

Au vu de ces conclusions, un ami lui fait remarquer qu’elles sont strictement identiques aux recommandations fournies par les papyrus médicaux de l’Egypte pharaonique : bouger plus et manger moins pour garder la santé et prolonger la vie. Les seules différences sont l’extrême précision des chiffres, l’inexistence du tabac et quasi-inexistence du sucre à cette époque. La consultation était aussi relativement moins onéreuse, et le module cérébral de l’illusion de grande différence entre 999 et 1000 n’était pas encore façonné.

Références

Mathématique des fusillades et des années de vie

jeudi 19 octobre 2017

Une énième fusillade aux USA vient de provoquer la mort d’une soixantaine de jeunes adultes et a fait de nombreux blessés. Nous pouvons estimer grossièrement la perte entre 3000 et 4000 années-qualité de vie.

Une année-qualité de vie (AQV) est une année de vie multipliée par le pourcentage de pleine faculté de vivre estimé par la personne, son entourage et les médecins. Une AQV représente, par exemple, deux années de vie à 50% de ses pleines facultés, ou cinq années de vie à 20%. Méthode simple et rationnelle pour évaluer le gain d’une action de santé publique ou estimer la perte lors d’une épidémie ou d’une catastrophe.

Ainsi le nombre d’AQV perdues ou gagnées est le produit des chiffres suivants :

  • nombre de victimes ou de patients ;
  • différence entre l’espérance de vie à la naissance et l’âge moyen des personnes concernées ;
  • pourcentage des facultés résiduelles, c’est-à-dire : 1 – le pourcentage de handicap.

Le résultat est d’autant plus élevé que les victimes ou bénéficiaires sont jeunes et nombreux. Prenons quelques exemples de gains annuels d’AQV par des actions sanitaires menées en France :

  • Vaccin contre la poliomyélite : 150 000
  • Vaccin contre la méningite à méningocoque : 800
  • Vaccin contre la grippe 3 000.
  • Chirurgie des cancers d’adultes : 120 000
  • Pharmacologie des cancers de l’adulte : 30 000
  • Pharmacologie des cancers de l’enfant : 60 000

Sur le même modèle, on peut calculer des pertes annuelles d’AQV en France :

  • Accidents de la route: 180 000
  • Homicides : 40 000   (600 000 aux USA)
  • Tabac: 700 000

De façon encore plus froide, on peut évaluer l’efficacité d’une action sanitaire en divisant son coût total par le nombre d’AQV gagnées :

  • Vaccin contre la polio : 40 € (soit 6 millions € pour 150 000 AQV gagnées)
  • Vaccin contre la grippe : 400 000 €
  • Pharmacologie des cancers de l’adulte : 65 000 €

Enfin, de façon volontairement plus cynique, on peut inversement estimer ce qu’a fait gagner au PIB annuel chaque AQV perdue par les ventes d’armes, de tabac ou de véhicules et d’essence.

  • Tabac en France : 30 000 €
  • Accident de la route en France: 1 200 000 €
  • Homicide aux USA : 17 000 € (10 milliards € de chiffre d’affaires de ventes d’armes pour 600 000 AQV perdues)

Nous découvrons avec surprise que ce sont deux vaccins qui détiennent les records de la moins coûteuse et de la plus coûteuse des AQV gagnées. Par contre nous constatons, sans surprise, que la plus rentable des AQV perdues est celle de l’automobile, bien loin devant le tabac. Enfin, un homicide aux USA n’est pas aussi rentable qu’on aurait tendance à le croire !

Nous connaissions déjà la misère intellectuelle et idéologique du lobby des armes, nous découvrons son misérabilisme.

Références

La machine est un homme comme les autres

jeudi 5 octobre 2017

Depuis longtemps, les diagnostics ne sont plus cliniques, c’est-à-dire résultant directement de l’observation du patient, mais ils sont paracliniques, c’est-à-dire basés sur des examens complémentaires : radiologie, microscopie, biologie, etc.

Les patients sont désormais convaincus que les médecins ne peuvent plus faire un diagnostic sans l’aide d’une quelconque machine et les médecins, eux-mêmes, n’ont plus l’impudeur de proposer un diagnostic entièrement « dénudé ». Il faut un scanner pour une migraine évidente et un microscope pour une banale verrue. On ne cesse de chercher des marqueurs de confirmation pour les derniers diagnostics exclusivement cliniques tels que dépression ou tendinite. Car la radiologie, l’anatomo-pathologie ou la génétique sont considérées comme des gages et des labels.

C’est oublier que le résultat proposé par une machine est interprété par un homme, et qu’a priori, cet homme n’est pas différent des autres. Il peut être plus pessimiste ou mal réveillé que vous, de plus mauvaise humeur que votre voisin ou plus fatigué que votre médecin.  La variabilité des humeurs, qui fait la richesse de la vie, se traduit par une variabilité des choix et des interprétations. Le téméraire qui voit une tâche rouge se précipite pour manger ce qu’il croit être une cerise, le prudent pense qu’il s’agit d’une braise. De nombreuses études confirment que le diagnostic de cancer au microscope ou sur une radio varie selon l’humeur de l’interprète et ses relations avec le clinicien.

Et si l’on pardonne à un clinicien d’avoir « raté » un diagnostic à l’examen clinique, on ne pardonne pas à un anatomo-pathologiste de l’avoir raté au microscope. Ce dernier sera d’autant plus prudent qu’il est en relation avec des cliniciens peu téméraires, l’alarmisme desquels pouvant être cumulé avec celui de leurs patients. Les verdicts diffèrent selon qu’ils sont posés le matin ou le soir, un jour de liesse ou de déprime, selon que le clinicien est un correspondant fidèle, un ami ou un novice. Derrière chaque machine, se cache un homme aussi influençable et faillible que les autres.

Après toutes les escales techniques et subjectives des diagnostics, la précision optimale est celle qui résulte d’un accord parfait entre le sentiment viscéral du clinicien et la conviction intime de son patient. Hélas, la variabilité de cet accord est un multiple de la variabilité de chacun des acteurs. Votre bobo sera une verrue si vous, votre médecin et son anatomopathologiste êtes tous trois optimistes, ce sera un cancer si vous êtes tous trois pessimistes ou fatigués.

Références