Archive pour janvier 2016

Les religions sont-elles cliniques ?

samedi 23 janvier 2016

En ces périodes troubles où une partie non négligeable de l’humanité se remet à tuer au nom de Dieu, le médecin curieux doit interroger les aspects cliniques de la foi et de l’appartenance à une religion.

En sémiologie clinique, la religion est indissociable de la culture dont on sait déjà qu’elle modifie l’expression des symptômes et des maladies. Les délires mystiques des schizophrènes diffèrent selon les cultures, la névrodermite frontale du tapis de prière ne se voit que chez les musulmans zélés, la rupture du frein préputial n’existe pas chez les circoncis.

Même s’il y a longtemps que l’épilepsie n’est plus le « mal sacré » de la rencontre avec les dieux, ce n’est que récemment, et dans peu de pays, que les maladies ne sont plus des châtiments divins ou des possessions démoniaques. Aujourd’hui encore, dans notre Occident, certaines anorexies, automutilations et suicides, sont en lien direct avec des croyances religieuses.

Le clinicien doit distinguer quel est le type de religion et de spiritualité de son patient. La foi intrinsèque ou mysticisme intrinsèque est la croyance profonde en une divinité toute puissante qui influence le cours des vies et des pathologies. La religion extrinsèque est une croyance héritée de ses parents ou, plus simplement, une conformité à sa culture. En termes biomédicaux, nous pourrions presque parler de ‘religion innée’ et de ‘religion acquise’.

Citons Darwin qui avait déjà remarqué le poids des cultures lors des acquisitions cognitives de la petite enfance : « Nous ne connaissons pas l’origine de tant d’absurdes règles de conduite, de tant de croyances religieuses ridicules ; nous ne savons pas comment il se fait qu’elles aient pu, dans toutes les parties du monde, s’implanter si profondément dans l’esprit de l’homme ; mais il est à remarquer qu’une croyance constamment inculquée pendant les premières années de la vie, alors que le cerveau est susceptible de vives impressions, paraît acquérir presque la nature d’un instinct. Or la véritable essence d’un instinct est d’être suivi indépendamment de la raison. »

Cependant, plusieurs études montrent que les pratiques religieuses acquises dans la petite enfance et poursuivies à l’âge adulte sont corrélées à une plus faible incidence de dépressions, d’addictions et de suicides  Les rituels religieux agissent probablement comme des thérapies cognitivo-comportementales.

Inversement, l’acquisition d’une religion à l’adolescence, nouveauté sociale encore mal étudiée, semble augmenter le risque d’addictions, de comportements asociaux et de suicides et doit alerter le clinicien.

Faut-il aller jusqu’à considérer qu’en l’absence de foi intrinsèque, une acquisition religieuse extrinsèque survenant après la petite enfance est un facteur de risque social et médical, voire un élément pathologique ? La question mérite d’être posée.

Bibliographie

Truvada®, houlala !

lundi 11 janvier 2016

Le Truvada® est une association de deux antirétroviraux, déjà utilisée dans le traitement du SIDA, et qui vient d’obtenir une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) en France dans la prévention chez les sujets à risque (homosexuels masculins à rapports multiples, acteurs de films X, conjoints de séropositifs, prostituées acceptant des rapports non protégés, etc.)

Les opposants à cette ATU avancent que le risque de ces pratiques marginales ne doit pas être pris en charge par la solidarité nationale. Certes 500 € par mois paraissent excessifs pour une prévention aléatoire, mais il semblerait discriminant et contraire à notre belle solidarité nationale de ne pas l’accorder à ceux qui ont choisi ces pratiques, au seul prétexte qu’ils les ont choisies.

S’interroger sur la pertinence de cette ATU est risqué pour le médecin débatteur, car lorsque la mayonnaise médiatique a déjà pris, le politiquement incorrect devient encore plus effrayant que le SIDA. Mais ne portons pas le débat sur ce point.

L’étude ‘Ipergay’ à l’origine de cette décision comporte un biais grossier, souvent utilisé depuis quelques années par les laboratoires financeurs, consistant à interrompre l’étude avant son terme au prétexte que continuer à donner le placebo ne serait pas éthique en raison de bons résultats partiels. Éthique fallacieuse qui fonctionne bien auprès des ministères. Mais ce n’est pas non plus sur ce point qu’il faut porter le débat.

Ce médicament entraîne des résistances, comme tous les antirétroviraux, et sa généralisation aux « bien-portants » risque d’accélérer ces résistances. Mais ce n’est toujours pas de ce point dont il faut débattre. Ce médicament comporte aussi des risques non négligeables d’insuffisance rénale, mais là non plus n’est pas le sujet de notre propos.

Non le danger socio-sanitaire le plus prévisible est ailleurs, il se situe au cœur du défaut historique de la médecine, de son défaut le plus structurel, le plus permanent : l’extension des indications. Depuis la saignée qui a été mille fois trop pratiquée, jusqu’aux statines mille fois trop prescrites, en passant par les antibiotiques ou les antidépresseurs toujours cent fois trop, tous les médicaments mis sur le marché ont suivi le cours de l’extension immodérée des indications.

N’en doutons pas, le Truvada suivra cette inexorable dérive. Seule l’industrie pharmaceutique est capable de créer un marché de 20 € supplémentaire par coït, marché dont même les proxénètes et les industriels du préservatif n’auraient jamais osé rêver. Imaginons que seulement 0,1 % des coïts pratiqués dans notre pays soient ainsi pris en charge à 100% par la Sécurité Sociale ; que deviendrait alors le budget de notre belle solidarité nationale ? Il ne me vient à l’esprit que le mot avec lequel les humoristes étrangers caricaturent volontiers notre langue : houlala !

Bibliographie