Archive pour avril 2022

Placebos culturels

mercredi 27 avril 2022

L’effet placebo est sous-estimé par tous. Par les prescripteurs qui pensent que la chimie est plus puissante que leur charisme. Par les patients qui sont convaincus que la pharmacodynamie est supérieure à leur élan vital. Par les industriels qui, au prétexte d’avoir ajouté une part d’effet pharmacologique, négligent d’évaluer la part de l’effet placebo dans l’efficacité totale de leurs médicaments.

L’effet placebo dépend de l’addition des trois déterminants : autosuggestion, hétérosuggestion et médiateur. L’autosuggestion est liée à l’élan vital du patient, l’hétérosuggestion au charisme du prescripteur. Le plus souvent, ces deux suggestions ont besoin d’un médiateur : le placebo qu’il ne faut pas confondre avec son effet.

Les placebos ou médiateurs des suggestions sont nombreux et divers : granule de sucre, prière, gélule colorée, incantation, piqûre douloureuse ou non, imposition des mains, aimant, puissante chimiothérapie, ampoule dont il faut scier les deux bouts, prix élevé, huile onctueuse, importation illégale, herbe, nouveauté, progrès ou son illusion, participation à un essai, caresse, stéthoscope en bandoulière, blouse blanche, horaire, goût, odeur, etc.

Chacun d’eux étant intimement lié à l’individu et à sa culture. Un cadre supérieur est plus sensible au charisme d’un professeur qu’aux incantations d’un gourou. Un enfant est plus sensible à la main maternelle enduite d’une huile onctueuse, à un sirop ou une ampoule sciable. Un Taïwanais est plus sensible à une injection, alors qu’un Chinois continental préfère une herbe. Un populiste préfère l’importation illégale ou le nombre de clicks. Les gélules blanches sont perçues comme des antalgiques par les blancs et comme des stimulants par les noirs. Inversement les comprimés noirs sont perçus comme stimulants par les blancs et comme antalgiques par les noirs. De façon plus subtile, les couleurs chaudes (rouge, orange, jaune) ont un effet stimulant, alors que des couleurs froides (bleu, vert, violet) ont un effet antidépresseur. L’effet placebo du suppositoire s’est amenuisé, alors que celui de la perfusion ne cesse de progresser, indépendamment du contenu de chacun de ces médiateurs.

Les vaccins n’induisent pas d’effet placebo, car ils sont prescrits à des sujets sans plainte qui n’en attendent rien à court terme. En revanche, ils peuvent induire des effets inverses (nocebo) dans certaines catégories sociales refusant toute forme d’autorité.

Pour la grande majorité des médicaments, l’effet placebo est supérieur à l’effet pharmacodynamique. La médecine moderne se contente de prouver qu’il existe une part d’effet pharmacodynamique sans chercher à savoir si cette part représente 1% ou 60% de l’effet total.

Pour mieux progresser, les essais cliniques devraient inclure quelques éléments d’ethnopsychopharmacologie. Mais peut-on leur demander de s’intéresser à une science au nom aussi barbare, alors que beaucoup d’entre ne prennent pas encore en compte l’âge ou le sexe des sujets ?

Bibliographie

Peste ou choléra

mercredi 13 avril 2022

On ne peut reprocher à quiconque de méconnaître l’Histoire de l’épidémiologie des maladies infectieuses, car elle n’est enseignée dans aucune école.

À l’heure d’un choix crucial pour notre avenir et surtout celui de nos enfants, on entend souvent des concitoyens dire qu’ils s’abstiendront de voter pour ne pas avoir à choisir entre la peste ou le choléra. Cette expression populaire est née en France au XIX°, alors que la dernière peste de Marseille de 1720 hantait encore certaines mémoires. Chacun croyait en avoir fini avec ce fléau qui durait depuis plus de quatre siècles.

En 1817, le choléra quitte le port de Calcutta, traverse la Russie en décimant les soldats du Tsar et entre en Europe par Berlin où il tue le philosophe Hegel en deux jours, et atteint la France en 1832. Avec les taudis de l’urbanisation galopante, le choléra flambe et ranime l’inconscient collectif de la peste.

Nul ne peut comprendre aujourd’hui ce que pouvait être une maladie qui avait tué 35% de la population européenne en deux ans, alors qu’une maladie qui en tue 0,2% dans le même laps de temps suffit à briser la vie sociale. Nous avons perdu le sens de la nuance en épidémiologie. Mais ceux qui avaient comparé le choléra à la peste avaient déjà commencé à le perdre, car ces deux épidémies sont peu comparables. D’abord sur les chiffres, puisque chacune des épidémies de choléra a tué 1 à 3% de la population en Europe, soit 30 fois moins que la peste. Ensuite sur les moyens de lutte. Dès les premières épidémies, en 1854, le médecin anglais John Snow effectua un travail épidémiologique historiquement remarquable qui permit de comprendre le mode de transmission de la maladie par l’eau contaminée. Dès lors, la prévention par l’hygiène devint relativement compréhensible par tous, et il n’a fallu que quelques années pour venir assez rapidement à bout des nouvelles épidémies. Les épidémies de choléra en Europe ont duré un demi-siècle contre les quatre siècles des épidémies de peste.

Bref, si le choléra a logiquement réveillé des peurs ancestrales, il n’est en rien comparable à la peste et le dicton du choix entre peste et choléra a perdu presque toute sa substance.

Je concède qu’utiliser la médecine et l’épidémiologie pour s’immiscer dans la politique puisse être critiquable. Mais nul ne contestera qu’aucune science, ni aucune pratique ne peuvent s’abstraire totalement de la politique.

En conclusion, que ceux qui veulent s’abstenir par hésitation, choisissent le choléra sans aucune hésitation. C’est, de très loin, le moins pire des deux, d’un facteur que l’on peut quantifier de trente à cent… Voire plus…

Références

Modèle de l’antibiorésistance

samedi 9 avril 2022

La résistance à la pénicilline était identifiée en laboratoire en 1940 avant même sa commercialisation en 1943. Mais ce médicament miraculeux a empêché la mort par septicémie après les blessures de guerre et il a neutralisé la syphilis, sans compter quelques autres miracles en pédiatrie et pneumologie.

Après avoir enfin compris que l’antibiorésistance était un processus lié aux lois de la sélection naturelle, donc inévitable, on a commencé une course aux armements entre bactéries toujours plus résistantes et antibiotiques toujours plus puissants. Chaque camp a gagné des batailles, mais il a fallu plus d’un demi-siècle pour admettre la supériorité définitive des bactéries et proposer de nouvelles stratégies.

Interdiction des antibiotiques dans l’élevage, diminution de la consommation médicale, avec le fameux slogan « les antibiotiques c’est pas systématique ». Rien n’y fit, malgré quelques pauses, la consommation s’est accrue. Les miracles ont la vie dure dans nos processus cognitifs.

Les dégâts ont été considérables à l’hôpital et en chirurgie, avec les maladies nosocomiales dont le coût et la mortalité ne cessent d’augmenter. On compte des centaines de milliers de morts annuelles rien que pour la diarrhée à clostridium. 

En ultime recours, on a procédé à des études cliniques mieux contrôlées. Permettant ainsi de prouver l’inutilité des antibiotiques dans les angines (même à streptocoques), les bronchiolites, la majorité des maladies respiratoires, les infections urinaires, l’acné. On a montré la dangerosité de leurs excès dans les services de néonatologie ou dans la prévention des complications des viroses saisonnières. Certains ont suggéré de ne plus les prescrire dans l’ulcère de l’estomac où la résistance est encore plus forte. On a même définitivement détruit le dogme de la prise obligatoire de toute la boîte. Oui, on ne peut prendre qu’un ou deux comprimés, et seulement pendant un jour dans de nombreux cas, mêmes graves.

Des hôpitaux ont essayé la suppression totale d’un type d’antibiotique pendant 6 mois ou un an, révélant une baisse de l’antibiorésistance à la reprise… Trop brève hélas.

On a compris que les antibiotiques dans l’enfance sont la première cause de la recrudescence des maladies allergiques et de plusieurs maladies auto-immunes de l’adulte.

Aujourd’hui, l’antibiorésistance est considérée comme un problème majeur de santé publique. Peut-être à tort. D’une part, quelques décisions peu coercitives pourraient limiter massivement la consommation d’antibiotiques. D’autre part, la menace pèse peu sur le grand public, l’antibiorésistance est surtout un frein à la chirurgie complexe et à la protection des personnes fragiles hospitalisées. En bref, à ce qui fait la modernité de la médecine.

L’histoire de l’antibiorésistance fournit ainsi un modèle original de réflexion en écologie politique. La méconnaissance et le mépris des lois de l’évolution ont conduit à ralentir notre maîtrise sur la biologie humaine. Une forme d’autorégulation.

Bibliographie