Archive pour mai 2021

Les deux préventions

vendredi 28 mai 2021

La prévention primaire est celle que l’on pratique pour éviter ou retarder un premier évènement clinique, la prévention secondaire est celle que l’on met en place pour éviter ou retarder un deuxième évènement du même type. Logique.

Les mesures hygiéno-diététiques fonctionnent dans les deux. Le tabac augmente la probabilité d’un premier accident vasculaire, il augmente aussi celle d’un second. Les stimulations cognitives, sociales et sensorielles retardent la survenue d’une maladie d’Alzheimer, ces mêmes stimulations en ralentissent la progression. Il faut marcher pour éviter une première fracture ostéoporotique, il le faut aussi après.  

Après un premier évènement, la médecine propose toujours de la pharmacologie ou de la chirurgie en prévention secondaire. Amputer un sein ou un sigmoïde pour éviter la survenue de second cancer ou sigmoïdite. Prescrire des statines ou un anticoagulant pour retarder la survenue d’un deuxième accident cardio-vasculaire. Ces nouvelles mesures sont souvent efficaces, leur seul risque étant de faire oublier les mesures comportementales.    

Ces succès ont conduit le marché à les proposer aussi en primaire. Pourquoi pas ? Amputer les deux seins avant tout cancer chez une femme à risque. Enlever la vésicule au premier calcul biliaire, le sigmoïde au premier diverticule. Prescrire en continu des statines, de l’aspirine ou de la vitamine D dès la maturité.

Après des millions de publications et de polémiques sur leurs biais et mensonges, les cliniciens constatent que ces préventions primaires additionnelles n’augmentent pas la quantité de vie, voire la diminuent. Pourquoi ?

Un évènement clinique survient lorsqu’une multitude de facteurs de risque, accumulés dans la durée, finissent par converger en un point critique qui fait brutalement franchir le seuil de morbidité. Un banal stress, un minuscule caillot sanguin ou une inflammation soudaine peuvent servir de détonateur sur un monceau de facteurs de risque.

Les règles hygiéno-diététiques et comportementales sont très rentables en prévention primaire, car elles agissent sur plusieurs facteurs, dont certains sont encore inconnus. Agir sur un seul facteur identifié est hasardeux, car nous ignorons aussi son poids relatif et son potentiel de franchissement du seuil de morbidité. Inversement, une fois que le seuil a été franchi, nous pouvons être certain qu’un des facteurs identifiés par la médecine à contribué à son franchissement. Agir secondairement sur ce facteur peut donc retarder un nouveau point critique.

C’est la « boîte noire de l’épidémiologie » : on ne connaît qu’une part des facteurs de risque qui entrent dans la boîte et qu’une part des maladies variables qui en ressortent, mais on ignore tout des autres facteurs et de leurs interférences à l’intérieur de la boîte.

S’il peut être utile de faire appel à la médecine en prévention secondaire, il est plus rationnel, voire plus prudent, de s’en écarter en prévention primaire.

Références

Palmarès de l’inutilité

mardi 18 mai 2021

Les plus méchants des analystes considèrent que 90% des publications médicales sont erronées ou frauduleuses, les plus acerbes jugent que 90% sont inutiles, les plus rigoureux dépassent parfois ces indécents pourcentages. Les revues scientifiques qui les ont publiées sont évidemment moins sévères, mais finissent par avouer que plus de la moitié ne méritaient rien d’autre que la déchetterie.

Cette course à la publication, imposée par un commerce avide de preuves « scientifiques », a été moquée en 2003, par une désormais célèbre étude sur l’impossibilité d’établir la preuve de l’efficacité des parachutes, puisqu’aucun essai comparant des sauts, avec et sans, n’avait été publié.

Convaincu que l’humour est la forme suprême de l’épistémologie, j’ai recensé quelques études, hélas non satiriques, parues dans de grandes revues.

Une récente méta-analyse publiée dans Science – excusez du peu – a tenté de minimiser le déclin des insectes. Que les observateurs du syndrome du pare-brise propre se rassurent, la majorité des arguments des auteurs a été contredite par la suite. Ouf ! la science est sauve, mais les insectes ne sont plus là pour le constater.

J’en ai de plus drôles. Celle qui constate que les fécondations in vitro sont plus efficaces avec des spermatozoïdes de pères de moins de 40 ans. On pourrait la mettre en parallèle avec les études qui tentent de décrire une maladie nommée « déficit androgénique lié à l’âge ». Comme pour la fameuse DMLA dont le nom indique aussi le lien avec l’âge, sans s’étonner du paradoxe d’en faire une maladie.

L’âge est d’ailleurs le plus savoureux des ingrédients de l’humour. Ainsi, le BEH a constaté que les fractures des séniors étaient plus fréquentes lors des épisodes de froid, neige et de verglas. Une étude a conclu que les morts à l’hôpital étaient plus fréquentes après 90 ans.  Une autre a voulu connaître le taux de survie des centenaires un mois après un arrêt cardiaque. Ce taux est de 1% avec ou sans réanimation ; la statistique est cruelle pour les réanimateurs.

L’obésité est un autre bon thème de cocasseries. Un essai sur la liposuccion a conclu que cette méthode consistant à pomper de la graisse sous-cutanée, ne modifiait pas les risques cardio-vasculaires des obèses. Allez savoir pourquoi !  

Des épidémiologistes américains, voulant comprendre l’origine de l’épidémie d’obésité qui frappe leur pays, en ont cherché des facteurs et des marqueurs dans le but de produire de la science médicale. Les plus perspicaces ont conclu que l’excès de calories et la sédentarité étaient les deux causes de l’obésité. Certains ont même trouvé une corrélation fortement positive entre les fast-food et l’obésité. Comme quoi, en cherchant bien, on trouve.

De très audacieux médecins continuent à faire des études sur la nocivité du tabac. Dans ce dernier exemple, nous entrons dans l’univers de l’humour médical au deuxième degré que seuls peuvent comprendre les spécialistes de l’agnotologie.

Références

Harcèlement tardif

lundi 3 mai 2021

Traditionnellement, la médecine a toujours tenté de limiter le nombre des maladies sans traitement. Dans les années 1970, ce principe séculaire s’est inversé avec l’apparition de traitements sans maladie.

La ménopause est un fleuron que l’évolution a façonné pour une meilleure survie des groupes humains. La médecine moderne en a fait une maladie lorsque la synthèse des œstrogènes est devenue facile. L’idée d’un traitement continu sur la moitié de la population adulte a stimulé l’imagination des marchands. L’épidémie de ménopause a été brutale, célébrée par les gynécologues et nombre de leurs patientes.

Comme on aurait dû s’en douter, il est impossible de modifier en quelques années ce que l’évolution a minutieusement concocté pendant des millions d’années. Une épidémie de cancers (sein, ovaires, poumons et nerfs) et de thromboses a suivi de près l’épidémie de ménopause, faisant s’effondrer le commerce florissant de la ménopause.

L’industrie sanitaire ne pouvait se résoudre à abandonner un tel marché. Fort heureusement, avec l’âge les os changent de texture à l’imagerie. C’est donc l’ostéoporose qui est devenue la nouvelle maladie des femmes mûres. L’épidémie dure encore, mais une nouvelle menace plane sur ce commerce, car on découvre que le risque fracturaire est sans rapport avec l’imagerie et  n’existe que chez les sédentaires. Encore un créneau médicamenteux que la simple marche peut anéantir !

Il fallait donc inventer une nouvelle maladie. Tout expert du marketing sait que l’argumentaire du sexe n’a jamais failli. Les laboratoires ont alors inventé le « trouble du désir sexuel hypoactif féminin » (HSDD) afin de recycler des antidépresseurs sérotoninergiques qui arrivaient en fin de brevet. L’un d’entre eux, la flibansérine a été le premier traitement approuvé par la FDA dans cette indication. Ce traitement surnommé « Viagra des femmes « n’a pas encore franchi l’Atlantique, mais soyons patients… À moins que nos ménopausées européennes soient moins dupes ou moins atteintes de HSDD !

Enfin, de nouvelles études tentent de réhabiliter les œstrogènes pour préserver les fonctions cognitives des femmes ménopausées. Chacun sait que les fonctions cognitives baissent avec l’âge. Voilà un beau syllogisme mercatique en perspective : ménopause égale âge, donc ménopause égale déficit cognitif. Il faudra donc revenir aux œstrogènes pour rester intelligente.

Somme toutes, le harcèlement des femmes ne cesse jamais, il change simplement de nature.

Et si la chirurgie plastique parvient à vendre l’idée qu’une femme liftée peut être belle, c’est qu’il existe encore une clientèle captive pour les marchands de la ménopause. Je peux même les aider à imaginer d’autres syllogismes mercatiques autour des rides, des cheveux ou des muscles…

En attendant, je vais marcher avec ma vieille compagne de route, dont les cheveux blancs et les rides dessinent parfaitement sa belle vérité.

Références