Archive pour mai 2022

Dépression et vérité

lundi 30 mai 2022

La dépression est un symptôme, comme le sont la douleur ou la fièvre. L’évolution nous apprend que les symptômes ont une utilité adaptative.

Dans les sociétés de mammifères hiérarchisées, l’adaptation conduit à donner des signaux de soumission au dominant, afin de ne pas s’épuiser en d’inutiles combats. Chez l’humain, une théorie de 1994, solidement confortée depuis, analyse la dépression comme un blocage de ce processus adaptatif, conduisant à une soumission involontaire, donc vécue douloureusement.

Ainsi, le signal dépressif, volontaire ou non, est un signal honnête, dans la mesure où il affiche la vérité de nos propres limites.

Vouloir éliminer un symptôme (dépression, douleur ou fièvre) avant de s’être posé la question de son utilité et de son contexte est le défaut majeur de toutes les médecines. L’histoire de la pharmacologie de la dépression en est une caricature, elle concentre les plus grossières erreurs médicales. Erreurs diagnostiques en confondant symptôme et maladie. Erreurs médicamenteuses, en aggravant la prévalence et les séquelles de ce trouble.   

Les antidépresseurs aggravent le risque de suicide, cela était mentionné dès la vente des premières molécules (tricycliques et IMAO). Mais, avec le succès des ISRS (prozac et autres), ce risque a été dissimulé puis dénié, y compris chez les adolescents où il est majeur. Le plus célèbre mensonge est celui de l’étude 329 qui a conclu à l’absence de risque chez les adolescents. Une étude indépendante a dénoncé la manipulation en reprenant les données brutes que le laboratoire avait dissimulées. Quant au suicide des adultes, il est facile de confondre les détracteurs, puisque le suicide est un risque inhérent à la maladie que l’on prétend soigner. Pourtant, la prévalence du suicide est en augmentation dans tous les pays où ces médicaments sont largement prescrits. Les laboratoires trouveront certainement une explication à ce paradoxe gênant…

La dépendance est également niée. Pour cela, il n’est même pas besoin de dissimuler les données et de manipuler les chiffres. La tricherie est plus simple : ces médicaments ayant souvent un effet anxiolytique, leur sevrage provoque des rebonds d’angoisse et de troubles de l’humeur. Ce désagrément est alors utilisé comme argument de preuve de leur efficacité. CQFD !

Enfin, erreurs de diagnostic et de prescription se cumulent en cas de maladie bipolaire, seule situation où le symptôme dépressif n’est pas exclusivement lié à l’environnement social, mais reflète un trouble individuel plus profond. Pour cette maladie bien réelle, les antidépresseurs sont contre-indiqués et dangereux, car ils aggravent ou déclenchent les suicides, violences et homicides. Hélas, le diagnostic est souvent porté après la prescription erronée qui le révèle.

Si la dépression affiche honnêtement une vérité individuelle, ses prétendus médicaments et leurs prescripteurs, non contents d’ignorer cette vérité, pratiquent outrageusement le mensonge et le déni.

Bibliographie

Le sommeil de la terre

lundi 23 mai 2022

Il faut éviter d’aller à l’hôpital, car la mortalité y est très élevée. Cette blague fort connue révèle aussi en filigrane l’utilité des hôpitaux, réceptacles de tous nos drames.

De nombreuses études se sont pourtant intéressées à leurs dangers réels, c’est-à-dire aux cas où l’hospitalisation constitue ce que l’épidémiologie médicale nomme une « perte de chance ». 

Le premier médecin connu pour cette audace est Cabanis, qui, bien que membre de l’Institut, osa déclarer : « Dans les grands hôpitaux, les plaies les plus simples deviennent graves, les plaies graves deviennent mortelles, et les grandes opérations ne réussissent presque jamais. » De nos jours, cette assertion de 1790 est injuste et déplacée malgré la réalité des maladies nosocomiales.

Il est pourtant un domaine où l’épidémiologie rejoint la blague potache et conforte la lèse-majesté de Cabanis, c’est le domaine de la gériatrie.  

Pendant les plus belles années de l’hôpital, maintes études mettaient déjà en cause l’hospitalisation des personnes âgées. De nos jours, la dégradation hospitalière empêche de s’aventurer sur ce terrain, car de telles publications se mueraient en diatribe. Alors, les études vont dans le détail pour se donner un air plus scientifique que politique. Elles montrent que l’oxygène, les perfusions, la prévention cardiovasculaire, les antibiotiques, hormones, stimulants et autres médicaments prescrits en abondance aux vieillards ne retardent pas leur mort, toutes causes confondues, voire l’accélèrent. Même en pleine épidémie de Covid-19, avec les vaccins et les soins appropriés, les patients âgés pouvaient mourir d’un simple rhume. Immunosénescence et nosocomial n’ont jamais fait bon ménage.

Il ne faut pas affronter ce dramatique problème en dénonçant les milliards dépensés inutilement, car tout ce qui a une apparence comptable est politiquement incorrect. Il faut l’aborder par l’autre bout en conseillant à chacun de « guérir en cachette ». Et lorsque tout espoir de guérison est dépassé – situation qui devient fréquente avec l’âge – il faut alors guider la famille vers la morphine à domicile. La morphine reste la plus belle invention de l’humanité et l’anthropologie nous apprend que le domicile a toujours été son principal objectif.

Sans oublier de bien préciser aux proches que « mourir en cachette » est aussi un bon choix qui ne diminue ni la quantité ni la qualité de vie, au contraire.

L’opium étant mentionné dans les papyrus médicaux de l’Egypte pharaonique, la mort pouvait déjà être une chose simple. Alfred de Vigny ne s’y est pas trompé en faisant dire à son Moïse parlant à Yahvé : « Laissez-moi m’endormir du sommeil de la terre. »

Il faudrait pouvoir recréer le lien entre morphine, famille et domicile. Auparavant c’était le médecin généraliste. Malheureusement cette profession après avoir été en manque d’autonomie est désormais en manque de candidats.

Adieu sommeil de la terre.

Bibliographie

Cruauté des chiffres de la psychiatrie

dimanche 8 mai 2022

L’épidémiologie est cruelle pour les psychiatres, ce qui peut expliquer qu’ils ne soient pas férus de chiffres

En Europe, 10% des enfants et 25% des adultes ont un trouble mental. Ces chiffres faramineux peuvent résulter d’une inflation des diagnostics et de modifications sociales. Deux explications qui ne suffisent pas à dédouaner les psychiatres, responsables, au moins, des diagnostics, au mieux, de la prévention.

Les malades mentaux ont une mortalité multipliée par deux, leur perte d’espérance de vie était d’environ 11 ans en 1995, elle est de 14 ans aujourd’hui.

Ne jetons pas trop vite la pierre aux psychiatres, car le recours aux services de santé mentale après diagnostic n’est que de 2% à 18% selon le niveau économique des pays, et de 11% à 60% en cas de grave pathologie.

En revanche, on peut parler d’échec global de la psychiatrie publique face à cette effroyable prévalence des troubles mentaux.

Les abus sexuels dans l’enfance concernent 15 % des filles et 4 % des garçons. Leurs répercussions expliquent une bonne part de cette prévalence. De la même façon, les dépressions et troubles psychiques de la grossesse et du post-partum n’ont pas diminué en 30 ans ; leur répercussion sur la progéniture en explique une autre part. La consommation de cannabis est un facteur de recrudescence des psychoses. Enfin, la prévalence des maladies psychiatriques est fortement corrélée aux inégalités sociales. 

Ces réalités sociétales peuvent-elles servir d’excuse aux psychiatres face au déplorable bilan de leur discipline ? Certes, leur inaptitude à prévenir la maltraitance infantile et les inégalités sociales est partagée par toutes les professions médicales et sociales et leurs administrations.

Cependant, le suicide, unanimement considéré comme signe d’échec en psychiatrie, augmente régulièrement, indépendamment du budget et des effectifs de la psychiatrie. Les troubles psychiatriques n’ont pas diminué malgré la prescription massive de neuroleptiques et autres psychotropes. Curieusement, les institutions psychiatriques n’adoucissent pas les inégalités sociales, comme le montre l’exemple italien. Dans ce pays où la « loi 180 » a conduit à la fermeture de la moitié des hôpitaux psychiatriques, la corrélation entre inégalités sociales et troubles mentaux est la plus faible d’Europe. En psychiatrie, les soins communautaires seraient donc meilleurs que les soins hospitaliers.

Supérieurs ou non, les soins communautaires sont, pour le moins, cacophoniques.  On dénombre plus de 400 professions se réclamant de la psychothérapie, des plus sérieuses aux plus fantaisistes, des plus lucratives aux plus compassionnelles. Le nombre de soignants approche celui des soignés, au grand dam des psychiatres qui se plaignent toujours de leur manque d’effectif.

Conclusion triviale et provisoire : notre cerveau a réussi à comprendre les muscles, le cœur et les reins, mais il ne peut logiquement se « comprendre » lui-même, au sens strictement physique du terme.

Bibliographie