Pharmacologie du suicide

La dépression est une entité médicale qui n’a jamais obtenu de définition satisfaisante. L’imipramine a été le premier médicament considéré comme actif pour améliorer l’humeur,  cette molécule a inauguré la grande famille des antidépresseurs dits « tricycliques ». D’autres familles ont suivi, basées sur de subtils réductionnismes de la chimie synaptique : inhibiteurs de la monoamine-oxydase, inhibiteurs de la capture de l’adrénaline ou de la sérotonine.

Plusieurs de ces médicaments, en conformité avec les prévisions théoriques, ont pu modifier temporairement l’humeur ou son expression, mais hélas, aucun d’eux ne s’est montré vraiment plus efficace qu’un placebo pour changer le cours des dépressions à moyen et long terme.

Cet échec vient du fait que la dépression n’est pas une entité isolée. La dépression médicale la mieux établie et la plus fréquente est la phase dépressive de la maladie bipolaire, et il existe des dépressions unipolaires psychotiques plus rares. Dans le premier cas, les antidépresseurs sont inefficaces et dangereux, ils majorent le risque de suicide. Dans le deuxième cas, les antidépresseurs ne sont qu’un traitement d’appoint difficile à évaluer.

Ces médicaments majorent également le risque de suicide quand ils sont utilisés comme traitement de la multitude des « non-maladies » nommées dépressions, particulièrement chez les adolescents.

Les antidépresseurs sont donc des médicaments inutiles et/ou dangereux dans le traitement de la grande majorité des dépressions majeures et mineures. Mais pour ne pas heurter la normativité des médecins et de leurs patients, il convient d’être beaucoup plus concret pour les convaincre que ces propos ne sont ni péremptoires ni répréhensibles.

La meilleure définition d’une dépression médicale grave de type bipolaire ou unipolaire repose sur le risque élevé de suicide. Tout clinicien, soignant un patient à l’humeur dépressive, a donc comme priorité principale d’empêcher le suicide qui est logiquement considéré comme l’échec médical absolu.

La réflexion clinique dans des pathologies de cette complexité où notre méconnaissance reste forte, doit parfois se résumer à regarder les chiffres les plus simples de la façon la plus triviale.

Les antidépresseurs ont été découverts, il y a un demi-siècle, et dans les pays où ils sont utilisés, le taux de suicide a augmenté de 60%.

Avec des chiffres aussi brutaux, comment peut-on encore fabriquer des preuves moléculaires sophistiquées et des discours psychiatriques alambiqués autour de la dépression ? Lorsque le symptôme qui définit à la fois la gravité de la maladie et signe l’échec médical présente une augmentation aussi faramineuse de son incidence.

Je suis toujours stupéfait de la carence épidémiologique dans laquelle baigne la pharmacologie psychiatrique et particulièrement celle du suicide.

Références

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4 commentaires sur “Pharmacologie du suicide”

  1. MULLER Virginie dit :

    Bonsoir,

    Avez-vous jamais été dépressif ? Vraiment. Avec des idées suicidaires. L’idée que rester en vie représente une menace pour le bonheur de vos proches et que mourir sera la seule façon de les sauver ?
    Avez-vous été sauvé par les anti-dépresseurs ? les thymorégulateurs ?

    Non. Car sinon, cela ne vous viendrait même pas à l’esprit d’écrire cela.

    Combien de patients avez-vous sauvé par les antidépresseurs ?
    Combien de patients se sont-ils suicidés sans anti-dépresseur ?
    Combien de patients alcooliques n’ont-ils pas réussi à se sevrer et sont morts d’un cancer du foie ?
    Savez-vous combien cela fait mal d’entendre « prenez sur vous, ce n’est pas si difficile » ou pire « après la pluie le beau temps, soyez patient » quand vous êtes au fond du gouffre et que simplement venir et parler de ses problèmes vous a couté plus d’énergie qu’un marathon ; que se réveiller le matin, c’est regretter d’être encore en vie et devoir rassembler le courage d’un soldat en 1ère ligne du débarquement pour se lever ?

    Avez-vous seulement quelques notions d’épidémiologie ? Le biais de sélection, cela vous évoque quelque chose ?
    Les pays qui utilisent le plus les antidépresseurs sont aussi ceux qui se sont industrialisés ces 50 dernières années, ceux qui ont vu apparaître le plus de pression : scolaire, professionnelle, financière, sociale ; pression de la promiscuité, des transports en commun, des embouteillages, de l’éclatement de la cellule familiale…
    Il est difficile de faire un burn out quand on « écoute le riz pousser » comme en Thailande.
    Il est facile de se suicider dans un pays en guerre ou subissant la famine : il suffit de ne pas lutter pour survivre. Il est difficile de référencer un suicide pris pour l’attaque d’un démon ou d’une malédiction. Difficile de faire des statiques sanitaires dans des pays sans structure sanitaire.

    Alors oui, dans les pays qui utilisent des antidépresseurs, il y a plus de suicides (réels, identifiés comme tels, transmis aux autorités sanitaires). De là à en faire un lien…

    En France, nous sommes le gros consommateur de psychotropes d’Europe et nous sommes les champions d’Europe du suicide.
    Est-ce à cause des psychotropes ou la société française est-elle malade et engendre-t-elle le plus fort taux de dépression d’Europe par son fort taux de chômage et autres problèmes sociétaux ?
    Est-ce à cause d’un système de santé frileux envers les antidépresseurs ? Et si nous n’utilisions pas assez les antidépresseurs par rapport des besoin gigantesques et anormaux ? Et si nous n’utilisions pas assez les psychothérapeutes « pour cause de non remboursement SS » ?

    Dans les années 80-90, on interdisait de donner un antidépresseur sans benzo par peur du suicide par levée des inhibitions. On a (heureusement) abandonné cela sans aucune aggravation du taux de suicide des patients traités mais avec une moindre dépendance aux benzo, moins de somnolence et moins d’accidents de la circulation.

    Ah oui, j’adore la partie référence vide. Et j’adore l’absence des thymorégulateurs dans votre démonstration.
    Entendre de nos jours que la dépression n’a jamais eu de définition « satisfaisante » me laisse pantoise. Le DSM V et autres définitions et échelles de référence manquent visiblement à votre culture médicale.
    Et quand on les lit, on voit bien que les lignes modifiées d’une version à l’autre ne représentent que les marges, le coeur reste : tristesse, larmes spontanées, crises d’angoisse et TOC, culpabilisation, idées noires, insomnie ou hypersomnie, anhédonie, perte des envies, apathie, amimie, perte d’appétit et perte de poids rapide ou boulimie, douleurs digestives, musculaires, céphalées… bien au delà des idées suicidaires.
    Les descriptions d’idées noires de patients dépressifs sont pourtant si riches… Encore faut-il les écouter…
    Que leurs causes soient encore floues, certes. Les hypothèses génétiques sont probables mais encore en cours d’investigation. Mais leur diagnostic…
    OUI la dépression devient difficile à diagnostiquer quand elle s’associe à d’autres troubles psychiatriques, comme il est ardu de différentier poussée d’arthrose et poussée de SPA quand la VS est déjà augmentée par une poussée de Crohn.
    OUI la médecine n’est pas simple et connait aussi des échecs. Faut-il pour autant nier ses victoires ?

    C’est le 1er article que je lis dans « humeurs médicales ». Ce sera sans doute le dernier. Vous aurez au moins eu mes commentaires pour le plus récent de vos articles.
    J’espère que vous les prendrez en considération pour réévaluer le rapport bénéfices-risques de ces molécules qui ne se limitent pas à un « placebo » donné par peur du suicide quand on ne sait pas quoi faire d’autre.

    Très cordialement,
    Dr Virginie MULLER
    Médecin généraliste
    91 1 13325 4
    11, place A et M GEOFFROY
    91390 MORSANG SUR ORGE
    01 60 15 12 58

  2. dzula dit :

    je pense comme le DR Muller que la dépression a une réelle définition clinique et un traitement spécifique.
    Je pense aussi que bcp de médecins sous la pression sociale, familiale….prescrivent des ad
    en ce qui concerne le suicide, on sait que c’est une douleur morale qui monte crescendo et qui , un jour, demande sa cédation d’une façon ou d’une autre et comme pour les premiers gestes de secours c’est l’affaire de tous, d’ où un programme de prévention qui avait été mis en place comme au canada: je ne sais pas où ça en est actuellement
    on peut déplorer en France : la multitude des projets de soins qui surgissent au gré des problématiques , sans continuité de suivi, et sans globalisation, ce qui induit une médecine morcelée, et probablement couteuse et inopérente pour le patient
    l

  3. Luc Perino dit :

    Réponse à Virginie Muller
    Vous avez raison, la dépression est en augmentation probablement à cause des modes de vie.
    Vous avez raison, la dépression est une maladie grave de diagnostic difficile et il faut savoir écouter les patients.
    Je vois que vous connaissez bien cette question qui est le pain quotidien des généralistes que nous sommes.
    Oui, je crois bien savoir ce qu’est un biais de sélection, peut-être grâce à mon diplôme d’épidémiologie.
    Non, la définition de la maladie dépressive n’existe toujours pas, sauf dans la maladie bipolaire et la dépression unipolaire qui ne sont pas les indications de choix des AD.
    Oui, les thymorégulateurs sont efficaces et ne sont pas le but de cette chronique
    Oui, les références sont présentes en cliquant sur le lien, puis sur bibliographie.
    Non, je n’ai pas dit que les antidépresseurs étaient inutiles.
    Cet article ne dit qu’une chose et une seule, ils n’ont manifestement pas réussi à faire diminuer le taux de suicide qui est, vous en conviendrez, le symptôme le plus grave de la maladie !
    Oui, la misère épidémiologique de la psychiatrie est désespérante.

    Cordialement

    Luc Perino

  4. dzula dit :

    je ne suis pas sûre que la personne qui se suicide soit déprimée, elle est habitée par une souffrance que rien ne peut calmer, les ad ne peuvent pas grand chose, d’où l’idée du dépistage par tous
    l’épidémiologie est une évaluation collective mais nous avons à faire à des individus,donc rien n’est vraiment joué

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