Archive pour mars 2011

Je suis un névropathe électro-dépendant.

vendredi 25 mars 2011

 Comme pour toutes les addictions, je n’ai pas vu venir celle-ci. Je n’ai pas voulu vraiment y croire. Je suis devenu totalement dépendant de l’électricité…

Un sevrage sera difficile, car mes plaisirs s’émoussent. La jouissance que j’avais à manœuvrer l’interrupteur pour voir jaillir la lumière a disparu. Désormais, pendant que le TGV dévore des ampères, je ne regarde même plus défiler le paysage. Ma radio reste allumée sur des ondes sans fin d’où je n’arrive plus à discerner les fadaises. Mon ordinateur tourne à vide sur les millions de disques du web qui se recopient mutuellement. Je garde des aliments pendant des mois au congélateur alors que les magasins sont à ma porte. Je vais parfois jusqu’à sniffer l’air des climatiseurs. Tout mon ménager est électro, je bricole électro, je jardine électro. Je n’ai même plus d’enfantines fiertés, comme celles des jours où j’avais décidé de ne pas succomber à la tentation du sèche-cheveux ou du souffleur de feuilles mortes. Cette addiction paraît irréversible, car il me faut de plus en plus d’électricité pour des plaisirs de plus en plus sommaires.

Je sais pourtant que chaque année des dizaines de milliers de mineurs meurent en extrayant le charbon pour fabriquer ma drogue. Quand je me promène dans les cimetières proches des barrages alpins, je suis effaré en comptant le nombre de morts pour l’hydroélectricité. Par centaines pour construire les barrages, et ensuite, par dizaines de milliers, lorsque les barrages se rompent. Le pétrole de mes indispensables centrales produit autant de guerres qu’en produisaient les vieilles idéologies dont je me moque si souvent. Il produit des marées encore plus noires que mon obscure avidité.  Il détruit une faune plus réelle que celle de mes rêves d’électromane.

Régulièrement, j’allais à confesse écologique en rapportant tout le plomb, le nickel et le lithium de mes batteries aux prêtres du recyclage. Leur absolution me permettait de recommencer de plus belle, ils ne me parlaient jamais de sevrage. Et mon mal empirait…

Alors que j’envisageais sérieusement une cure de désintoxication, le nucléaire si beau, si propre, m’a brutalement libéré de ma honte. Je pouvais enfin donner libre cours à mes addictions. Mais voilà, qu’au pire de ma déchéance, alors que tout espoir de guérison a disparu, il menace vicieusement mes petits enfants, comme pour  mieux alourdir mon morbide fardeau.  

C’est désormais trop tard. Malgré tous ces morts passés et à venir, je suis définitivement incapable de me sevrer. Je suis un névropathe inconscient, quasi monstrueux…

Seuls ceux qui, comme moi, connaissent les affres de l’addiction pourront vraiment me comprendre…

Après le taylorisme : le prozacisme.

mardi 8 mars 2011

Le taylorisme, puis le fordisme ont été les piliers de la productivité et de la consommation. Baisser les coûts de production favorise la consommation, laquelle favorise à son tour la production de masse qui permet de trouver de nouveaux moyens d’améliorer la productivité donc les coûts, ce qui a pour effet de relancer la consommation et de relancer ce processus binaire.

Poursuivons nos simplismes. Cette merveilleuse machinerie fonctionne bien tant que les revendications sociales des salariés se maintiennent à minima et que la production correspond à des besoins considérés comme essentiels. L’accès du salarié à une conscience autre que celle de producteur et de consommateur est une rupture de la binarité qui oblige à rehausser le niveau de la consommation puisque le gain de productivité est ralenti par les exigences salariales.

Le marketing, en rendant indispensables des biens qui ne l’étaient pas, réussit alors à rehausser le niveau de consommation. La conscience de consommateur du salarié redevient supérieure à sa conscience syndicale et sociale et la machine peut alors reprendre son cercle vertueux en sens inverse.

Taylorisme, fordisme et marketing ont bien fonctionné jusqu’à la financiarisation des entreprises. Lorsque le profit est devenu l’objectif prioritaire, dépassant tous les autres plaisirs : celui d’entreprendre, celui de produire des biens, celui de produire des consommateurs et celui de les satisfaire.

On a licencié les salariés sans souci de l’impact de ces licenciements sur le nombre des consommateurs et sur la baisse des demandes. On a cessé des productions non rentables sans souci de la satisfaction des consommateurs.

Le principal effet de la financiarisation des entreprises a été l’augmentation de la dépression au travail. Les licenciements massifs ont ensuite favorisé l’extension de la maladie dépressive aux individus à leur domicile. Puis l’extension faramineuse des profits a creusé les inégalités sociales en généralisant la dépression à toute la société.

La consommation en a un peu pâti, excepté pour des produits comme le Prozac, l’alcool, les drogues, les antidépresseurs divers et autres psychotropes où elle a considérablement augmenté.

Le « prozacisme » pourrait être un nouveau levier pour relancer la machine. Majorer le marketing des psychotropes par la promotion du pessimisme. Continuer à licencier pour avoir un grand nombre de consommateurs de Prozac, mais cependant pas trop, car la solidarité sociale qui rembourse les psychotropes risquerait de crouler et de ne plus servir de carburant à ce nouveau modèle économique.

Cependant, si nous remplaçons la solidarité nationale menacée par le manque de cotisations salariales et patronales, par une solidarité basée sur les fondations privées nées de la démesure des profits devenus inutilisables, la machine pourra alors repartir.

Produire des psychotropes en abondance  au coût le plus bas pour des citoyens licenciés et dépressifs auxquels la nouvelle solidarité privée à la Bill Gates et Warren Buffet pourrait fournir gracieusement les antidépresseurs.

Aucun doute, après le taylorisme et le fordisme, seul le « prozacisme » peut désormais relancer une machine qui n’est plus binaire.