Archive pour octobre 2020

Trump le monofactoriel

jeudi 22 octobre 2020

En matière médicale, la notion de plurifactoriel (ou multifactoriel) est la plus complexe à comprendre. L’immense majorité des patients ne peut intuitivement accepter qu’une maladie résulte toujours de plusieurs causes. Depuis nos grandes victoires sur les maladies infectieuses, on voudrait que tout réponde à la logique du bon fusil antibiotique qui tue le méchant microbe. Pourtant, même en infectiologie, le microbe n’est jamais le seul coupable.

Les médecins sont les premiers responsables de cette inculture, car toute leur science s’efforce d’isoler un facteur dominant pour le modifier et afficher des preuves de leur action. Descartes affirmait avec raison qu’il faut comprendre chacune des parties pour comprendre le tout. Mais en médecine on s’arrête souvent à la première partie comprise. L’action consistant à faire baisser un chiffre de sucre ou de pression artérielle n’est que l’une des centaines qu’il faut pour ralentir la dégénérescence vasculaire. Augmenter la sérotonine ne guérit aucune dépression, diminuer la cholinestérase n’améliore aucun Alzheimer.

Aujourd’hui, ce sont les gènes qui ont pris le relais de l’unicité, on voudrait que toutes les maladies aient une cause génétique. Pourtant, comme le résume F. de Waal : « Déterminer pour quelle part un trait est produit par les gènes ou par l’environnement est aussi inutile que de demander si les sons du tambour que nous entendons au loin sont produits par le percussionniste ou par son instrument ».

Comme le son du tambour, les accidents de voiture, les suicides et les homicides sont (au minimum) bifactoriels : nécessitant un instrument mortel et son manipulateur.

Chaque nouvelle tuerie de masse aux USA repose la question de la vente libre des armes. Ces tueries, résultant de la conjonction entre un psychopathe et une arme, sont clairement bifactorielles. Il y a cependant un déséquilibre entre les deux facteurs, car dans un pays sans armes, les psychopathes seraient inoffensifs, alors que dans un pays sans psychopathes, les armes resteraient dangereuses.

Ne nous étonnons pas que le lobby des armes préconise d’armer les victimes pour les aider à se protéger des psychopathes. Etonnons-nous de l’incapacité des gouvernements successifs, qui faute de pouvoir détecter les psychopathes, n’ont jamais réussi à limiter la circulation des armes.

Enfin, cette démocratie archaïque a conduit à l’élection d’un président populiste dont les capacités cognitives n’arrivent même plus à penser le bifactoriel. Les mexicains sont voleurs, les musulmans sont terroristes, les chinois sont tricheurs : voilà pour la diplomatie. En ce qui concerne les tueries de masse, sa réponse est claire : il faut supprimer les psychopathes. Comme le mur à la frontière avec le Mexique qui supprimera la délinquance.

Le monofactoriel en médecine et le populisme en politique ont le grand avantage de la simplicité.

Référence

Paternalisme des preuves

mardi 13 octobre 2020

Très nombreux sont les problèmes de santé qui résultent majoritairement ou exclusivement, soit de mauvaises habitudes de vie : sédentarité, excès alimentaires, alcool, tabac, soit d’un environnement défavorable : conditions de naissance, éducation , soit tout simplement du vieillissement, soit des trois en proportions variables.

L’analyse du rapport entre ces troubles et leurs thérapeutiques révèle une règle immuable, un véritable « invariant » du marché sanitaire. Plus une pathologie est dépendante des règles hygiéno-diététiques ou du vieillissement, plus nombreuses sont les publications sur son traitement médicamenteux. Pour le dire plus simplement : plus l’évidence impose la prévention, plus le marché propose la thérapeutique. Pour le dire encore plus simplement : moins il y a de remède, plus il y a de médicaments.

Vouloir agir chimiquement en aval de troubles tels que l’hypertension artérielle, l’obésité, l’hyperglycémie, l’insomnie ou la dépression est une dangereuse chimère. Cela revient à nier que la multitude des facteurs qui génèrent ces troubles ne peut être réduite qu’en amont par des actions également multifactorielles (relaxation, sport, hygiène alimentaire, etc.)

En plus d’être inutile et dangereuse, cette saturation médicamenteuse contribue à dissimuler l’essentiel. Il est bien établi que la seule présence d’un médicament sur le marché conduit de facto médecins et patients à penser le soin en référence tacite à ce médicament. Qu’il soit prescrit ou non, qu’il soit critiqué ou non, l’existence même du médicament restreint toujours la réflexion au facteur visé par sa pharmacologie. Les débats sans fin sur la qualité des publications ne font qu’aggraver l’erreur initiale de la pensée monofactorielle.

Même les revues médicales les plus sévères contre l’industrie pharmaceutique se font piéger en oubliant de mentionner que de tels débats ne devraient même pas avoir lieu puisqu’ils partent d’une aberration primitive. Le polyfactoriel ne peut se résoudre par une action monofactorielle. Le marché parie sur la contagion de cet aveuglement :  « Parlez de mon facteur, en bien ou en mal, mais parlez-en »

L’extrême médiatisation de ce facteur unique finit par légitimer l’absence d’individualisation par le soignant et l’absence d’effort par le soigné. Le marché parie encore sur cette léthargie générale qui est forcément gagnante, puisqu’elle est lucrative pour les soignants et indolente pour les soignés.

Les statistiques qui accompagnent ces preuves pharmacologiques sont une nouvelle forme de l’infantilisation des soignés. Un nouveau paternalisme dont l’apparence est plus savante.

Après les amulettes des chamanes et le charisme des charlatans, on a critiqué l’empirisme des cliniciens et le paternalisme des mandarins qui ont pourtant fait progresser la médecine à pas de géants. Tous ont fini par céder leurs prérogatives à l’industrie.

Voici venu le temps de l’empirisme des statistiques et du paternalisme des preuves.

Références

Masque ou voile mortuaire

jeudi 1 octobre 2020

Chaque année, dans le monde, 6 millions d’enfants meurent avant l’âge de 5 ans, dont la moitié de malnutrition, l’autre moitié se répartissant entre pneumonies, diarrhées, paludisme, tuberculose et sida pour l’essentiel.

Chez les adultes, les accidents du travail et maladies professionnelles en tuent environ 2 millions.

Les suicides et homicides en tuent environ 1,5 millions dont un tiers est lié à la consommation d’alcool, un autre tiers à l’usage de psychotropes dont beaucoup sur prescription médicale. On suppose que pour le tiers restant, la nature humaine se suffit à elle-même.

Parmi les maladies infectieuses de l’adulte, la palme revient encore aux pneumonies et diarrhées avec respectivement 3,5 et 2,5 millions de morts, suivies par le SIDA et la tuberculose avec chacun leur 1,5 millions de morts annuelles, puis le paludisme et la grippe avec chacun 500 000 morts.

Dans un autre registre, le tabac et l’alcool tuent à eux seuls 10 millions de personnes. Bien que les modes de calcul soient contestables, nous n’allons pas chipoter sur des écarts de 2 à 3 millions de morts. Les morts d’origine médicamenteuse commencent à être également comptabilisées,  dans les pays de l’OCDE, elles arrivent à se hisser parfois jusqu’à la troisième place de toutes les causes de mortalité. Là, évidemment, la polémique fait rage.

Le diabète et l’obésité représentent 4 millions de morts chaque année, et l’on se perd en conjectures sur les causes de ces épidémies. Trop récentes pour être de nature génétique. Il reste l’hypothèse des causes environnementales, mais le débat se veut ouvert, voire béant.

Nous ne parlons pas des morts par maladies cardio-vasculaires, tumorales ou neuro-dégénératives, puisque ce sont des morts liés majoritairement à l’âge. Il apparaît que ni les sciences biomédicales ni l’OMS et autres institutions n’aient encore considéré l’âge comme un facteur prédisposant à la mort. J’en suis ravi malgré les doutes liés à mon sens inné de l’observation.

Quelles que soient nos théories (infectieuses, génétiques, environnementales, économiques ou sociales) sur ces statistiques de la mortalité, on est en droit de s’étonner qu’une épidémie virale totalisant 1 million de morts en un an continue à susciter tant d’émoi médical et tant d’activisme politique. D’autant plus que l’éventail de nos actions sur cette épidémie est infiniment plus restreint que celui que nous avons sur les autres causes de mortalité ci-dessus énumérées. Ne parlons pas de l’âge moyen des décès de cette énième virose respiratoire, puisque l’âge n’est pas encore un sujet médical. J’en suis toujours ravi malgré quelques interrogations liées à mon esprit scientifique.

C’est pourquoi, lutter contre cette épidémie en exigeant le port du masque par toute la population est une mesure très judicieuse, car c’est assurément le meilleur moyen de se voiler la face.

Références