Archive pour janvier 2024

Illusoire moléculaire

vendredi 19 janvier 2024

Bien avant Booz et Noé, chacun savait qu’un bon sommeil est gage de bonne santé. Maintenant, nous savons que le manque de sommeil augmente le taux de CRP et que ce marqueur d’inflammation est très mauvais pour la santé.

Bien avant Mathusalem, la vieillesse avait été abondamment vérifiée. Ensuite elle a pu être suivie grâce au calendrier grégorien, et aujourd’hui, on peut la confirmer par le raccourcissement des télomères.

Bien avant que William Harvey n’explique en détail la circulation du sang, chacun savait qu’il avait l’âge de ses artères. Ensuite on a découvert que les plaques d’athérosclérose sont plus fréquentes avec l’âge, puis que la lipoprotéine A favorise la nécrose de ces plaques et donc les accidents vasculaires. On peut désormais regarder vieillir les artères. On a même découvert que tous les marqueurs biologiques de risque cardio-vasculaires augmentent lorsque l’on mange trop, surtout trop de sucre.

Hippocrate n’est pas le premier à avoir compris les dangers de l’obésité, mais il a insisté lourdement sur les excès nutritifs. Aujourd’hui le surpoids est devenu une question de ghréline, de leptine, d’acides gras et de résistine ; cette dernière molécule permet aussi de révéler des liens entre obésité et athérosclérose. Découverte permettant d’affirmer que les obèses vieillissent aussi.

La démence était une infamie de l’âge avant qu’une technique de coloration permette à Monsieur Alzheimer de découvrir des fibrilles dans les vieux neurones. Aujourd’hui, on découvre des protéines tau et beta-amyloïdes dans les cerveaux des déments. Il ne s’agit donc plus d’une calamité de l’âge, mais d’une calamité moléculaire.

Tout lecteur attentif aura suspecté mes railleries. Certains pourraient même me reprocher de dénigrer la science et la médecine moléculaire. Ce n’est pas vrai. Cependant, le bon sens et un respect immodéré pour l’empirisme me confèrent une modestie de profane.

Jenner et Pasteur ignoraient tout de l’immunologie. La variolisation était déjà pratiquée dans la Chine ancienne et elle fonctionnait assez bien sans que l’on ne sache ni comment, ni pourquoi quelqu’un avait eu une idée aussi géniale et aussi saugrenue.

L’obsession moléculaire de la médecine ne permettra jamais de savoir si la dépression est un problème de sérotonine, de noradrénaline ou de dopamine tant que nous n’aurons pas auparavant défini cette maladie avec précision. Mais cette obsession débouche parfois sur des miracles comme des traitements favorables aux enfants atteints de mucoviscidose, myopathies ou autres maladies rares.

Je n’ai donc aucun droit de railler nos découvertes moléculaires, ne serait-ce que pour leur potentiel de fascination et d’utopies. Et si, à force de confirmer incessamment qu’il est vraiment bénéfique de bien dormir, de manger peu et de bouger beaucoup, elles finissent par nous en convaincre, alors elles n’auront été ni illusoires, ni vaines.  

Bibliographie

Nouvelle médecine préventive

samedi 6 janvier 2024

Hippocrate pensait qu’il était impossible d’étudier et de connaître tout ou partie du corps sans prendre en considération son milieu. « Pour approfondir la médecine, il faut considérer d’abord les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants ». Dans le même temps, de l’autre côté du monde, Confucius enseignait le « Ge wu », consistant à scruter la nature concrète des êtres et des choses : « L’efficacité du milieu juste est suprême, mais la plupart des gens en ont perdu la notion depuis longtemps ». Un peu plus tard, les taoïstes disaient que « le sage devrait imiter les saisons, l’eau, la terre, etc. ». L’individu et l’environnement étaient jugés indissociables bien avant Darwin.

De vagues notions notion d’hygiène, de souillures, de contagion et d’infection ont traversé les civilisations avec plus ou moins de succès au gré des croyances et des modes. Les romains, urbanistes de génie, géraient leurs eaux et leurs égouts. Lucrèce affirmait que la contagion pouvait faire mourir autant que le châtiment divin. En l’an mille, dans le monde arabe, Avicenne enseignait l’hygiène dans son Canon de médecine pendant que l’Europe jetait ses immondices dans les rues et dans les rivières dont elle buvait l’eau. Les Vénitiens, à la fin du XVème siècle, faisaient subir la quarantaine aux navires venant d’orient.

Au XVIème siècle, Girolamo Fracastoro parle des « seminaria prima » capables de passer d’un individu à l’autre et de se multiplier pour donner des maladies comme la peste, la syphilis, la tuberculose ou le typhus. Les idées de ce poète et médecin italien furent oubliées avant de renaître avec Pasteur et Koch.

Au XVIIIème siècle, la France des Lumières développe l’idée que le destin des épidémies n’est peut-être pas inexorable. La société royale de médecine essaie de secouer la léthargie des médecins en leur demandant de faire des relevés précis de la cartographie et de la « météorologie » des épidémies.

Au XIXème siècle, deux mille ans après les romains, les hygiénistes anglais se remettent à considérer la « saleté » de la cité et mettent en place l’alimentation en eau potable et le tout-à-l’égout. Prémices d’un courant appelé hygiène sociale attribuant la maladie aux comportements et aux agents infectieux. La vaccine de Jenner et l’apothéose pastorienne établiront l’irréversibilité de ce concept qui définira le rôle essentiel du médecin moderne.

Au XXème, les maladies non transmissibles ont été incluses dans la définition de la médecine préventive : « Spécialité médicale concernant la prévention des maladies, ainsi que la promotion et la préservation de la santé chez l’individu. »

Contre ces « maladies sans microbes », l’éducation prime sur l’hygiène sociale. Et malgré la connaissance des problèmes de nutrition, d’addiction et de sédentarité, ce ne sont plus les scientifiques et les politiques qui mènent la barque.

La route risque d’être plus tortueuse que pour les maladies transmissibles.

Bibliographie