Archive pour décembre 2011

Êtes-vous siglophone ?

mercredi 14 décembre 2011

“Les trois qualités d’un mot sont d’être nécessaire, intelligible et sonore”. Voltaire voulait probablement  mettre en garde les fabricants de néologismes contre l’opacité de la science ou de l’administration qu’ils prétendent servir ?

Dans le monde socio-sanitaire, les néologismes sont rarement des mots irréversibles, on leur préfère des sigles dont le caractère précaire est plus conforme à la réalité.

Pour leur PRS, les ARS n’auront plus à consulter les URML qui ont disparu, mais les URPS et les FRPS. Le SROS devra tenir compte de la loi HPST, assurer la PDS et la CDS et susciter des CESP.  Le PMSI, le SNIIRAM, les CRUQS et le RPPS seront des outils utiles. En cas d’accident, l’AVIAM et les CRPV sont maintenus.

Je rassure ceux qui n’ont pas tout compris, la durée de vie d’un sigle est généralement inférieure au temps qu’il faut pour l’intégrer dans la réalité pratique et cognitive.

Pendant ce temps, sur le terrain du soin, les sciences biomédicales et l’empathie assurent l’essentiel de l’intelligibilité. Méfions-nous cependant que le sigle ne vienne à son tour précariser la santé elle-même. Tous les sigles n’ont pas la nécessité, l’intelligibilité et la sonorité du SIDA. Certes les DTT guérissent les OSM et les HBPM préviennent les MTEV après PTH, mais le traitement du TDAH est suspect et celui du SAOS reste délicat, même par PPC. Le sigle anglo-saxon n’arrange rien, car la CPAP est aussi contraignante que la PPC. Peu importe, il faut désormais être siglophone et anglophone pour conserver l’apparence et mériter l’officialité.

Ceux qui pensent encore que NTM est une insulte de banlieue ou un groupe de hard rock sont de piètres siglophones, en réalité il s’agit des métastases sur le trajet de l’aiguille de biopsie. Certains vont même jusqu’à nier l’existence de ces NTM. Pourtant, je vous l’ai toujours dit, le dépistage des cancers est parfois dangereux.

Glossaire

PRS : projet régional de santé

ARS : agence régionale de santé

URML : union régionale des médecins libéraux

URPS : union régionale des professionnels de santé

FRPS : fédération régionale des professionnel de santé

SROS : schéma régional d’organisation des soins

HPST : loi hopital patients santé territoire

PDS : permanence des soins

CDS : continuité des soins

CESP : contrat d’engagement de service public

PMSI : programme de médicalisation du système d’information

SNIIRAM : Système National d’Informations Inter régimes de l’Assurance Maladie

CRUQS : commission de relation avec les usagers pour la qualité des soins dans les hôpitaux.

RPPS : répertoire partagé des professions de santé

AVIAM : association d’aide aux victimes d’accidents médicaux

CRPV : centre régional de pharmacovigilance

DTT : drain trans tympanique

OSM : otite séro-muqueuse

HBPM : héparines de bas poids moléculaire

MTEV maladie thrombo-embolique veineuse

PTH prothèse de hanche

TDAH : trouble déficit de l’attention hyperactivité

SAOS : syndrome d’apnée obstructive du sommeil

PPC : Pression positive continue

CPAP : Continuous positive air pressure

NTM : Needle track metastasis (anciennement : nique ta mère)

Bientôt la post-clinique

lundi 5 décembre 2011

La science clinique, expertise au chevet (klinê) du malade, est en fort recul depuis une cinquantaine d’années. Les deux responsables en sont, d’une part, l’invasion technologique, dont il faut reconnaître l’efficacité, et d’autre part, le nouveau concept de médecine basée sur les preuves (EBM).

La technique nous fournit la preuve par le résultat chiffré ou l’image tandis que l’essai randomisé en double aveugle contre placebo de l’EBM nous fournit la vérité statistique.

Le symptôme individuel est ainsi gommé par le verdict de la machine et la variabilité individuelle, caractéristique essentielle du vivant, est annulée par la méthode statistique. L’individu est nié par la nouvelle médecine, non pas que les nouveaux médecins aient moins d’éthique ou moins d’humanité, mais parce que cette nouvelle méthodologie impose stricto sensu la négation de l’individu.

Cela signe-t-il la fin définitive de la clinique ?

Non. Il y a, certes, un cap difficile à passer, pour les médecins, pour les patients et pour la sérénité de leurs relations. Mais après la digestion culturelle de ces nouvelles expertises, le clinicien aura appris à maîtriser et à contester la machine. La variabilité individuelle, indispensable à la survie de toute espèce, persistera évidemment. Ainsi le nouveau techno-clinicien, généraliste enfin décomplexé, réconcilié avec son patient, retrouvera l’usage du dernier mot dans les histoires cliniques singulières.

Ce sera l’ère de la « post-clinique » que tous les cliniciens attendent, sans pouvoir la nommer, depuis l’invasion paraclinique.

Même Virchow qui, en découvrant la cellule et ses pathologies, fut l’un des fondateurs de la paraclinique, attendait déjà l’ère de la post-clinique lorsqu’il disait : « Si le microscope est capable de servir la clinique, c’est à la clinique d’éclairer le microscope. »

Aujourd’hui, avec la biologie moléculaire qui devient une sous discipline de l’anatomo-pathologie, il n’existera plus un seul génome normal dans les cellules de nos dépistages.

Les anatomopathologistes, avec le secours des post-cliniciens oseront alors enfin dire à leur patient : c’est anormal, mais rassurez-vous, c’est normal.