Archive pour juillet 2012

Auto-immunité

lundi 16 juillet 2012

Les anti TNF font partie des avancées thérapeutiques notables de ces dernières années.  Prescrits essentiellement dans la polyartrhrite rhumatoïde, Ils améliorent la qualité de vie des patients. Nous n’avons pas encore assez de recul pour connaître leur impact sur la quantité de vie, mais les patients soulagés de leurs douleurs ne se préoccupent guère de cet aspect à long terme. On les comprend.

Les anti TNF sont aussi prescrits dans d’autres maladies auto-immunes telles que les colites inflammatoires, (Crohn, RCH), la spondylarthrite ankylosante, le rhumatisme psoriasique ou même le psoriasis.

Un des effets secondaires  les plus paradoxaux de ces molécules est l’induction d’un psoriasis. Ce n’est certes pas la première fois qu’un traitement induit une maladie, mais il est rarissime qu’il induise la maladie qu’il est supposé guérir.

Les maladies auto-immunes continuent à garder leur secret. Même si l’on a esquissé le principe physiopathologique général, le clinicien reste ignare devant leur évolution cyclique et capricieuse et l’énorme disparité de leurs formes et de leur gravité.

Les spécialistes, garants des prescriptions difficiles dans ces maladies auto-immunes, doivent se méfier des tentatives de banalisation. Que ceux, qui verraient cette mise en garde d’un praticien de terrain comme un crime de lèse-majesté, veuillent bien poursuivre…

Ce n’est pas par hasard que les diagnostics de spondylarthrite et de rhumatismes psoriasiques ont augmenté depuis l’apparition de ces molécules.  Les incitations à l’éveil clinique autour de ces pathologies ont été nombreuses. Tel clinicien est fier d’avoir enfin trouvé le diagnostic exact de cette « lombalgie » traînante que ses confrères avaient négligée. Tel autre se félicite d’avoir fait le lien entre ces douleurs articulaires fugaces et la dermatose des plis dont nul n’avait suspecté l’origine psoriasique.

C’est vrai, l’expertise clinique n’en finit pas de s’améliorer et de forcer mon admiration. Piètre clinicien que celui qui a décelé la spondylarthrite de son patient à 35 ans, alors que son histoire montre a posteriori que la pathologie a débuté quand il avait 15 ans.

Depuis que les anti-TNF sont sur le marché, ces retards diagnostiques « coupables » ne se verront plus. Tous les spécialistes sont en éveil pour ne plus rater les diagnostics subtilement déplacés sous les feux de la rampe.

Lorsqu’existe un traitement pour des pathologies où le diagnostic progresse plus vite que nos connaissances physiopathologiques, la prudence est la première règle. Nous savons que la frontière est parfois ténue entre diagnostic précoce, surdiagnostic et surtraitement.

Ce psoriasis paradoxal induit vient-il opportunément nous rappeler que l’auto-immunité est encore plus complexe que tout ce que nous supposions?

Débats entre soi

lundi 2 juillet 2012

Débats entre soi

Un grand média organise un débat d’opinion sur la parité hommes-femmes dans l’entreprise. Les trois invités sont trois mâles caucasiens, directeurs d’entreprise, à costume gris sombre et cravate.

Supposons que ces hommes aient réellement des idées modernes sur la libération de la femme et soient sincèrement favorables à l’égalité des sexes. Supposons enfin que nous croyions à leur sincérité. Ces deux présuppositions n’empêcheront pas la pauvreté du dialogue. Nos interlocuteurs devant réajuster en permanence le fond et la forme de leurs propos pour contraindre leur sincérité et contourner leur statut.

Un autre média organise un débat politique où les trois invités sont trois membres actifs du front national ou d’un quelconque autre parti. Nous n’avons rien à présupposer pour imaginer l’ennui mortel du débat.

Imaginons à l’envi un débat sur la dépénalisation de la drogue où les trois invités seraient des dealers, ou un autre sur l’euthanasie où les trois invités seraient des prêtres, etc.

Il serait injuste de me reprocher quelque fantaisie de chroniqueur ou d’agitateur d’idée. Les sujets médicaux sont régulièrement à l’origine de ce genre de débat sans contradicteur sur les plus grands médias et pour le plus large public. Les invités y sont mâles et caucasiens, hauts responsables dans leur spécialité, ingénieurs biomédicaux, fort éloignés de la médecine basée sur le réel et adaptant volontiers les preuves à la promotion de leur spécialité.

Il convient de préciser ici que chaque spécialiste considère sa spécialité comme une priorité de santé publique. Le nombre de priorités de santé publique va donc croissant régulièrement comme le nombre de spécialités et d’hyper-spécialités.

Je dois fournir des preuves. Leur liste est interminable. J’en choisis une au hasard sur un sujet qui méritait au moins l’intervention d’un médecin généraliste ou d’un patient inutilement mutilé.

C’était sur un grand média au sujet du cancer de la prostate. Les trois invités étaient trois professeurs d’urologie dont l’un était le président de l’association française d’urologie ! [1] Qui dit mieux ?

La polémique n’a même pas eu lieu. A vrai dire, la polémique est déjà dépassée, tant la médecine est prise en défaut sur ce dossier. Nos trois urologues pouvaient-ils en convenir au cours d’une si belle émission promotionnelle de leur spécialité ?

Ce débat a fini comme prévisible par tourner avec une discrète subtilité autour du spectre du « n’attendez pas qu’il soit trop tard pour vous informer »…

Et en plus de toutes ces menaces qui pèsent sur nous, il y a des trains qui n’arrivent pas à l’heure.


[1] France Inter. Mercredi 15/09/2010. Emission « Le téléphone sonne ». Invités :

– Professeur Pascal Richman : Président de l’Association française d’urologie

– Professeur Laurent Salomon, professeur d’urologie à Henri Mondor.

– Professeur Stéphane Droupy, professeur d’urologie au CHU de Nîmes.