Archive pour septembre 2021

Sclérose en plaques et infections

mardi 28 septembre 2021

La sclérose en plaques (SEP) est la plus grave des maladies auto-immunes, la démyélinisation de certains nerfs peut conduire à de lourds handicaps. De nombreux liens ont été établis avec les infections passées, la pression parasitaire du pays et le microbiote.  

Le plus évident est le gradient de latitude. Plus on s’éloigne de l’équateur, plus la prévalence de SEP augmente. Deux explications sont proposées. La première est une carence en vitamine D par manque d’ensoleillement, bien que sa prescription ne diminue pas le risque de SEP. La deuxième suggère que la forte pression parasitaire des pays tropicaux offrirait une protection dès l’enfance ; ceci est en rapport avec l’hypothèse hygiéniste qui stipule que la baisse des infections dans l’enfance favorise les maladies allergiques et auto-immunes. Hypothèse confortée dans nos pays où les enfants des grandes fratries rurales, donc plus souvent infectés, sont moins atteints.

L’âge des infections semble jouer un rôle important. Le risque de SEP augmente lorsque des maladies comme la rougeole, la rubéole ou les oreillons sont contractées à un âge tardif ; les réponses immunitaires seraient « aberrantes ». La vaccination contre ces maladies annule ce risque, mais elle augmente celui d’une infection tardive chez les non-vaccinés, donc leur risque de SEP. Le rôle de l’âge est conforté par le fait que les personnes qui migrent après l’âge de 15 ans conservent le risque de SEP de leur pays d’origine et celles qui migrent avant cet âge acquièrent le risque du pays d’adoption.

Une surprenante corrélation montrant un risque plus élevé chez les enfants nés en mai, a fait émettre l’hypothèse d’une infection hivernale pendant la grossesse.

Il existe une forte relation avec le virus Epstein-Barr puisque tous les patients atteints de SEP en sont porteurs. L’âge de leur infection joue aussi un rôle, puisqu’une mononucléose tardive augmente le risque de SEP.

La protéine MOG (myeline oligodendrocyte glycoprotein), fortement impliquée dans la myélinisation, ressemble beaucoup à une protéine du lait de vache et du virus de la rougeole. Un nourrisson en contact avec ces dernières pourrait développer une réponse auto-immune pathogène. Evoquée au début des années 1990, cette hypothèse a été curieusement peu explorée par la suite. 

Une bactérie bien connue dans les gingivites sécrète des lipides qui aggravent expérimentalement la démyélinisation chez les souris. Enfin, les altérations du microbiote sont désormais bien établies dans la SEP.

Les avancées de la génomique permettent désormais d’identifier rapidement les antigènes de chaque nouveau virus et les protéines de membrane qui leur permettent de pénétrer nos cellules. On peut s’étonner que les solides hypothèses infectieuses de la SEP restent encore si mal explorées. Les maladies auto-immunes sont-elles un échec de l’infectiologie, une négligence de la recherche ou l’ultime terra incognita de la biomédecine ?

Bibliographie

Pathologie

vendredi 17 septembre 2021

Un de mes fidèles lecteurs, féru comme moi de terminologie scientifique, m’a fait remarquer avec raison que je mélangeais régulièrement les termes « maladie » et « pathologie ». L’erreur est classique, la météorologie est confondue avec le climat qu’elle étudie. On parle d’une mauvaise météo. L’écologie, elle aussi, est régulièrement assimilée à ses sujets d’étude.

En toute rigueur, la pathologie est une science qui étudie les objets que sont les maladies. Il existe une classification internationale des maladies dont la onzième édition (CIM-11) compte environ 160 000 objets d’étude identifiés par un code de 3 caractères et classés en 23 groupes.

Un chapitre supplémentaire a été intitulé : autres motifs de recours aux systèmes de santé, entérinant le fait que la médecine intervient aussi hors du cadre des maladies. Un autre chapitre est consacré aux maladies iatrogènes, c’est-à-dire provoquées par la médecine. Un autre est consacré aux causes externes d’accident.

En réalité, les deux sciences médicales consacrées à la classification des maladies sont la nosologie qui élabore les méthodes, principes et critères permettant de classer symptômes et maladies, et la nosographie qui en est le catalogue résultant où figurent les noms et définitions de tous les troubles reconnus comme pathologiques.

Tous ces troubles et maladies sont labiles dans le temps et l’espace. Aussi bête que cela puisse paraître, l’hypertension artérielle (codée I10) n’a pu apparaître qu’après l’invention du tensiomètre. Aujourd’hui, être gaucher ou homosexuel ne sont plus des maladies, alors qu’elles l’étaient encore il y a seulement quelques décennies. Inversement, l’épisode dépressif léger (F32), l’état de stress post-traumatique (F43), la DMLA (H35), et bien d’autres ont fait une apparition récente dans ce catalogue sous diverses influences n’ayant pas toujours de rapport avec la science.

 Parfois la maladie est nommée par le nom propre de son découvreur (Parkinson, Charcot), parfois le mot « maladie » lui-même a disparu, remplacé par souffrance, syndrome, trouble, désordre, dysfonctionnement, handicap, carence, affection, anomalie, etc.

Assurément, les trois sciences de la nomenclature (pathologie, nosologie et nosographie) sont d’une extrême complexité, elles dépassent largement le cadre de la biomédecine et relèvent aussi de la sociologie, de l’économie et de la géopolitique.

La pratique médicale, qui peine déjà à maîtriser la physiologie, la psychologie et la biologie, est dans l’incapacité d’englober toutes les sciences intervenant dans la définition des souffrances et maladies. C’est pourquoi elle s’intéresse de plus en plus aux personnes en bonne santé pour dépister tous les marqueurs prédictifs d’une maladie du CIM, et leur éviter d’ouvrir un jour l’une de ces 160 000 portes.   

Référence

Le malheur est dans le pré

lundi 6 septembre 2021

L’évolution des pratiques médicales a conduit à une inversion du déterminisme des diagnostics. Ce n’est plus une plainte issue du patient qui conduit à un diagnostic éventuel, c’est inversement un diagnostic biomédical qui est proposé à des citoyens sans plainte. Les diagnostics d’hypertension, de diabète de type 2 (DT2), d’ostéoporose ou de leucémie lymphoïde chronique, sont unanimement vécus comme de redoutables maladies par ceux qui n’en ont jamais ressenti et n’en ressentiront jamais le moindre symptôme.  

Nous acceptons cette suprématie paraclinique, car elle s’inscrit dans la domination des chiffres et des images sur tous les secteurs sociaux. Ce que nos sens perçoivent est moins prégnant que ce qu’il leur est suggéré de percevoir.

Dans le domaine de la santé, cette mercatique de l’intime a parfaitement atteint ses objectifs. Mais aucune réussite ne peut rassasier le marché sanitaire, si l’on en juge par les innombrables publications destinées à élargir la cible de ces maladies virtuelles. Ce sont désormais, le prédiabète, la pré-hypertension ou la pré-hypercholestérolémie qui doivent alerter les médecins.  En 2005, une étude célèbre a démontré que les Norvégiens (entre autres) avaient toutes les pré-maladies induisant un haut risque cardio-vasculaire. En 2009, l’étrange concept de pression artérielle normale haute a été défini sans faire broncher les nosologistes. En 2014, douze millions d’Américains ont soudainement franchi le seuil pathologique par décret d’une nouvelle norme du LDL cholestérol. En 2019, ce sont 46% des Américains qui sont devenus hypertendus au lieu de 32% auparavant, car la pré-hypertension, qui couvait depuis longtemps, a fini par éclore. Nous connaissions l’hypertension de la blouse blanche qui n’existe que chez le médecin, il nous faut désormais affronter l’hypertension masquée qui n’existe qu’à la maison et pas en consultation. La greffe de tensiomètre apparaît comme une mesure indispensable de santé publique. Préservatifs et masques ne sont que des gadgets transitoires d’infectiologues.

Si les cardiologues sont les héros de la précaution, les psychiatres ne sont pas en reste. Lors de l’élaboration du DSM5, le diagnostic de pré-psychose a été proposé puis abandonné in extremis sous la pression de certains psychiatres plus modérés, ou plus mièvres.

Cependant cette inflation diagnostique, frisant trop souvent le grotesque, commence doucement à être dénoncée. Une étude de 2020 démontre que le pré-diabète évolue très rarement vers le DT2. En pédiatrie, nous avons désormais la preuve que la majorité des diagnostics d’allergie alimentaires et d’asthme sont portés par excès et que ces « maladies » disparaissent après arrêt de tout traitement. Mais n’en doutons pas, la pré-psychose, le pré-diabète ou le pré-asthme auront de nombreux successeurs, car notre vrai malheur est dans le pré. Aucun être vivant n’a encore survécu au pré.  

Bibliographie