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Éthique décalée : la FDA interdit la vente d’un test génétique

mardi 10 décembre 2013

En 2007, la société « 23andMe » commercialisait un test salivaire permettant d’établir une carte génomique personnelle pour 399 $. Nous avions alors dénoncé (réf) cette proposition qui prétendait évaluer le risque individuel pour les maladies les plus redoutables. La publicité alléchait le chaland en proposant de déterminer aussi la proximité génétique avec des célébrités ou avec une communauté ethnique ou socioculturelle. Devant de telles grossièretés, on peut s’étonner que la FDA n’ait pas réagi immédiatement en interdisant un tel commerce. D’autant plus qu’à l’époque, la recherche n’avait pas les moyens d’attribuer des interprétations solides à la plupart des polymorphismes nucléotidiques détectés sur les génomes.

Comme on pouvait s’y attendre, de nombreux diagnostics erronés ont été posés, ainsi que des prédictions fantaisistes dont on ne pourra jamais évaluer les prolongements psychologiques… D’aucuns diront qu’il faut déjà un profil psychologique particulier pour acheter de tels tests, et c’est certainement sur la connaissance de cette faiblesse humaine que le business plan de l’entreprise avait été élaboré.

Avec des clients de plus en plus nombreux, le prix du test a baissé à 99$ ; l’entreprise a fait fortune et prétend désormais pouvoir analyser jusqu’à 600 000 nucléotides ! Quel chercheur ne peut être pantois devant un si colossal travail de décryptage assuré par une seule entreprise commerciale ! Cela dans le mépris des incessantes découvertes en épigénétique qui relativisent toutes les prédictions cliniques issues des polymorphismes nucléotidiques.

Après de nombreux avertissements sans suite, la FDA vient de réagir en interdisant enfin la vente de ce test.

Ne rêvons pas… D’autres entreprises verront le jour, qui mêleront le sérieux de la recherche aux fantaisies du commerce. Google vient d’annoncer qu’il se lançait dans de grands investissements pour étudier la vieillesse et la longévité. Depuis deux-mille ans, la vie éternelle a toujours beaucoup rapporté à ceux qui en ont fait la promesse. Le business plan doit être très prometteur…

Notre vieille Europe semble être plus prudente. Certes il y a bien des sociétés européennes qui proposent de tels tests génétiques sur internet, mais nos eurodéputés ont adopté des résolutions pour encadrer ce type de commerce et les ont fait inscrire récemment dans les lois de bioéthique en raison d’un risque – je cite – de « conséquences dramatiques ».

L’éthique conséquentialiste consiste à poser les questions éthiques sur les conséquences d’une action AVANT de la mettre en place et avant même de réaliser des études permettant de l’évaluer.

L’Europe n’a pas encore compris qu’il faut faire de l’éthique conséquentialiste APRÈS ; ceci permet de sauver l’honneur sans perdre de gros marchés ! La FDA l’a compris !

Références

Sous-diagnostic

lundi 24 juin 2013

Aujourd’hui, il n’est plus possible de lire un article traitant d’un sujet médical sans y lire le mot « sous-diagnostiqué ». Toutes les maladies sont sous-diagnostiquées. La réalité pathologique serait donc bien pire que la capacité diagnostique des médecins.

La maladie bipolaire toucherait environ 5% de la population, alors que les médecins n’en diagnostiquent que 1%. Pour la schizophrénie, ce serait 3% au lieu de 1%. Les psoriasis seraient en réalité deux fois plus nombreux que ce que les médecins arrivent à diagnostiquer. Je ne parle pas des cancers, ils sont tous diagnostiqués trop tard. S’ils étaient diagnostiqués plus tôt, on n’en mourrait plus jamais. A vrai dire, la question du diagnostic du cancer est embarrassante. S’ils étaient tous diagnostiqués « à temps », y en aurait-il chez 100% de la population, ou n’y en aurait-il plus du tout ? Nul ne sait répondre, aujourd’hui, à cette question pourtant fondamentale.

Même la migraine et la maladie d’Alzheimer sont sous-diagnostiquées. Quel bonheur que celui d’avoir une migraine non diagnostiquée. Ceux qui ont la malchance d’avoir une migraine diagnostiquée doivent bien me comprendre. A titre personnel, je préfère largement être porteur d’une maladie non diagnostiquée, quelle qu’elle soit.

Il y a quelques années, lorsque je lisais ces innombrables articles où le mot « sous-diagnostic » apparaissait, j’avais secrètement honte, car je percevais mon incurie de généraliste. Tous ces diagnostics que j’avais manqués seraient un jour établis par un spécialiste, et l’opprobre serait alors définitivement sur moi.

Mais en y réfléchissant mieux, je constate que le nombre de maladies sous-diagnostiquées augmente régulièrement. Cela signifie que l’arrivée massive des spécialistes sur le marché médical public et privé n’a rien changé à notre incurie diagnostique. Tous ces spécialistes et hyper-spécialistes sont donc aussi médiocres que je l’étais. Certes, c’est une bien mesquine consolation, car des patients de plus en plus nombreux continuent à vivre en errance de diagnostic… Combien de déficients cognitifs, de dépressifs, de précancéreux, de pré-douloureux, de pré-hypertendus, de pré-hyperactifs, continuent à errer en l’attente de leur vérité…

Parfois, a contrario, il m’arrive d’être fier en pensant au fardeau que j’ai évité à tous ces patients maintenus dans leur vacuité diagnostique. Hélas, ils n’en ont pas conscience, et je reste seul avec l’angoisse de leur verdict qui tombera, tôt ou tard.