Archive pour le mot-clef ‘mercatique’

Refuser la mort peut être mortel

jeudi 13 août 2015

Le confort de vie et les progrès sociaux ont allongé considérablement la durée de vie des Occidentaux. La chirurgie, l’obstétrique, les vaccins et quelques autres progrès médicaux ont supprimé la majorité des « morts prématurées », définies par leur survenue avant 65 ans.

Il est logique que la médecine tente aussi de répondre à la demande d’immortalité qui date de l’apparition de la conscience, car il est préférable d’y répondre ici-bas plutôt que dans l’au-delà.

De nouveaux progrès curatifs permettent encore à ceux qui n’ont pas une excellente longévité intrinsèque de grignoter quelques années de vie après 65 ans. Mais ces résultats ne sont rien au regard des mesures préventives connues sous le nom de règles hygiéno-diététiques. Celles-ci se résument à trois : la marche régulière, la restriction calorique et la suppression du tabac. Leurs résultats sont largement supérieurs à toutes les interventions pharmacologiques ou instrumentales dans la plupart des pathologies neurodégénératives, tumorales, cardio-vasculaires, infectieuses et locomotrices. Seules les maladies auto-immunes et psychiatriques échappent en partie à cette triade salutaire.

Mais résumer leurs prescriptions à la marche et à la diète paraît trivial aux marchands de la santé qui multiplient les propositions pour éviter cette ascèse, car l’immortalité est un luxe qu’il leur semble préférable de payer en espèces plutôt qu’en nature.

Depuis les sérums de jouvence des apothicaires, la science a fait du chemin et l’emballage théorique a permis d’en proposer certains qui ont eu les honneurs des Facultés de Pharmacie et de Médecine. Les vitamines C et D qui ont guéri le scorbut et le rachitisme ont lancé la mode des vitamines, tout particulièrement celle du bêta-carotène ou vitamine A. Les antioxydants étaient supposés limiter la sénescence cellulaire. Les omégas 3 ont fait la une de tous les médias académiques et populaires pendant un demi-siècle. Le calcium a été proposé pour éviter l’ostéoporose. Le traitement de la ménopause devait conférer la jeunesse éternelle aux femmes. Du côté des hommes, la testostérone devait maintenir la vigueur érectile. La DHEA devait prémunir les deux sexes de toutes les affres. Le traitement « à vie » de l’hypertension avait une sémantique d’éternité.

Toutes ces propositions avaient deux mérites, celui d’être basées sur des théories acceptables et celui d’entrer en résonnance avec nos modules psycho-cognitifs, exactement les mêmes que ceux qui nous prédisposent à croire à l’intercession des dieux pour la vie éternelle.

Si toutes ces préventions contre la mort n’étaient qu’inefficaces, il serait malintentionné de vouloir saper un tel commerce. Hélas, beaucoup se révèlent dangereuses, et le clinicien sérieux doit en avertir ses patients trop irréalistes.

Le calcium augmente le risque cardiovasculaire et celui de lithiase rénale, alors que le risque ostéoporotique disparaît après un an et demi de marche régulière. Les antioxydants augmentent la mortalité de 6%, cette augmentation est de 10% en association avec la vitamine E et de 30% avec le bêta-carotène. Le traitement hormonal de la ménopause augmente le risque de cancer du sein et de l’ovaire et nous ne cessons d’en découvrir les nuisances. Heureusement, la testostérone et la DHEA n’ont fait qu’un flop sans gravité.

Le traitement continu de l’hypertension après 80 ans augmente le risque de démence et de chutes sans montrer de bénéfice. D’une manière générale, tous les traitements pharmacologiques préventifs ont un rapport bénéfices/risques négatif après 80 ans.

Certes la sénescence et la mort n’ont rien d’attirant, mais les refuser peut être parfois dangereux.

Références bibliographiques

Exercice mathématique et mercatique autour de l’Alzheimer

lundi 11 août 2014

La probabilité d’avoir une maladie d’Alzheimer après 75 ans est de 15%. En épidémiologie, il s’agit d’un pourcentage énorme, surtout pour une maladie aussi invalidante.

Piètre réconfort : elle survient à un âge avancé, presque toujours supérieur à 65 ans. Cet âge étant défini comme borne de la mort prématurée, la maladie d’Alzheimer n’est donc responsable que de morts non prématurées.

A l’heure actuelle, aucun médicament commercialisé n’a d’efficacité sur le cours global et le pronostic de cette maladie neuro-dégénérative. L’idée est donc de la prévenir, à défaut de pouvoir la guérir. Les investissements et les recherches abondent dans cet objectif, et aboutiront certainement à plusieurs nouvelles molécules commercialisables.

Nous savons depuis longtemps que « commercialisé » ne veut pas dire efficace. L’autorisation de mise sur le marché repose sur deux critères principaux : modèle théorique d’action et preuve de l’efficacité par essai clinique randomisé.

Les modèles théoriques d’action sur la maladie d’Alzheimer ne manquent pas : protéine tau, dépôts amyloïdes, et (trop) nombreuses pistes génétiques (APOE, APP, PSEN, BDNF, SORL1, CLU, BIN1, etc. ; il y a actuellement plus de 25 régions génomiques impliquées) !

Quant aux essais cliniques, il est quasi impossible de prouver l’efficacité d’un médicament curatif, et a fortiori préventif, sur une pathologie plurifactorielle d’apparition tardive, souvent associée à d’autres pathologies, chez des patients polymédicamentés, car il y a toujours trop de facteurs de confusion. Pour réaliser cet exploit, il faudra d’autres « ressources » qui ne dépendent pas de la science exacte. Mais soyons certains que les marchands y parviendront.

Une fois la molécule mise sur le marché, elle n’aura, par contre, aucun problème à prouver son efficacité. Reprenons notre propos à son début. Cette pathologie concerne 15% des sujets de plus de 75 ans. Le corollaire est l’absence de cette maladie chez 85% d’entre eux. La molécule en question sera inévitablement vantée et considérée comme efficace chez 85% des sujets qui l’auront prise !

D’aucuns trouveront cet humour mathématique bien sombre pour un drame social et familial de cette importance. C’est vrai, le drame est réel. C’est pourquoi le clinicien que je suis tient à rappeler que les exercices cognitifs, la marche, la socialisation et le toucher sont pour l’instant les seules méthodes ayant fait la preuve d’une très légère efficacité sur l’apparition et le cours de cette maladie. Et surtout, que l’apparition d’une molécule pour une pathologie chronique quelconque s’accompagne irrémédiablement d’un recul des actions préventives non pharmacologiques, donc d’un recul de la prévention.

Telle est la réalité du terrain, il est utile de la rappeler.

Éthique décalée : la FDA interdit la vente d’un test génétique

mardi 10 décembre 2013

En 2007, la société « 23andMe » commercialisait un test salivaire permettant d’établir une carte génomique personnelle pour 399 $. Nous avions alors dénoncé (réf) cette proposition qui prétendait évaluer le risque individuel pour les maladies les plus redoutables. La publicité alléchait le chaland en proposant de déterminer aussi la proximité génétique avec des célébrités ou avec une communauté ethnique ou socioculturelle. Devant de telles grossièretés, on peut s’étonner que la FDA n’ait pas réagi immédiatement en interdisant un tel commerce. D’autant plus qu’à l’époque, la recherche n’avait pas les moyens d’attribuer des interprétations solides à la plupart des polymorphismes nucléotidiques détectés sur les génomes.

Comme on pouvait s’y attendre, de nombreux diagnostics erronés ont été posés, ainsi que des prédictions fantaisistes dont on ne pourra jamais évaluer les prolongements psychologiques… D’aucuns diront qu’il faut déjà un profil psychologique particulier pour acheter de tels tests, et c’est certainement sur la connaissance de cette faiblesse humaine que le business plan de l’entreprise avait été élaboré.

Avec des clients de plus en plus nombreux, le prix du test a baissé à 99$ ; l’entreprise a fait fortune et prétend désormais pouvoir analyser jusqu’à 600 000 nucléotides ! Quel chercheur ne peut être pantois devant un si colossal travail de décryptage assuré par une seule entreprise commerciale ! Cela dans le mépris des incessantes découvertes en épigénétique qui relativisent toutes les prédictions cliniques issues des polymorphismes nucléotidiques.

Après de nombreux avertissements sans suite, la FDA vient de réagir en interdisant enfin la vente de ce test.

Ne rêvons pas… D’autres entreprises verront le jour, qui mêleront le sérieux de la recherche aux fantaisies du commerce. Google vient d’annoncer qu’il se lançait dans de grands investissements pour étudier la vieillesse et la longévité. Depuis deux-mille ans, la vie éternelle a toujours beaucoup rapporté à ceux qui en ont fait la promesse. Le business plan doit être très prometteur…

Notre vieille Europe semble être plus prudente. Certes il y a bien des sociétés européennes qui proposent de tels tests génétiques sur internet, mais nos eurodéputés ont adopté des résolutions pour encadrer ce type de commerce et les ont fait inscrire récemment dans les lois de bioéthique en raison d’un risque – je cite – de « conséquences dramatiques ».

L’éthique conséquentialiste consiste à poser les questions éthiques sur les conséquences d’une action AVANT de la mettre en place et avant même de réaliser des études permettant de l’évaluer.

L’Europe n’a pas encore compris qu’il faut faire de l’éthique conséquentialiste APRÈS ; ceci permet de sauver l’honneur sans perdre de gros marchés ! La FDA l’a compris !

Références

Diabète de type 2 : on continue sans rien changer

mardi 26 novembre 2013

Parmi cent articles identiques sur le diabète, j’en choisis un au hasard, récemment inséré dans mon quotidien préféré (sans participation de sa rédaction). Dès les premières lignes, on comprend qu’il s’agit du diabète de type 2 (DT2). L’article précise, avec raison, que l’on ne meurt pas de ce diabète, mais de ses complications. C’est l’occasion de rappeler qu’à la différence du diabète de type 1 (DT1), pathologie gravissime qui tue rapidement les malades laissés sans soins, le DT2  n’est pas une « maladie », mais un « facteur de risque ». On peut s’étonner ici que la médecine manque de rigueur au point de donner le même nom à un facteur de risque non perçu par les patients, et à une maladie mortelle. Seul le numéro change. J’ai parfois lu certains articles de grands médias où le numéro du diabète n’était même pas précisé ! Stupéfiant laxisme qui ne peut guère améliorer le niveau de l’éducation sanitaire.

L’article, commandité par deux industriels, précise le coût sanitaire du DT2 (18 milliards € en France). Ce « facteur de risque » se répand à vive allure, il y a 350 millions de « malades » dans le monde (ce sont en réalité des non-malades à risque de le devenir), et il y en aura le double dans dix ans, d’après les prévisions de l’OMS.

Le décor de la catastrophe sanitaire est ainsi posé par les plus hautes autorités de santé et relayé avec sérieux par ces industriels vigilants. Voyons maintenant quels sont les remèdes proposés par les sponsors de l’article. Il faut « accompagner » ces « patients » en dosant leur sucre, de plus en plus tôt et de plus en plus souvent, en leur suggérant une meilleure hygiène de vie et, surtout, en leur enseignant l’observance thérapeutique pour faire baisser leur glycémie (taux de sucre).

Comme aucun symptôme ni aucun signe clinique ne donne à ces « patients » une idée approximative de leur glycémie, les auteurs « suscitent » l’anxiété en incitant à des dosages répétés pour vérifier que ce taux de sucre se situe bien au-dessous de la norme prédéfinie par la médecine. Tout semble clair et logique : c’est la seule façon d’éradiquer ce véritable fléau mondial…

La lecture est terminée…

Les esprits les plus curieux et les plus éveillés, se demandent alors certainement pourquoi cette méthode, déjà prônée et appliquée depuis plus d’un demi-siècle, n’a pas enrayé la forte progression de l’incidence du DT2, malgré des dépenses faramineuses.

Enfin, comment peut-on, au sein du même article, donner la méthode pour vaincre une « maladie » et annoncer le doublement de son incidence dans les dix ans ?

Les médecins n’auraient-ils donc plus confiance en leurs méthodes, ou se laisseraient-ils trop naïvement dicter leurs articles et leur mode de pensée par les stratèges de la mercatique, sans même prendre la peine d’une relecture attentive de clinicien et d’épidémiologiste ?

Références