Santé et PIB

25 septembre 2023

Depuis la révolution industrielle, nos progrès se mesurent à l’aune du PIB qui augmente parallèlement aux biens, techniques et services dont disposent les citoyens pour améliorer leur confort, leur éducation et leur santé. Cet indicateur financier est aussi un bon indicateur sanitaire. En effet, dans la majorité des pays, la santé objective de la population s’améliore lorsque le PIB augmente. La règle s’applique également au niveau individuel : l’état de santé est meilleur chez les individus les plus favorisés économiquement.

Pourtant, depuis quelques années, plusieurs études suggèrent que les perceptions subjectives de santé et de bonheur ne sont plus corrélées au PIB. Les enquêtes des économistes Richard Easterlin et Amartya Sen révèlent que la perception de bonheur et de santé n’augmente plus, voire diminue, lorsque le PIB augmente. Ces études ont été contestées, car au niveau individuel, la corrélation entre statut économique et santé reste forte.

Mais ces querelles sont d’un autre âge, car l’augmentation des inégalités sociales dans tous les pays, riches ou pauvres, vient rebattre les données, tant au niveau populationnel qu’au niveau individuel.

D’une part la subjectivité de bonheur varie en fonction des différences perçues en comparaison avec ses concitoyens. Être pauvre et malade semble plus supportable dans un environnement pauvre qu’en étant entouré de riches en bonne santé.

D’autre part, la santé et le bonheur se dégradent également de façon objective, pour toutes les classes sociales, malgré l’augmentation du PIB. Les raisons en sont variées.

Si l’obésité et le tabagisme sont classiquement liées à la misère, l’alcoolisme, les addictions, le diabète, les troubles mentaux et psychiatriques sont en constante augmentation dans toutes les classes sociales. Les toxiques environnementaux touchent toutes les classes, même si les défavorisées y sont souvent plus exposées. Le coût social et financier de ces maladies est si élevé qu’il annule tous les gains de croissance des dernières décennies.

Les dépistages dégradent la santé subjective, mais la surmédicalisation et la pathologie iatrogène qu’ils entraînent dégrade aussi la santé objective. Ce phénomène paradoxal concerne davantage les riches, plus enclins aux dépistages et plus asservis aux soins. Son coût social et financier est également très élevé et annule les gains de PIB.

 Enfin, l’éducation des parents, classiquement protectrice contre la mortalité et la morbidité infantile, contribue désormais à dégrader la subjectivité de bonheur, car l’anxiété face au désastre écologique est transmise par l’éducation, particulièrement dans les classes favorisées. Cette éco-anxiété entraîne un cortège de troubles psychosomatiques, voire psychiatriques débutant de plus en plus jeune.

De toute évidence, le PIB n’a plus d’impact, ni sur la santé subjective, ni sur la santé objective. Osons même affirmer que la décroissance sera bientôt le meilleur moyen d’améliorer les indicateurs sanitaires. 

Références

Même la course à pied

14 septembre 2023

La médecine antique avait observé les mille vertus de l’exercice physique. Depuis, les preuves se sont accumulées bien au-delà de ce qu’avaient supposé Hippocrate et ses prédécesseurs. L’exercice physique résume la médecine préventive et il surpasse la médecine curative dans nombre de pathologies où nul ne l’aurait imaginé.

Il améliore la quasi-totalité des scores métaboliques, il diminue fortement le risque de tous types de cancers et de troubles mentaux, il retarde l’apparition des maladies neurodégénératives. Il améliore les fonctions cognitives, la qualité du sommeil et les troubles respiratoires. Enfin, il est incroyablement plus efficace que tous les médicaments connus à ce jour dans les maladies cardio-vasculaires, y compris l’insuffisance cardiaque.

Ces assertions ne nécessitent plus de bibliographie, et l’on peut même se demander pourquoi l’on continue à effectuer des recherches.

Hélas, les variétés modernes d’Homo sapiens ont perdu le sens de la mesure, et les bienfaits du sport sont en train de disparaître par la démesure des compétitions et des commerces qu’il engendre.

Le dopage excessif des cyclistes leur a déjà fait perdre plus d’années de vie que leur sport ne leur en a fait gagner. Les anabolisant détruisent les nageuses des dictatures et les culturistes des démocraties. Le sommet de l’Everest est jonché de cadavres d’obsessionnels de la performance. Les plaisirs du jogging se transforment en névroses d’« iron man ».

De tels risques, pour quelques secondes de gloire ou de plaisir, ne seraient qu’anecdotiques sans le commerce lucratif qui s’en est emparé.

Le football ne peut plus se concevoir sans les milliards d’euros qui lui sont indissociablement liés. Il serait malvenu d’évoquer un risque sanitaire lié à l’alcoolisme des supporters, à la violence des stades ou à l’empreinte carbone des vols internationaux. Le rugby, longtemps épargné, sombre à son tour dans ce commerce, ainsi que tous les sports d’équipe. Enfin, leur accessibilité aux femmes, fruit d’un légitime combat égalitariste, est une occasion de doubler le chiffre d’affaires de ces spectacles populaires qu’il serait fou de critiquer.

Inversement, les courses d’endurance, par nature individualistes et dépourvues de spectacle, semblaient devoir être épargnées par ces démesures. Nenni.

Ultra Trail du Mont Blanc, Marathon des sables, ou Iron Man sont des marques déposées et des commerces lucratifs qui cherchent leurs prospects dans des foires. Ces derniers, à la différence des gladiateurs, paient pour aller au bout de l’exténuation, puis ils mourront précocement d’asphyxie par hypertrophie cardiaque.

Ces courses des milliers de gobelets et bouteilles en plastique, ainsi que des voyages aériens sans autre objet que la course d’un jour. Les chaussures de transition du triathlon sont jetées et viennent s’ajouter aux tonnes d’ordure qui jonchent les pistes. Ceux qui ne mourront pas d’hypertrophie cardiaque subiront plus tard l’impact sanitaire négatif de ces empreintes carbone.

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Psychosocial ferroviaire

6 septembre 2023

Nous nous souvenons plus souvent des trains qui sont arrivés en retard que de ceux qui sont arrivés à l’heure. Comme nous tous, j’ai probablement tendance à exagérer ma statistique personnelle, mais je crois pouvoir affirmer que 20% de mes voyages ont subi des retards notables.

Notre pays, pionnier du réseau ferré et de la grande vitesse, voit cet avantage historique annulé par le nombre de grèves de cheminots. Néanmoins, je ne comptabilise pas ces mouvements sociaux dans mes griefs de retard, car ils ont une forme de noblesse qui m’interdit de les inclure dans ma statistique grincheuse. D’ailleurs, ils ne s’évaluent pas en heures, mais en jours, semaines, voire mois. Ils sont donc hors-catégorie.

Lors de mon dernier voyage en TGV, un mort trouvé sur la voie a nécessité une enquête sur place qui a bloqué le trafic pendant 5 heures. L’année dernière, c’était un suicide qui avait provoqué un retard similaire.  Quelques années auparavant, c’était un sanglier qui avait franchi les clôtures de la voie sans idée préconçue de suicide. Un ami vient de vivre la même aventure avec un cerf. Il serait cependant mesquin d’accuser la SNCF d’écocide involontaire. Et puisqu’il est question d’écologie, notons que des écologistes extrémistes sabotent régulièrement des caténaires pour protester contre une nouvelle ligne ou pour en réclamer une dans un désert ferroviaire. Les écologistes aiment aussi bloquer les gares qu’ils partagent volontiers avec des extrémistes de droite et des grévistes sans affinité ferroviaire. Les djihadistes s’en prennent plutôt aux voyageurs et sont à l’origine de retards mémorables.

Venons-en à la médecine et à la santé, mes sujets de prédilection. Au total, mes proches ont vécu cinq retards importants pour l’évacuation sanitaire de trois embolies et deux AVC survenus dans leur train. La psychiatrie n’épargne pas nos réseaux ferrés, puisque trois de mes amis ont eu à faire à des psychotiques en phase délirante qui avaient actionné le signal d’alarme

Récemment, une locomotive a été bloquée en gare de Lyon, car une chatte gestante s’était réfugiée dessous. Des membres de la SPA ont exigé son évacuation douce. Douceur qui a nécessité deux heures de diplomatie féline.

Quant aux phénomènes météorologiques qui perturbent régulièrement le réseau ferré, il est difficile de désigner des responsables. On pourrait reprocher à la SNCF de n’être pas assez prévoyante, mais il faudrait aussi accuser toute l’humanité qui est en partie responsable de ces évènements climatiques extrêmes. Décidément, beaucoup d’extrémismes, d’incuries et d’idéologies convergent vers nos trains.

Mes propos dissimulent assez mal un agacement de citoyen voyageur. Je me dois donc d’y adjoindre une question philosophique : à partir de quel niveau de complexité psychosociale il n’est plus ni nécessaire ni rentable d’investir dans le progrès technologique ?

Je vous invite à y réfléchir pendant vos prochaines heures d’attente dans un train bloqué…

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Artisanat clinique

18 août 2023

Il existe une différence subtile entre un symptôme et un signe clinique. Le symptôme est vécu comme tel par le patient, alors que le signe clinique est découvert par le médecin. La douleur du pharynx est un symptôme, la rougeur des amygdales est un signe clinique ; la constipation est un symptôme, le fécalome est un signe clinique ; la paralysie est un symptôme, l’aréflexie est un signe clinique. Le vomissement et la diarrhée sont des symptômes, la persistance du pli cutané est un signe clinique de déshydratation. 

En dehors de toute radio ou analyse, la pratique clinique consiste à décrypter les symptômes et à détecter les signes cliniques. Un clinicien peut déceler l’intensité d’une douleur passée ou d’un délire par la gestuelle de leur narration. L’oméga mélancolique était décrit par Darwin comme un signe facial de dépression. L’écologie comportementale nous apprend que les mimiques de la douleur sont d’une étonnante constance et ne trichent pas.

Nombreux sont les médecins qui émettent déjà des hypothèses sur le motif de consultation avant même que le patient ne soit assis en face d’eux. D’autres évaluent la gravité d’une douleur abdominale infantile en scrutant les échanges de regard entre la mère et l’enfant.

Certains signes cliniques résultent d’une pratique longue et attentive. Par exemple, le bâillement n’est pas contagieux chez les autistes. L’incapacité à percevoir les sarcasmes est un signe précoce de la maladie d’Alzheimer. La réapparition des réflexes archaïques est aussi un signe de démence sénile. L’impression d’être espionné est un signe pathognomonique (caractéristique) de la schizophrénie. La force de la poignée de main associé au bonjour aide à établir le pronostic d’une dépression.

Le xanthelasma (dépôt cutané d’esters de cholestérol), la calvitie précoce et le signe de Frank (pli diagonal du lobe de l’oreille) sont d’excellents prédicteurs de risque cardio-vasculaire. L’estimation de l’âge biologique en dix secondes est le meilleur prédicteur du risque de fracture ostéoporotique. L’arrêt spontané du tabac chez un gros fumeur de longue date est un signe en faveur d’un cancer du poumon à son début.

Comment un spécialiste peut-il comprendre un malade qu’une secrétaire a fait déshabiller et qu’elle a installé sur la table d’examen sans que le praticien n’assiste à ce cérémonial ? Comment un vrai clinicien pourrait-il envisager une hypothèse diagnostique s’il n’a pas vu le patient arriver, s’il ne lui a pas serré la main et ouvert la porte, s’il ne l’a pas vu s’asseoir, s’il n’a pas vu la gestuelle du premier mot de sa narration, s’il ne l’a pas vu évoluer dans la salle de consultation ?

L’expertise clinique est celle du tourneur qui éprouve le fil du bois, celle du musicien qui transpose une partition à vue, celle du maçon qui évalue une fissure.

La promotion des hospitalo-universitaires se fait sur le nombre de leurs publications, pas sur leur expertise clinique ; il est logique qu’ils ne sachent ni ne veuillent vraiment l’enseigner.

Références

Électronique embarquée

3 août 2023

Les prothèses font partie des grands apports médico-chirurgicaux à la qualité de vie. Les prothèses dentaires d’Egypte semblent être les plus anciennes. Les lunettes de vue ont commencé à se généraliser au bas Moyen Âge. Les cornets acoustiques ont suivi, achevant de pallier trois déficiences de notre espèce.

La jambe de bois est probablement la première prothèse orthopédique, déjà mentionnée dans l’Antiquité, les pirates l’ont rendue célèbre. Les prothèses actuelles sont miraculeuses, au point d’éradiquer les boiteries.

La première cornée synthétique date de la Révolution française. Ce n’est qu’en 1950 que furent implantés les premiers cristallins en plastique, alors que l’opération de la cataracte était pratiquée depuis 4000 ans.

Le rein artificiel date des années 1940, a permis la survie de nombre de patients. Le cœur artificiel n’a pas encore fait ses preuves, mais les valves cardiaques prothétiques ont permis de belles survies. Enfin, l’électronique prothétique a été banalisée en 1958 avec le fameux pacemaker.

Ces audacieuses prouesses ont fait gagner des millions d’années de quantité-qualité de vie pour un coût dérisoire.

Après les années 1980, la rentabilité des prothèses a chuté brutalement, comme beaucoup de fulgurants, brillants et coûteux progrès technologiques à faible rentabilité sanitaire.

L’électronique ajoutée à certaines prothèses orthopédiques a permis de légères améliorations à un coût prohibitif. Les promoteurs d’un exosquelette supposé améliorer la marche après un AVC ne se préoccupent pas de vérifier l’absence d’un feed-back négatif pour la récupération cérébrale. Quant à la prothèse vocale électronique pour laryngectomisés, il faut beaucoup d’enthousiasme pour croire qu’elle aidera quelques vieux fumeurs. Pour l’audition, des implants cochléaires sont proposés, ils visent aussi le gros marché des acouphènes. La circonspection s’impose.

L’audace électronique est désormais sans limites. Une gélule électronique prétend pouvoir stimuler la faim chez les anorexiques. Il faut donc prévoir une augmentation du marché de l’obésité, en attendant l’électronique capable de diminuer l’appétit. L’idéal serait une gélule équipée d’un bouton on/off manipulable depuis son smartphone. Pour l’autre extrémité des intestins, une capsule vibrante est proposée pour traiter la constipation. Si, si.

Un implant électronique de la taille d’un grain de sable peut mesurer les taux sanguins de sucre, cholestérol et diverses protéines et les transférer via bluetooth à un ordinateur. Je vous laisse imaginer l’excitation de ces patients et médecins devant cette communion biologique et électronique. Rectifions cependant les propos de ces transhumanistes béats : les prothèses n’ont pas « augmenté » Homo sapiens, elles ont simplement compensé – parfois avec brio – certaines de ses déficiences.

Toute cette électronique embarquée n’apportera rien à la santé publique. Quant à l’aspect écologique, il faudra prévoir du recyclage dans les chambres funéraires.

bibliographie

Pas de médecine après 75 ans

24 juillet 2023

L’augmentation de l’espérance moyenne de vie à la naissance résulte essentiellement de l’élimination des morts infantiles et très peu du prolongement de la vie des séniors. Cependant, l’évolution de la consommation et des pratiques médicales conduit à considérer la mort comme un échec répréhensible, quels qu’en soient l’âge et la cause. Cette distorsion provient moins des progrès réels de la biomédecine que des promesses ubuesques de son marché. Le simple constat des résultats des promesses passées en apporte confirmation.   

Les statines ont été largement prescrites aux séniors contre le mauvais cholestérol (LDL) ; on constate pourtant que le taux de ce LDL est inversement associé à la mortalité toutes causes confondues. Après un premier accident cardio-vasculaire, les statines semblent utiles en prévention secondaire, mais elles n’ont jamais réussi à faire la preuve de leur efficacité an prévention primaire, c’est-à-dire avant tout accident. Elles sont également inutiles en prévention secondaire après 75 ans. Elles n’ont plus leur place sur le podium de l’immortalité.

Nous pouvons en dire autant de la testostérone (particulièrement délétère), de la DHEA et des nombreux antioxydants qui, malgré leur célébrité, n’ont jamais fait gagner un jour de vie à quiconque et en ont souvent fait perdre.

Le traitement de la ménopause, abandonné car trop dangereux, a été remplacé par le calcium, prescrit pour éviter les fractures, mais ce dernier augmente le risque de maladies cardio-vasculaires et rénales.

Après un certain âge, le traitement de l’hypertension artérielle devient plus nuisible que bénéfique, en augmentant le risque de démence, de chutes et de fractures.

Après avoir vacciné les séniors contre la grippe et le coronavirus, on constate qu’un banal rhinovirus peut les tuer tout autant.

D’une manière générale, les médicaments abusivement prescrits en gériatrie comme les hypnotiques, les anticoagulants ou de simples antiacides gastriques, sont l’une des premières causes d’hospitalisation et de mortalité. Malgré cela, l’hospitalisation majore les prescriptions inappropriées : les ordonnances de sortie sont plus chargées qu’à l’entrée. Dans sa dernière année de vie, un patient hospitalisé sur 6 reçoit plus de 35 médicaments.

Même l’oxygène ne fait pas mieux que l’air ambiant pour améliorer l’état des patients. Pourtant nul hôpital n’ose supprimer ce symbole de survie.

De façon plus triviale, l’hospitalisation et l’alitement aggravent les déclins fonctionnels de la vieillesse : perte de masse osseuse, musculaire et plasmatique. Les traitements administrés à l’hôpital sont souvent plus agressifs et moins compatibles avec une mort paisible. Même à cent ans, l’exercice reste le meilleur gage de survie.

Partant du principe qu’être en vie à 75 ans signe un passé sanitaire favorable, la conclusion paraîtra sacrilège : la raison clinique, confortée par une très riche bibliographie, impose d’éviter la médecine après 75 ans.

PS : ceci ne concerne pas la chirurgie.

Références

Vieux contre jeunes

27 juin 2023

De vieux militaires de la junte birmane oppriment leur jeunesse pendant que des ayatollahs cacochymes d’Iran tuent les filles dont le jeune visage les trouble. Tant d’autres pays entravent l’avenir des jeunes, car leurs gérontocrates assimilent la perte de pouvoir à la mort qu’ils redoutent.

Depuis la tentative de coup d’état du vieux et libidineux Trump, je crains que nos démocraties européennes ne soient plus épargnées par ces tyrannies de la sénescence.

J’espère que notre pays, encore capable de renouveler ses dirigeants, saura préserver sa jeunesse, d’autant plus précieuse que la pyramide des âges la montre de plus en plus rare.

Pourtant, si je m’en tiens au domaine médical, je dois constater que les pratiques sont dangereusement déviées vers la gériatrie au détriment de la jeunesse. Que ce soit dans les préoccupations de recherche ou les allocations de budgets, les séniors semblent avoir toujours la priorité.

La neurologie est dominée par des recherches débridées sur la maladie d’Alzheimer alors que les recherches sur les causes environnementales de l’autisme manquent d’audace et de finances.

Les cancers des âges avancés bénéficient de budgets faramineux en regard de la médiocrité des gains sanitaires. Les mêmes sommes investies pour de plus jeunes patients dans tous les autres domaines du soin seraient dix fois plus rentables.

Malgré les polémiques pour savoir si le coût de la dernière année de vie représente 40%, 60% ou 80% du budget de la Sécurité Sociale, le même pourcentage consacré à la protection maternelle et infantile serait meilleur pour notre avenir sanitaire et pour l’avenir de notre pays en général. Propos scandaleux ! Il faut en effet consacrer autant d’argent à la protection des premières que des dernières années de vie. Hélas, le réalisme montre que nous n’en avons plus les moyens et que le détriment revient aux plus jeunes.

L’argument de problèmes de santé plus nombreux avec l’âge n’est pas pertinent si l’on inclut la santé psychique. Et si l’on tient à considérer la sénescence comme une maladie, il convient alors de mesurer le rapport coût/bénéfice de nos actions pour constater qu’après 75 ans, l’intervention médicale est plus souvent délétère que bénéfique.

Le covid a apporté une preuve éclatante de cette déviation des préoccupations sanitaires. La moyenne d’âge des décès y était de plus de 80 ans. Pour limiter cette létalité, presque tous les pays ont adopté des mesures qui ont rapidement dégradé la santé mentale et psychique des jeunes. Erreur excusable au début d’une pandémie inconnue, mais impardonnable après que l’impact sur la jeunesse a été clairement établi.

Addictions, obésité et prématurité sont de nouveaux fléaux de début de vie. Ils ne nécessitent ni recherche ni médicaments, car leurs causes environnementales sont bien connues. Chaque centime investi dans leur prévention est mille fois plus rentable que toute réanimation pour virose respiratoire, et de surcroit, améliore l’espérance de vie.

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Avant de débrancher l’IA

16 juin 2023

Les géants du numérique se lancent dans l’intelligence artificielle (IA) dont ils pressentent le potentiel de rentabilité. Ils ont commencé de grandes campagnes de communication en utilisant un procédé régulièrement utilisé par le marketing pharmaceutique. Procédé qui a largement fait ses preuves, consistant à parler en amont d’un problème important à reconsidérer, sans jamais évoquer le produit qui sera bientôt proposé sur le marché pour le résoudre. C’est le « condition branding » ou « unbranded campaign » qui consiste à parler de la migraine, de la ménopause, de l’allergie, de l’ostéoporose ou de l’anxiété, de décrire leurs terribles conséquences, tout en déplorant leur sous-diagnostic, pendant qu’un médicament est en fin de développement ou en voie d’approbation.  Lorsque le produit arrive sur le marché, les utilisateurs potentiels ont déjà la carte vitale et la carte bancaire prêtes pour le miracle.

La communication sur l’intelligence artificielle franchit un autre cap. Inutile de continuer à vanter les services que son développement pourrait rendre à l’humanité, car la majorité est déjà convaincue de son intérêt dans de nombreux domaines. Il faut surtout prévenir de tous ses dangers et réfléchir aux moyens de les prévenir. La liste des périls envisagés est très longue. L’IA pourrait passer aux mains de complotistes ou de dictateurs. Elle pourrait pénétrer notre intimité, supprimer de nombreux métiers, annihiler notre pensée et nos recherches. L’IA pourrait aller jusqu’à supprimer l’élan vital et l’instinct de survie. Bref, elle pourrait asservir toute l’humanité. Rien que ça !

Sans trop disserter sur ces conjectures, commençons par constater que Trump, Poutine, Prigojine ou Bolsonaro sont des intelligences naturelles que les pires IA ne sauraient égaler.  

Cette communication débridée évoque aussi la possibilité que l’IA puisse acquérir une conscience équivalente à la conscience humaine. Ne dissertons pas davantage sur la définition de la conscience ni sur son support biologique ou biographique. Réjouissons-nous plutôt à l’idée que la conscience artificielle ne sera jamais perturbée par les amphétamines, le cannabis, l’alcool, la cocaïne, les antidépresseurs, les opiacés et autres drogues licites ou illicites qui ont causé tant de drames et de barbaries et sont devenues la première cause de mortalité directe et indirecte.

Les médias relaient quotidiennement cette communication dictée par les géants du numérique. Sans véritablement avoir « conscience » – le mot est toujours ambigu – que les messages sur les dangers de l’IA sont aussi porteurs en termes mercatiques que ceux sur ses bénéfices. Qui peut le pire est certainement capable du meilleur.

Mais si l’IA devenait vraiment plus dangereuse que Staline, Ben Laden ou Amin Dada, nous possédons un moyen de défense que nous n’avions pas face à ces cerveaux biologiques culturellement dévoyés, il nous suffirait en effet de débrancher la prise électrique.

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Saga des marqueurs cardio-vasculaires

5 juin 2023

Les facteurs de risque cardio-vasculaire tels que le tabagisme ou l’obésité sont établis depuis longtemps. Mais nos impératifs de progrès ont négligé ces facteurs triviaux pour en proposer de plus biologiques tels que LDL, HDL, NT-proBNP, BNP, CRP, autant de sigles définissant des molécules dont le taux varie selon l’état du cœur et des vaisseaux.

Pendant longtemps, les deux cholestérol (HDL et LDL) ont régné sur ces marqueurs. Mais, depuis une vingtaine d’années on a compris que l’inflammation, évaluée par la CRP, jouait un rôle important dans les maladies cardio-vasculaires. Même l’insuffisance cardiaque dont le diagnostic clinique est évident possède désormais ses marqueurs (NT-proBNP, BNP).

Jusqu’à ce qu’un groupe de 60 chercheurs internationaux, inquiets de ce genre de dérive, réalisent une méta-analyse portant sur 165 000 sujets et concluant au peu de significativité clinique de ces marqueurs. D’autres études ont montré que de vieux marqueurs de l’inflammation tels que la NFS et la VS pouvaient suffire. Cent autres ont montré que l’accumulation de ces marqueurs apportait peu de précision clinique et que leur utilisation dans les essais cliniques était souvent abusive et peu rigoureuse.

Certaines statistiques sont allées jusqu’à critiquer la validité même des marqueurs. Dans l’insuffisance cardiaque, un taux élevé de cholestérol semble associé à une meilleure survie. Chez les patients coronariens trop de « bon » cholestérol devient néfaste. Quant au mauvais cholestérol, il ne serait ni le meilleur marqueur de risque, ni la meilleure cible thérapeutique.

Mais comme rien ne peut empêcher le progrès, en 2020, des chercheurs ont proposé quatre marqueurs pour prédire le risque de mort subite (réservés aux patients adeptes de sensations fortes). 

Ces polémiques, inhérentes à la variabilité biologique et à l’imprévisibilité clinique, sont parfois amusantes, et le sont plus encore les études qui constatent naïvement que les marqueurs biologiques rejoignent le bon sens clinique. Par exemple, un régime alimentaire riche en fruits pendant 8 semaines suffit à faire baisser plusieurs de ces marqueurs de risque. Qui l’eût cru ? Ou que l’augmentation des N-glycanes, eux-mêmes liés à la consommation de sucre sont de bons prédicteurs du risque cardio-vasculaire. Comme c’est étrange ! Ou que le manque de sommeil augmente les taux de CRP. Comment diable est-ce possible ? Ou que les gamma GT, marqueurs d’alcoolisme sont aussi de bons marqueurs de risque cardiovasculaire. Quelle surprise ! Cette science naïve a découvert la résistine, une protéine qui augmente en cas d’obésité, d’inflammation et d’athérosclérose, et qui marque le lien entre ces trois états. Comme cela est inattendu !

Certains osent désormais simplement démontrer que l’exercice physique prévient l’hypertension, l’insuffisance cardiaque et tous les risques, même lorsque les marqueurs sont mauvais.

Il y a deux façons de pratiquer et de consommer la cardiologie : avec ou sans marqueurs.

Bibliographie

Unique invulnérabilité

24 mai 2023

Il faudrait une encyclopédie en 20 tomes pour simplement énumérer la liste des biais des études diffusées par les industries alimentaires et pharmaceutiques. Il en faudrait dix fois plus pour la liste des liens déclarés entre leurs dirigeants et les leaders d’opinion de la nutrition et de la médecine et cent fois plus pour leurs conflits d’intérêts non déclarés. Peu importe si je surestime ou sous-estime le nombre de tomes, les faits sont bien connus de ceux qui observent ces deux domaines où la manipulation est particulièrement aisée.

Mais le véritable problème est ailleurs, il réside dans le fait que les prescripteurs n’ont pas conscience des influences qu’ils subissent.

On nomme « illusion d’unique invulnérabilité » le fait que chaque prescripteur est convaincu qu’il n’est pas influencé par ces études à visée promotionnelle.

Depuis les années 1990, ce biais cognitif a été mis en évidence par plusieurs grandes enquêtes auprès des étudiants, médecins et universitaires. Seulement 1% des médecins pensent que le marketing pharmaceutique influence leurs prescriptions et 60% à 80% pensent qu’il influence les prescriptions de leurs confrères. Les plus nombreux de ces auto-déclarés invulnérables étant les universitaires et plus encore les leaders d’opinion notoirement soumis à l’industrie.

Comme je me sentais moi-même invulnérable à toute propagande, je ne comprenais pas pourquoi les publicités pour les médicaments, les voitures, les parfums, les assurances, les banques et les lessives envahissait mes médias préférés. Maintenant que je sais que 80% de mes concitoyens y sont sensibles, j’en conclus qu’elles ne sont destinées qu’à eux. Pas à moi, c’est évident !

La plupart des médecins nient que les cadeaux influencent leurs prescriptions et plus ils en reçoivent, moins ils sont enclins à croire que cela a un effet sur leurs ordonnances.

Les financements de congrès et de recherches augmentent les pressions des universitaires sur les autorités pour autoriser la mise sur le marché d’un complément alimentaire ou d’un médicament indépendamment des résultats d’études. L’exposition aux délégués médicaux diminue la capacité à reconnaître des allégations inexactes concernant les médicaments.

Les innombrables études dénonçant les biais et manipulations n’ont jamais réussi à modifier les habitudes de prescriptions médicales. Ces nouvelles enquêtes réussiront-elles à ébranler les prescripteurs dans leur intime conviction d’invulnérabilité ?

Il est probable que non, la majorité des leaders d’opinion ont certainement la capacité de convaincre que ces enquêtes sont biaisées et n’ont aucune valeur. Car, dans la promotion pharmaceutique ou agro-alimentaire, rien n’est plus redoutablement efficace qu’un biaiseur – l’orthographe est importante – qui s’attaque aux biais.

Bibliographie