Unique invulnérabilité

Il faudrait une encyclopédie en 20 tomes pour simplement énumérer la liste des biais des études diffusées par les industries alimentaires et pharmaceutiques. Il en faudrait dix fois plus pour la liste des liens déclarés entre leurs dirigeants et les leaders d’opinion de la nutrition et de la médecine et cent fois plus pour leurs conflits d’intérêts non déclarés. Peu importe si je surestime ou sous-estime le nombre de tomes, les faits sont bien connus de ceux qui observent ces deux domaines où la manipulation est particulièrement aisée.

Mais le véritable problème est ailleurs, il réside dans le fait que les prescripteurs n’ont pas conscience des influences qu’ils subissent.

On nomme « illusion d’unique invulnérabilité » le fait que chaque prescripteur est convaincu qu’il n’est pas influencé par ces études à visée promotionnelle.

Depuis les années 1990, ce biais cognitif a été mis en évidence par plusieurs grandes enquêtes auprès des étudiants, médecins et universitaires. Seulement 1% des médecins pensent que le marketing pharmaceutique influence leurs prescriptions et 60% à 80% pensent qu’il influence les prescriptions de leurs confrères. Les plus nombreux de ces auto-déclarés invulnérables étant les universitaires et plus encore les leaders d’opinion notoirement soumis à l’industrie.

Comme je me sentais moi-même invulnérable à toute propagande, je ne comprenais pas pourquoi les publicités pour les médicaments, les voitures, les parfums, les assurances, les banques et les lessives envahissait mes médias préférés. Maintenant que je sais que 80% de mes concitoyens y sont sensibles, j’en conclus qu’elles ne sont destinées qu’à eux. Pas à moi, c’est évident !

La plupart des médecins nient que les cadeaux influencent leurs prescriptions et plus ils en reçoivent, moins ils sont enclins à croire que cela a un effet sur leurs ordonnances.

Les financements de congrès et de recherches augmentent les pressions des universitaires sur les autorités pour autoriser la mise sur le marché d’un complément alimentaire ou d’un médicament indépendamment des résultats d’études. L’exposition aux délégués médicaux diminue la capacité à reconnaître des allégations inexactes concernant les médicaments.

Les innombrables études dénonçant les biais et manipulations n’ont jamais réussi à modifier les habitudes de prescriptions médicales. Ces nouvelles enquêtes réussiront-elles à ébranler les prescripteurs dans leur intime conviction d’invulnérabilité ?

Il est probable que non, la majorité des leaders d’opinion ont certainement la capacité de convaincre que ces enquêtes sont biaisées et n’ont aucune valeur. Car, dans la promotion pharmaceutique ou agro-alimentaire, rien n’est plus redoutablement efficace qu’un biaiseur – l’orthographe est importante – qui s’attaque aux biais.

Bibliographie

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