Archive pour le mot-clef ‘santé publique’

Automobile inhibitrice

mercredi 14 août 2019

Après des millénaires d’individualisation et d’empirisme, le soin médical est devenu populationnel dans les années 1960 avec la domination de la médecine dite « basée sur les preuves » – ces preuves étant exclusivement statistiques.

Nos cerveaux avaient été façonnés pendant des milliers d’année pour évaluer le soin à court-terme sur des critères individuels, c’est ce que l’on nomme l’effet clinique.

Lorsqu’une évolution est trop rapide, les processus d’adaptation cognitive ne suivent pas. Dans le cas du soin, nos perceptions de santé individuelle et de santé publique ne sont toujours pas connectées. Aucun circuit neuronal n’a été esquissé pour de telles connexions.

Le patient qui prend un médicament dont le bénéfice statistique est nul ou négligeable est convaincu que son bénéfice individuel sera très important. L’accoucheur qui pratique une épisiotomie pour éviter un délabrement périnéal ignore que cette intervention n’a jamais modifié la fréquence de cet accident. Chaque fumeur est convaincu qu’il échappera aux cancers et infarctus, mais il se précipite sur les angioplasties coronaires qui ne modifieront que fort peu sa durée de vie.

Depuis la saignée jusqu’aux immunothérapies des cancers, les exemples abondent où les convictions et espérances individuelles, tant des médecins que des patients, sont totalement déconnectés des réalités sanitaires.

L’automobile offre plusieurs exemples de cette déconnexion, pire, elle semble devoir inhiber pour longtemps toute nouvelle connexion.

Osons un premier exemple trivial. Un pèlerin qui se rend à Lourdes en voiture dans l’espoir d’une guérison miraculeuse dont la chance de survenue est de 1/10 000 000, ignore que son risque d’accident mortel sur la route du pèlerinage est de 1/10 000. Le risque est mille fois plus élevé que le bénéfice escompté.

Dans notre pays, la méningite C tue cinq enfants par an, alors que les accidents de la route en tuent plus de cent. Mais une obligation vaccinale anti-méningocoque est plus acceptable que de nouvelles consignes de sécurité routière.

La pollution atmosphérique automobile est aujourd’hui responsable de plus de morts que toutes les maladies infectieuses réunies. Cependant, nul ne perçoit l’intérêt individuel qu’il y aurait à changer de voiture ou à respecter les limitations de vitesse en cas de pic de pollution. La guerre, le crime et le terrorisme réunis font moins de morts que les accidents automobiles qui tuent 1,25 millions de personnes chaque année. La voiture inhibe tous les processus d’association entre santé publique et individuelle.

Elle est en outre le plus gros frein à l’exercice physique quotidien, lequel est le meilleur pourvoyeur de quantité-qualité de vie. Même les cyclistes et piétons qui respirent pourtant plus d’air pollué que les automobilistes ont un bénéfice sanitaire supérieur lié à l’exercice pratiqué.

Le ministère de la santé peut s’affranchir de tous les autres thèmes, tant qu’il n’a pas abordé farouchement celui de l’automobile.

Références

Des ménagères aux patients

lundi 13 février 2017

Les radios de service public ont su épargner à leurs auditeurs les publicités pour ménagères de moins de cinquante ans. Les rares messages publicitaires proviennent d’ONG, fondations, mutuelles ou ministères. Nous constatons aussi que les sujets de santé sont de plus en plus nombreux : prévention (vaccinations, tabac), économie (génériques), dépistage (octobre rose). Récemment, quatre messages sanitaires se sont succédé sur France Inter avant le journal de 13h.

Le premier émanait d’une station thermale dont les bienfaits étaient démontrés par 60% des utilisateurs qui déclaraient moins souffrir de leur arthrose après la cure. Une preuve basée sur des réponses subjectives relatives à un symptôme subjectif, n’est pas une preuve. Bref, un message dépourvu de science

Le second message en provenance du ministère mettait en garde contre la transmission du virus grippal. Félicitons notre ministère de rappeler que l’hygiène est, de loin, le premier des progrès de l’infectiologie. Mais la grippe et sa prévention sont si rebattues que les cartes en deviennent brouillées. Bref, un message pourvu de suspicion.

Le troisième encourageait à poursuivre le dépistage du cancer du col par frottis vaginal après 45 ans. Ce dépistage a toujours été l’un des mieux suivis, et presque le seul dont les résultats sont peu contestables. Bref un message superflu (sauf Aà rappeler en filigrane le vaccin anti-HPV, ou à préciser que ce vaccin ne dispense pas encore du frottis).

Enfin, le dernier incitait à consulter le plus tôt possible un ophtalmologiste pour prévenir la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA), responsable de cécité partielle. Ce message aurait certainement inspiré un sketch à notre regretté Coluche : « puisque cette maladie est liée à l’âge, le plus sûr moyen d’éviter ce diagnostic est de consulter quand on est jeune… ».

Malgré sa bouffonnerie, ce message avait une certaine franchise, car son auteur, Novartis, était clairement nommé. Ce laboratoire vend un médicament capable de ralentir un peu la progression de la DMLA chez 15 à 20% des patients. Ce traitement n’ayant aucun intérêt dans les formes précoces de la maladie, la supercherie sautait aux yeux (si j’ose dire) ; le but mercatique étant d’élargir la cible des consommateurs. En effet, nul ne peut s’attendre à une prévention philanthropique de la part d’un laboratoire qui a fait un scandaleux procès à l’Etat pour empêcher la commercialisation d’un médicament identique et 40 fois moins cher (25 € la dose au lieu de 1000 € !). Malgré les revenus de cette publicité, l’État ne pourra jamais récupérer les milliards d’euros que ce laboratoire lui a fait perdre. Bref un message insolent.

Certes, ce ne sont que des publicités. Mais quatre messages successifs, flous ou fourbes, à une heure de grande écoute, m’ont interpellé. Il ne faut pas prendre le risque de transformer tous les auditeurs en patients encore plus perméables que les ménagères de moins de cinquante ans…

Références

Vaccinations sanitaires et marchandes

samedi 12 mars 2016

Pendant très longtemps, le commerce des vaccins n’a pas répondu aux règles du marché. C’étaient les institutions scientifiques, tel que l’institut Pasteur, et les ministères qui décidaient de l’utilité d’un vaccin, de sa fabrication, de sa promotion et de sa diffusion. Les marchands s’intéressaient peu à ces produits d’intérêt public, dont l’environnement administratif et le caractère parfois obligatoire rendaient la marge nulle ou dérisoire. Ce n’est pas un hasard si l’Europe, berceau de la santé publique, fabrique encore aujourd’hui 90% des 4 milliards de doses de vaccins vendus chaque année dans le monde, alors que les USA, berceau de la santé marchande, entrent tardivement sur ce marché.

Cette entrée est cependant remarquable, puisque le vaccin anti-pneumo, dont l’intérêt public est certain, mais modeste, appartenant au seul laboratoire américain du secteur, est devenu en quelques années le leader en termes de chiffre d’affaires. Introduisant ainsi dans le marché vaccinal, la loi générale du marché sanitaire qu’est le rapport inverse entre prix de vente et intérêt public.

Ce marché vaccinal, qui ne représente que 3% du marché pharmaceutique mondial, est attractif par sa belle progression, puisqu’il est passé de 10 milliards d’euros en 2007 à 20 milliards en 2012, et à 40 en 2015.

Sur le milliard d’euros des vaccins remboursables vendus en France, 65%  sont obligatoires, et 35% sont représentés par les deux vaccins (anti-pneumo et anti HPV) dont le ministère public n’a été qu’un promoteur secondaire ou sous influence. Ainsi le pays de Pasteur risque de perdre son leadership, tant moral qu’économique – espérons que les deux soient encore liés en médecine –, s’il laisse aussi ouvertement le facteur marchand déborder le facteur sanitaire dans ce domaine très particulier de la vaccination.

Les vaccins sont, à ce jour, les seuls vrais médicaments de prévention primaire, ils sont le plus beau succès de toute l’histoire de la médecine. Leurs résultats épidémiologiques sont limpides, puisque pour certains d’entre eux, la maladie concernée a fini par disparaître.

L’obligation vaccinale initiale historique, basée sur l’intérêt public, se révèle aujourd’hui être une erreur pour ce même intérêt public ; on peut cependant la supprimer sans risque en éduquant les citoyens à la responsabilité sanitaire individuelle et civile. Les chiffres confirment qu’un vaccin non obligatoire peut atteindre 90% de couverture vaccinale, et que le caractère obligatoire n’arrive jamais à faire dépasser ce pourcentage.

Mais, dans le domaine vaccinal, laisser s’aggraver la confusion entre santé publique et santé marchande serait une erreur beaucoup plus grave qui détournerait encore plus de citoyens des vaccins indispensables que n’en détournent aujourd’hui les sectes anti-vaccinales.

Références

Darwin avait prévu les morts nosocomiales

vendredi 17 mai 2013

Dans les grandes villes du Moyen-Âge, les Hôtels-Dieu avaient charge d’accueillir les plus déshérités : pauvres, impotents, vieillards et malades. On y soignait surtout l’âme, car les médecins et chirurgiens-barbiers préféraient exercer leur art en dehors de ces lieux de charité où les malades s’entassaient à trois ou quatre par lit.

Ceux dont la bonne constitution avait permis de survivre à la misère et à la famine, échappaient rarement à l’Hôtel-Dieu, car c’était le plus dangereux des foyers d’infection de la ville.

L’Histoire des épidémies nous révèle que les deux principaux facteurs de leur déclenchement sont, d’une part, une communauté humaine dont la concentration dépasse un certain seuil, d’autre part, un micro-organisme jusqu’alors inconnu dans cette communauté.

L’un des principaux facteurs de gravité d’une épidémie est le fort pourcentage de sujets fragiles au sein de la communauté atteinte, et l’un des éléments majeurs de sa  propagation est l’absence de diversité de ce groupe humain. Une communauté de nourrissons, de personnes de même métier ou de même mode alimentaire, de même pathologie, etc., offre une moins grande variété de réponses immunitaires susceptibles de ralentir l’épidémie.

Avant même de connaître l’existence des microbes, Darwin avait déjà fort bien compris et expliqué le caractère protecteur de cette diversité.

Les infections nosocomiales offrent un exemple de conjonction de facteurs aggravants : confinement hospitalier, spécialisation organique, communauté de pathologie, concentration de personnes fragiles, nouveaux germes résistants.

Depuis quelques décennies, les administrations ferment les petites maternités, les hôpitaux de taille moyenne et les services de chirurgie générale. L’hyperspécialisation et les quotas d’interventions conduisent au gigantisme hospitalier. Nourrissons, vieillards, cancéreux, sont concentrés en des lieux où augmente la fragilité humaine et où diminue sa diversité.

Dire que les infections nosocomiales sont un vrai problème sanitaire, en accusant les administrateurs de santé publique de n’avoir pas lu Darwin, serait une critique trop facile. Portons plutôt la dialectique sur la raison essentielle affichée par les administrations pour expliquer leurs choix : ce serait en ces lieux de grande expertise que la mortalité des patients concernés serait la plus faible.

Pourtant les chiffres globaux ne confirment pas ce point de vue. La mortalité néo-natale et maternelle avait atteint ses seuils les plus bas, bien avant la fermeture des petites maternités. La mortalité par cancers avait déjà accompli toute la baisse possible avant la cancérologie administrée et la concentration des centres de décision.

Les quelques morts, péniblement et coûteusement gagnées par cette nouvelle forme d’administration, sont déjà annulées par les morts nosocomiales.

Faute d’une diversité administrative, il ne nous reste que l’espoir d’en rester là.