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Effet week-end

mercredi 3 juin 2020

L’urgence médicale est une notion relative, dépendante du patient, de l’observateur et de l’époque. L’élévation de notre niveau de santé en a augmenté les impératifs. Dans les années 1980, les SAMU en ont augmenté la visibilité, donc la consommation. Electroménager ou urgence vitale, rien ne peut échapper aux effets de la communication.

Les généralistes, modérateurs idéaux de l’inflation urgentiste, ont progressivement disparu du grand ballet des gyrophares. Les services d’urgence sont désormais sursaturés au point de mettre en péril le système et ses acteurs. Pour évaluer les effets de la fatigue, du manque de personnel ou de sa compétence, il faut examiner les situations où ces paramètres dominent : nuits, week-end et vacances. C’est le fameux « effet week-end » désormais bien documenté.

Une étude montre que le taux de mortalité à 90 jours après un passage en réanimation passe de 41% à 44% selon qu’il a eu lieu en semaine ou le week-end. Une autre que la surmortalité est de 6% la nuit et de 10% le week-end.

En réanimation cardio-respiratoire, le taux de survie à 24h chute de 35% à 29% entre le jour et la nuit ou le week-end. Les séquelles neurologiques passent de 85% à 89%. L’effet week-end augmente la mortalité des AVC de 15%

Le taux de décès dans les 30 jours suivant une intervention chirurgicale urgente est d’environ 0,7%, il monte à 1% si l’intervention a eu lieu un vendredi et à 1,3% le week-end (soit des augmentations de 44% et 82% pour le dire de façon plus spectaculaire !)

La très faible mortalité périnatale augmente tout de même de 7% pour les accouchements du week-end.

Pour les pathologies aiguës, certains calculs montrent que la mortalité augmente de 80% quand le délai d’attente est de 6 heures au lieu de moins d’une heure ; d’autres révèlent que chaque heure d’attente augmente la mortalité de 6,5%.

Je me risque à une extrapolation hasardeuse.

En France, 60 000 personnes meurent chaque année en service de réanimation. Soit 15000 personnes dont les soins intensifs ont été affectés par la sursaturation des trois mois d’épidémie de covid. Si nous supposons que cet « effet week-end » particulier n’a augmenté la mortalité que de 10%, il faut ajouter 1500 personnes à la liste mortuaire du Covid.

Par ailleurs 10 000 personnes sont ressorties vivantes des 15000 réanimations supplémentaires pour covid. Malgré le stress et la surcharge, le bilan de réanimation de cette triste période est donc positif.

Il nous reste à évaluer la durée et la qualité de ces survies. Il faudra aussi compter les pertes et gains collatéraux. Pertes (ou gains) par arrêt d’autres soins. Gains par limitation de la circulation et de la pollution. Pertes par violence conjugale ou suicide lié au chômage. Etc.

La réanimation est la plus triviale des équations épidémiologiques. Le monde vivant n’est pas réductible à la mathématique. Un ami, brillant mathématicien, me confirme que le monde physique ne l’est pas non plus. Je m’en serai douté.  

Références

Dogme de la précocité

lundi 28 mai 2018

L’image de la médecine et de la chirurgie s’est historiquement façonnée dans des contextes d’urgence.  Blessures de guerre, septicémies, occlusions intestinales, comas diabétiques et insuffisances rénales constituaient le quotidien des médecins. L’efficacité médicale sur ces pathologies est restée médiocre jusqu’au XX° siècle. Puis lorsque sont apparues l’anesthésie générale, l’insuline, la dialyse rénale ou l’antibiothérapie, la médecine a enfin connu le succès. Il en a découlé une véritable hantise du « ratage » diagnostique. Pour un médecin, perdre un patient d’embolie pulmonaire ou de péritonite était un échec dont l’ampleur pouvait anéantir sa carrière ou l’estime de soi.

Avec l’amélioration des conditions de vie, l’évolution des pratiques médicales et les nouvelles exigences sanitaires, l’urgence absolue ne représente désormais qu’une part infime de l’activité des médecins, voire aucune, puisque l’urgence est étrangement devenue une spécialité.

Malgré tout, urgence et médecine restent allégoriquement indissociables. Nul ne semble vouloir remettre en question la nécessité d’un diagnostic précoce, même dans les situations où il est surtout urgent d’attendre. Tout symptôme objectif ou subjectif impose une cascade de précocités : celle du diagnostic, celle de son annonce et celle d’une action immédiate.

Bien plus qu’un réflexe historique, la précocité est devenue un dogme. Les médecins se déchargent de leur anxiété sur leurs patients, et ces derniers ont l’intime conviction qu’un mal pris à temps sera nécessairement circonscrit. Véritable dissonance cognitive.

Pour savoir s’il est urgent ou non de diagnostiquer un cancer, une hypertension, une schizophrénie, une maladie auto-immune, une maladie d’Alzheimer, voire une allergie alimentaire, une paralysie ou la fièvre d’un nourrisson, il faut une expertise clinique émanant d’une intelligence non artificielle.

Hélas, l’expertise clinique n’excite plus ni les universités ni les étudiants.

C’est pour cela que l’on voit désormais des gyrophares tourner pour des malaises vagaux, des patients en fin de vie, des vomissements migraineux ou des attaques de panique.  Et autant de sirènes qui convergent vers des urgentistes débordés au point d’en perdre la raison clinique.

C’est aussi pour cela que l’on recommence à voir des patients mourir d’hémorragie interne ou d’occlusion intestinale, comme à l’époque où la médecine ne savait pas encore les soigner. La justice est alors obligée d’intervenir, aggravant la désertion clinique.

L’urgence a profondément changé de nature depuis que la précocité est un dogme et qu’avec la spécialisation urgentiste les autres cliniciens se sont arrogé le droit de débrancher leur téléphone.

Références