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Vie et mort des dogmes du soin

mercredi 4 décembre 2019

La philosophie enseigne la différence entre dogme et théorie scientifique. Le dogme est irréfutable et immuable, alors que la science s’enrichit de l’opposition et de la mouvance. Tenter de consolider ou de détruire un dogme par une démarche d’allure scientifique conduit au grotesque, ou pire, à l’aliénation.

Inversement, certaines académies sont tentées par les dogmes. Les sciences biomédicales offrent de pittoresques exemples de cette tentation dogmatique. 

L’impératif du couchage du nourrisson sur le ventre a duré deux ou trois générations avant que les bébés retrouvent la sérénité du décubitus dorsal. La mort subite du nourrisson est ainsi revenue à sa fréquence d’avant le dogme.

Empiriquement lié à l’acidité gastrique, puis modèle de maladie psychosomatique, l’ulcère de l’estomac est désormais exclusivement dû à un microbe. Le prestige du prix Nobel, attribué à ce troisième dogme, va probablement retarder la théorie multifactorielle unificatrice, le seule dont la longévité pourrait rivaliser avec celle du dogme de la Sainte Trinité.

Pendant longtemps, il a fallu exorciser par le bistouri les amygdales et les végétations responsables de tous les maux de nos enfants. Combien de parents fidèles ont ainsi conduit leurs enfants au martyre. Certains les ont conduits jusqu’à la mort en écoutant les ‘prêtres’ qui avaient préconisé la destruction du thymus. Véritable djihadisme biomédical.

Aujourd’hui, HDL cholestérol, télomères, génomique et probiotiques ravivent le mythe de l’immortalité avec un surprenant succès.

Pendant un certain temps, les corticoïdes pour faire baisser la fièvre des enfants ont bénéficié à la fois de l’apparence du dogme et de celle de la science. Après avoir aggravé les infections, ils sont désormais essentiellement prescrits par des ‘théologiens’.  

Le traitement des lombalgies et sciatiques exigeait une immobilité absolue en position allongée. Après deux siècles d’escarres et de phlébites, les malheureux reclus sont désormais encouragés à marcher. Ici, tout est pour le mieux, puisque ce retour salutaire à la marche rejoint la volonté divine de notre bipédie.

Après avoir immolé des tonnes d’utérus, les pourfendeurs de la ménopause ont exigé un traitement hormonal pour éradiquer ce mal diabolique. On ne saura jamais combien d’innocentes ont été sacrifiées sur ces nouveaux bûchers. Aujourd’hui c’est l’ostéoporose qui a pris le relais de la rédemption ménopausique. Espérons vivement que ce nouveau dogme n’aura pas la longévité de celui de la conception virginale.

Les sciences modernes, biologie comprise, de plus en plus précises et solides, ont désormais des théories dont la durée de validité rivalise avec celle des dogmes. Seule la biomédecine se permet encore d’élaborer des théories fugaces mêlant poésie scientifique et rigueur dogmatique, avec un nombre toujours impressionnant d’affidés.

C’est toute la magie du soin.

Références

Revenir à la preuve clinique des médicaments

mardi 10 février 2015

Jusqu’aux années 1920, tous les médicaments efficaces étaient hérités de l’empirisme de générations de soignants. Les effets de la quinine sur les fièvres, de l’argile et du charbon sur les diarrhées ou de la belladone sur les douleurs abdominales étaient admis par tous les médecins.

Le premier médicament résultant de la connaissance physiopathologique d’une maladie fut l’insuline en 1921. Puis jusqu’aux années 1960, cette connaissance a produit les vitamines, les hormones, les antibiotiques et bien d’autres, avec un excellent niveau de preuve à court terme.

L’intérêt croissant pour des pathologies cardio-vasculaires, psychiatriques, métaboliques, neurodégénératives ou tumorales a changé la temporalité de la preuve. Il fallait désormais prouver l’action à long terme, par exemple, d’un anticoagulant sur le risque d’accident vasculaire. D’où la nécessité d’utiliser les statistiques pour passer d’une preuve individuelle, désormais impossible, à une preuve populationnelle. Ce qui nécessita des essais cliniques longs et coûteux avec de gros risques de biais et de falsifications.

Puis la compréhension des maladies progressant jusqu’au niveau moléculaire, on essaya de synthétiser des médicaments à partir de ces savoirs précis. Les premiers issus directement de l’analyse moléculaire furent les bétabloquants dans les années 1970. Mais cela ne suffisait pas à connaître leur action clinique. Ces médicaments destinés initialement à l’angor furent d’abord contre-indiqués dans l’hypertension et l’insuffisance cardiaque avant d’être indiqués dans les deux, suite aux preuves statistiques.

L’empirisme avait disparu pour laisser sa place à deux niveaux de preuve, le niveau théorique et le niveau statistique.

Aujourd’hui, la complexité de l’analyse moléculaire dans des domaines comme la psychiatrie ou la cancérologie empêchent toute forme de réductionnisme. Un médicament peut avoir une base théorique brillante et être dépourvu de tout effet clinique.

D’extraordinaires découvertes moléculaires dans le développement des tumeurs donnent lieu à des autorisations de mise sur le marché de médicaments offrant des survies nulles ou dérisoires, de l’ordre de quelques semaines.

Nous comprenons que les patients et leur famille puissent croire à ces espoirs enrobés de théories qui les submergent, mais comment les agences du médicament peuvent-elles à ce point, oublier la preuve clinique ?

Si le prix de tels médicaments était basé sur leur succès clinique, il serait tout aussi dérisoire. Il est hélas basé sur leur enrobage théorique et commence à amputer sérieusement le budget de la solidarité nationale.

Doit-on oublier la preuve clinique pour encourager la recherche fondamentale ?

Duper les patients d’aujourd’hui pour mieux soigner ceux de demain pourrait être acceptable si ces derniers peuvent encore accéder aux soins.