Archive pour le mot-clef ‘marketing’

Le Ciel inventa la sarcopénie

jeudi 26 avril 2018

Récemment, un laboratoire investi dans la vente de compléments alimentaires a inondé les médecins de messages pour les informer que la « sarcopénie » était devenue une grande  préoccupation de santé publique.

La sarcopénie consiste en une diminution de la masse musculaire. Il ne s’agit ni d’une maladie, ni d’un problème de santé publique, mais d’un état évolutif naturel particulièrement remarquable chez les personnes âgées qui n’ont pas d’activité physique et chez les personnes alitées ou grabataires.

Pour ceux qui ne l’avaient pas encore compris, les muscles grossissent avec l’activité physique et maigrissent en l’absence d’activité physique.

Exactement de la même façon que les os sont atteints d’ostéoporose chez les personnes inactives et n’en sont pas atteints chez les personnes actives (indépendamment des signes radiologiques).

La sarcopénie fait donc partie des multiples symptômes qui caractérisent un syndrome commun plus connu sous le terme de « sénescence » ou de « vieillissement ». Dans ce syndrome fort complexe, la peau se ride, les cartilages se fendent, l’ouïe baisse, les performances cognitives, sexuelles et musculaires diminuent, les artères, les articulations et le cristallin perdent de leur souplesse, le système immunitaire perd de son efficacité, les télomères raccourcissent, les radicaux libres de l’oxygène s’accumulent, les cellules souches disparaissent et la masse osseuse diminue.

Aucune de ces innombrables ignominies ne peut ni ne doit constituer un problème de santé publique dans une démocratie digne de ce nom, bien que le vieillissement soit incontestablement un problème social que ces mêmes démocraties se doivent de gérer avec élégance et empathie.

La sarcopénie n’est donc que la énième maladie du « disease mongering », procédé mercatique consistant à inventer des maladies au nom pompeux pour vendre des médicaments, en laissant entendre, selon un rituel immuable, qu’il s’agit d’un problème de santé publique injustement méconnu.

Comment peut-on faire confiance à des médecins et à un gouvernement qui négligent la sarcopénie ? Que sont les banlieues, l’immigration, le terrorisme, la SNCF ou la dette aux côtés de ce terrible problème de santé publique ?

Trêve d’humour, il nous reste encore à stimuler les médecins et leur ministère pour qu’ils décident enfin si la vieillesse est un processus physiologique ou si elle est la somme de toutes les maladies « que le Ciel en sa fureur inventa pour punir les crimes de la terre ».

En attendant, je me demande de quelle maladie injustement négligée est mort Jean de La Fontaine ?

Références

Truvada®, houlala !

lundi 11 janvier 2016

Le Truvada® est une association de deux antirétroviraux, déjà utilisée dans le traitement du SIDA, et qui vient d’obtenir une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) en France dans la prévention chez les sujets à risque (homosexuels masculins à rapports multiples, acteurs de films X, conjoints de séropositifs, prostituées acceptant des rapports non protégés, etc.)

Les opposants à cette ATU avancent que le risque de ces pratiques marginales ne doit pas être pris en charge par la solidarité nationale. Certes 500 € par mois paraissent excessifs pour une prévention aléatoire, mais il semblerait discriminant et contraire à notre belle solidarité nationale de ne pas l’accorder à ceux qui ont choisi ces pratiques, au seul prétexte qu’ils les ont choisies.

S’interroger sur la pertinence de cette ATU est risqué pour le médecin débatteur, car lorsque la mayonnaise médiatique a déjà pris, le politiquement incorrect devient encore plus effrayant que le SIDA. Mais ne portons pas le débat sur ce point.

L’étude ‘Ipergay’ à l’origine de cette décision comporte un biais grossier, souvent utilisé depuis quelques années par les laboratoires financeurs, consistant à interrompre l’étude avant son terme au prétexte que continuer à donner le placebo ne serait pas éthique en raison de bons résultats partiels. Éthique fallacieuse qui fonctionne bien auprès des ministères. Mais ce n’est pas non plus sur ce point qu’il faut porter le débat.

Ce médicament entraîne des résistances, comme tous les antirétroviraux, et sa généralisation aux « bien-portants » risque d’accélérer ces résistances. Mais ce n’est toujours pas de ce point dont il faut débattre. Ce médicament comporte aussi des risques non négligeables d’insuffisance rénale, mais là non plus n’est pas le sujet de notre propos.

Non le danger socio-sanitaire le plus prévisible est ailleurs, il se situe au cœur du défaut historique de la médecine, de son défaut le plus structurel, le plus permanent : l’extension des indications. Depuis la saignée qui a été mille fois trop pratiquée, jusqu’aux statines mille fois trop prescrites, en passant par les antibiotiques ou les antidépresseurs toujours cent fois trop, tous les médicaments mis sur le marché ont suivi le cours de l’extension immodérée des indications.

N’en doutons pas, le Truvada suivra cette inexorable dérive. Seule l’industrie pharmaceutique est capable de créer un marché de 20 € supplémentaire par coït, marché dont même les proxénètes et les industriels du préservatif n’auraient jamais osé rêver. Imaginons que seulement 0,1 % des coïts pratiqués dans notre pays soient ainsi pris en charge à 100% par la Sécurité Sociale ; que deviendrait alors le budget de notre belle solidarité nationale ? Il ne me vient à l’esprit que le mot avec lequel les humoristes étrangers caricaturent volontiers notre langue : houlala !

Bibliographie

Chaussures et psychotropes

dimanche 3 août 2014

C’est l’histoire des deux marchands de chaussures qui découvrent l’Afrique subsaharienne au XIX° siècle. L’un dit que la clientèle potentielle est gigantesque, car tout le monde marche pieds nus, l’autre lui répond que c’est précisément pour cela que ce marché est sans intérêt.

Les professionnels savent qu’il est préférable de suivre la logique du second marchand, car il est difficile de créer une clientèle ou un besoin, alors que développer la science du marketing sur un marché déjà ouvert est moins coûteux et toujours plus rentable.

Les chaussures entraînent une dépendance irréversible comme peuvent en témoigner tous ceux qui ont essayé de s’en passer à l’âge adulte, bien après que leurs parents eussent commis l’irréparable première prescription. Il en est de même pour les benzodiazépines (psychotropes tranquillisants). Je conseille donc aux marchands de benzodiazépines de choisir des pays où le marché est déjà bien ouvert, car l’addiction y est beaucoup plus forte.

Au-delà de cette dépendance, la grande famille des psychotropes (tranquillisants, antidépresseurs, neuroleptiques, thymorégulateurs et psychostimulants) présente l’avantage mercatique d’une promotion interne. Les antidépresseurs aggravent les troubles bipolaires, entraînant alors la prescription de neuroleptiques ou de thymorégulateurs. Les benzodiazépines et les neuroleptiques provoquent des troubles de la cognition et de la vigilance qui favorisent la prescription de divers psychostimulants. Aux Etats-Unis et en France, on constate une tendance croissante à l’association entre antidépresseurs et neuroleptiques.

Cette consommation de psychotropes est largement supérieure dans les pays à bonne couverture médicale et sociale et particulièrement dans les couches de population ayant souscrit à des mutuelles complémentaires. Cette clientèle est particulièrement attractive, car on y constate une augmentation continue de la consommation de psychotropes à tous les âges de la vie. Leur consommation pendant la grossesse pose parfois de réels problèmes de sevrage. Mais cet effet d’entraînement entre différentes générations, soit par addiction initiale, soit par un mimétisme plus tardif lors de l’adolescence, est un nouvel avantage mercatique pour les vendeurs de psychotropes.

Enfin et surtout, l’abondance de consommateurs de psychotropes est une source considérable de données statistiques suffisantes pour obtenir l’autorisation de nouveaux marchés. Ainsi les antidépresseurs sont utilisés dans le sevrage tabagique, les douleurs chroniques et de multiples pathologies réelles ou virtuelles où la clientèle, déjà captive, est très facile à re-capturer.

Bref, ce serait une grosse erreur stratégique de chercher à vendre des psychotropes en Somalie, en Papouasie ou au Burkina-Faso sous prétexte qu’il n’y en a pas encore.

Références